Au moment où le peuple camerounais observe le deuil et se recueille en mémoire des nombreuses victimes du déraillement du Train Intercity 152, survenu à la Gare d’Eséka, le vendredi 21 octobre 2016, les circonstances ayant conduit au spectacle « apocalyptique » de l’accident, disons-le, de la catastrophe ferroviaire, laissent perplexes.
Si, à juste titre, ces dernières suscitent colère, indignation voire effroi et abattement, elles invitent, au-delà des charges émotionnelle et compassionnelle légitimes en pareilles occasions, à marquer un temps d’arrêt courageux et lucide : le temps du silence… Silence que recommandent la pudeur et la décence devant l’extrême gravité des événements ; silence que nous impose le respect dû aux disparus et aux familles meurtries par la douleur, éplorées par la perte subite d’un être cher, déboussolées face à la brutalité tragique du sort, inconsolables, désarmées devant l’imparable.
Passé le silence, place nette doit être faite à l’établissement des responsabilités et à la pleine lumière, tant sur les causes profondes de la catastrophe que sur l’application des mesures correctives, punitives, préventives, réparatrices.
1) Les usagers camerounais de la route et du chemin de fer, ‘‘tombés de Charybde en Scylla’’ le même jour…
Les voyageurs, coutumiers des avantages que procure l’usage de la route aux aurores, avaient pris place ce vendredi 21 août 2016, dans les autobus en partance des agences de voyage de Yaoundé et s’apprêtaient à s’engager en toute quiétude sur la Nationale N°3, lorsque leur parvint, aux encablures de la sortie Sud de la ville, la nouvelle de l’interruption du trafic routier sur ledit axe.
De fait, venant de Yaoundé et en direction de Douala, à la 68ème borne kilométrique au lieu-dit MANYAÏ, l’effondrement des buses métalliques canalisant les flots tumultueux de la rivière éponyme avait créé par une nuit de grandes précipitations, sur 15m de long, 5m de large et 4m de hauteur, une impressionnante fondrière telle que le trafic routier, aux premières heures de l’aube, en avait été sinistré… Est-il besoin de rappeler que les mouvements pendulaires intenses, les flux de voyageurs et transports des marchandises sont sur cet axe-routier, d’une importance vitale pour l’économie camerounaise ?
Contraints aux premières heures de la matinée de rebrousser chemin, les voyageurs du vendredi 21 octobre 2016, n’eurent guère le choix que de se précipiter vers la Gare ferroviaire d’Elig-Essono où l’affluence était pour le moins inhabituelle. Face à la pression des voyageurs croissant au fil des heures, dans une esplanade de la gare noire de monde, les guichets ployaient littéralement sous les files interminables de voyageurs. C’est dans ce contexte que les rumeurs d’un déraillement couraient, relayées dès 8 heures par la fébrilité ambiante et la tension perceptible sur le visage des passagers, inquiets du retard peu fréquent accusé par le train Intercity Yaoundé – Douala du jour.
Le désagrément était-il imputable à un éventuel déraillement ? Pour d’aucuns, cela était certain. Pour d’autres, ce n’était qu’une éventualité, vite occultée par la nécessité de « partir… ».
Il revenait à la société CAMRAIL, concessionnaire du chemin de fer camerounais en sus d’organiser la suppléance due au sinistre routier et juguler l’affluence, de rassurer les voyageurs quant aux mesures compensatrices et citoyennes idoines prises. L’ajout de huit (08) rames de wagons décidé par la Direction de CAMRAIL, participait assurément de la volonté du concessionnaire, d’apporter à une situation exceptionnelle, une réponse appropriée… Le rallongement des rames ne nécessitait-il pas, pour ce faire, une révision technique et un protocole d’accompagnement préventif tout aussi exceptionnel ?
Etait-ce au demeurant la solution la mieux indiquée ? Vraisemblablement guidée par le souci « d’expurger » l’image marchande peu appréciée que la CAMRAIL traîne auprès des riverains des dessertes « secondaires » de la voie ferroviaire Yaoundé – Douala, la filiale camerounaise du Groupe Bolloré – transport logistics était-elle véritablement préparée et outillée pour l’opération inédite de suppléance qu’elle entreprenait ce vendredi ?
Le déraillement du train Intercity 152 avec son nombre de victimes sans précédent, le vendredi 21 octobre 2016 à la gare d’Eséka, ne pose-t-il pas le problème de « la capitalisation inopérée en amont des savoir-faire, compétences en ressources humaines et métiers du chemin de fer » ?
En aval, n’y-t-il pas lieu de remettre « cartes sur table » la question du cahier de charges de CAMRAIL ?
Quel est le contenu de la concession cédée par l’Etat du Cameroun à CAMRAIL au point que la filiale du Groupe Bolloré-transport logistic, prise de court, ne puisse « le temps d’un sinistre routier » apporter en guise de solution que la perpétration d’une tragédie de grande ampleur, inédite dans l’histoire du rail camerounais ?
Amateurisme ? Assurément pas : la logique financière étant le leitmotiv de l’entreprise…
Mauvaises mesures prises dans des circonstances exceptionnelles visant à présenter aux yeux du public camerounais l’image longtemps « battue en brèches » d’une entreprise citoyenne ? Certainement…
2) La logique financière et la gestion « court-termiste » du patrimoine ferroviaire par CAMRAIL-Bolloré à l’épreuve du déraillement d’Eséka…
Le rattrapage désespéré par CAMRAIL d’une image citoyenne depuis longtemps écornée, se devait-elle d’être remise circonstanciellement au goût du jour, ce vendredi 21 octobre 2016, alors que l’actif principal, le capital humain c’est-à-dire la technostructure avait auparavant été oubliée, balayée sans état d’âme par « la doxa financière impitoyable de CAMRAIL-Bolloré » ?
Les alertes sur l’état du rail camerounais affaibli à certains points sensibles de TRANSCAM I (Yaoundé-Douala) et de TRANSCAM II (Ngaoundéré-Belabo-Belabo- Yaoundé) n’ont pas toujours été suivies d’interventions réparatrices appropriées. La SITRAFER, chargée par CAMRAIL de l’entretien des voies n’a-t-elle pas vu son contrat résilié en 2014 ?

Les savoir-faire des ingénieurs et corps des métiers du chemin de fer de la défunte REGIFERCAM recrutés par la SITRAFER grevaient-ils à ce point la rentabilité de CAMRAIL ? En sacrifiant à nouveau l’entretien des voies, la CAMRAIL Bolloré-Transport-Logistic n’est-elle pas tenue de répondre de sa présumée responsabilité dans la catastrophe ferroviaire survenue le vendredi 21 octobre 2016 à Eséka, laquelle endeuille la nation camerounaise tout entière ?
L’impréparation de la CAMRAIL dont l’option n’est pas ‘‘voyagiste’’ depuis la privatisation de la REGIFECAM en 1999, explique assurément que l’Entreprise était dénuée ce vendredi 21 octobre 2016, de solutions pour faire face aux sollicitations et à l’affluence des voyageurs déportés à l’Elig-Essono, après le sinistre de Manyaï. Dans ces conditions, qu’est-ce qui a bien pu obliger le concessionnaire du chemin de fer camerounais CAMRAIL à se résoudre, n’ignorant rien de l’état de la voie ferrée, à autoriser un rallongement de huit (08) rames de voyageurs modernes acquises, aux dires de certains, en Chine et incompatibles au système de freinage des wagons habituels de CAMRAIL ainsi qu’aux normes actuelles qui eussent nécessité, tel n’est pas le cas, un écartement des rails de 1,435 millimètres ?
Le concessionnaire CAMRAIL aurait, selon des sources dignes de foi, avoué son incompétence quant à une réponse technique et une solution appropriée au transport des milliers de voyageurs désirant se rendre à Douala, le vendredi 21 octobre 2016. Ce qui se justifie objectivement : le transport peu porteur des voyageurs n’est pas « la tasse de thé » de CAMRAIL. Auquel cas, ce serait sous la contrainte d’une voix gouvernementale autorisée ou censée l’être, que la décision de CAMRAIL aurait été prise : l’hypothèse est plus que probable…
3) Les réclamations et ressentiments exacerbés des populations riveraines du rail, trop longtemps occultés…
Les riverains du rail, notamment ceux des dessertes intermédiaires en « zone bassa », sont particulièrement remontés contre le parti-pris que le concessionnaire du chemin de fer- CAMRAIL, affecte pour le transport des marchandises, la gestion de l’ensemble des flux de production d’aluminium de l’usine d’Edéa, la logistique de TOTAL, celle de la construction du pipeline Tchad-Cameroun, au détriment du transport des voyageurs. Or, du temps de la défunte et regrettée REGI FERCAM, les gares « secondaires » étaient des espaces marchands et voyageurs privilégiés des localités desservies par les trains-réguliers, couchettes, marchandises à vocation « domestique ».
L’histoire douloureuse des ascendants de nombreuses familles riveraines du rail, tombés lors des travaux forcés de construction du chemin de fer commencés sous le protectorat allemand (1884-1919) et poursuivis sous la tutelle franco-britannique (1919-1958) est présente dans la mémoire collective de la quasi-totalité des habitants des localités du Nyong & Kellé, de la Sanaga-Maritime et du Littoral, abritant une station ferroviaire. Eu égard à la valeur affective et à la charge mémorielle associées à la présence du rail dans leur localité respective, les riverains précités du chemin de fer camerounais considèrent qu’ils ont « un droit de préemption sociale » sur le rail camerounais. En clair, ils sont convaincus qu’ils sont fondés de réclamer de la part des utilisateurs de la voie ferroviaire et plus particulièrement des exploitants, à défaut de reconnaissance, au moins le respect dû à la mémoire de leurs ancêtres dont l’énergie et très souvent la vie ont été consacrées à ce qui deviendra, sous la première République, le TRANSCAMEROUNAIS.
4) L’actif principal de la REGIFERCAM dévoyé et « réduit en cendres » par CAMRAIL au péril de la sécurité des Camerounais ?

La REGIFERCAM, en son temps avait visiblement dans son cahier des charges, inséré la dimension socio-historique, économique, affective et symbolique liée aux prétentions, demandes et réclamations des populations riveraines du rail. La multiplication des stations ferroviaires desservies par des trains « domestiques » dont la rentabilité était nulle, n’avait de vocation que socio-affective. Il était même courant que les riverains du rail aillent jusqu’à se targuer de n’avoir pas à « bourse délier », au motif que le prix suprême avait été payé par leurs ascendants. Il reste, toutes proportions gardées, que les centres de santé, écoles, logements des cheminots et autres infrastructures créées par la REGIFERCAM pour faire vivre les localités abritant les stations ferroviaires, ont contribué à fédérer les sensibilités, créer une synergie participative, voire asseoir une adhésion psychoaffective bénéfique à l’image citoyenne de la REGIFECAM auprès des populations voisines du rail. L’héritage illustre et le prestige mérité de la REGIFECAM peinent, cela va de soi, à être assumés par CAMRAIL. Le temps est aujourd’hui lointain où, sous le Directeur Général NTANG Gilbert, la Régie Nationale de Chemin de Fer du Cameroun pouvait acquérir, sans coup férir vingt (20) locomotives ‘‘BOMBARDIER’’ de transport des voyageurs issues du concessionnaire canadien, leader mondial, pour « booster » l’offre de transport des voyageurs et des marchandises, avec en prime l’expertise avérée des ingénieurs et corps des métiers du chemin de fer camerounais.
Soyons un tant soit peu sérieux : où sont passés les savoir-faire cumulés de la REGIFERCAM dont la technicité reconnue des ouvriers, agents de maîtrise, agents techniques, ingénieurs avait franchi les frontières camerounaises ? Que sont devenues les structures, infrastructures où s’effectuait le rembobinage des moteurs d’avions et locomotives « BOMBARDIER » qui faisaient la fierté et l’estampille de qualité de la REGIFERCAM ? Comment peut-on expliquer que des compétences avérées et multiformes aient été sacrifiées à l’autel des logiques financières du néo-libéralisme « aveugle » et de la compétitivité « absurde » ?
5) Une commission d’Enquête administrative juge et partie pour quels résultats ?
Maintenant que le Président de la République du Cameroun, Paul Biya a créé une commission d’enquête par décret n°2016/424 du 25 octobre 2016, présidée par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, avec pour missions :
a) Déterminer les causes de cet accident ferroviaire et proposer les mesures visant à limiter les risques de survenance d’une telle catastrophe à l’avenir ;
b) Etablir les responsabilités y afférentes ;
c) Evaluer la gestion de cette catastrophe, l’assistance aux victimes et faire toute proposition pertinente y afférente.
Il convient de répondre à une foule d’interrogations dont nul n’a la prétention de l’exhaustivité.
Au premier rang des questions brûlantes qui traversent l’opinion publique, se pose celle de savoir : où en est le projet d’autoroute Douala-Yaoundé ?
Comment peut-on à l’heure « des grandes réalisations » annoncées, expliquer les errements, négligences, ‘‘rafistolages’’ et ‘‘bricolages’’ observés sur la nationale N°3 et dans le même temps, s’étonner que malgré les multiples correspondances adressées par l’autorité administrative locale de Matomb, au sujet des fissurations de la voie au lieu-dit Manyaï, « le Maître d’Œuvre des Travaux Publics » pour le compte du gouvernement camerounais n’ait pas cru devoir réagir ou intervenir avant le sinistre ?
Fallait-il attendre ‘‘ l’effondrement des buses métalliques datant de plus de trente ans’’, sur un axe routier capital, pour envisager « une voie de contournement » et se prévaloir ‘‘sans sourciller’’ d’avoir ‘‘ promptement ’’ rétabli la circulation ‘‘ le tout sur un ouvrage provisoire ’’ ?
S’il est une responsabilité morale à établir dans la dramaturgie de « la série noire » de ce « vendredi noir », sera-t-il possible d’occulter que « le nœud » : le sinistre de Manyaï ait pu entraîner « le dénouement » tragique d’Eséka ?
La première leçon à tirer de l’imbrication du sinistre routier de Manyaï et de la catastrophe ferroviaire d’Eséka survenue le même jour, est qu’une défaillance, une négligence, une attitude attentiste ou condescendante d’un haut commis de l’Etat peut avoir des conséquences incommensurables, conduire à des pertes irréparables, inestimables.
Un Ministre de la République est un serviteur de l’Etat c’est-à-dire en réalité du peuple. Il n’est donc pas un « roitelet » qui agit à sa guise en obéissant à aucune discipline gouvernementale et à aucune éthique républicaine au sens de l’étymon ‘‘res publica’’ sous-tendant le respect de ‘‘la chose publique’’.
La deuxième leçon se décline en ce que les événements inédits survenus le vendredi 21 octobre 2016 sonnent comme un avertissement signifiant clairement que nous avons dépassé la côte d’alerte, « franchi la ligne rouge » des questions infrastructurelles routières et ferroviaires au Cameroun.
Un accident en général est de l’ordre de l’imprévisible et Dieu seul sait qu’il en arrive partout dans le monde, même dans les pays dits développés. Mais, lorsque le sinistre survient dans un contexte où les risques sont connus, les insuffisances identifiées, et que ces facteurs d’alarme, au fil du temps, se sont accumulés dans l’indifférence et « le déni de la réalité », alors ce sinistre peut revêtir tous les noms : conspiration – complot – incurie – incompétence – léthargie et surtout ‘‘défiance’’ – déstabilisation ‘‘ irresponsabilité coupable’’… Le registre en l’espèce est inépuisable. Et c’est ici que « le bats blesse… ».
La troisième leçon est qu’il sera très difficile de déterminer les causes de la catastrophe du 21 octobre 2016, en ne levant pas le voile sur la responsabilité avérée des décideurs qui, en mars 1999 ont décrété la liquidation de la REGIFERCAM, sans prendre en compte dans la convention de concession de la gestion du transport ferroviaire signée le 19 janvier 1999 entre la République du Cameroun et la Société CAMRAIL, la prescription du Chef de l’Etat Paul Biya, relative à la sauvegarde de « l’actif principal : l’investissement humain ».
En effet, le Conseiller à la Présidence, Christian PENDA EKOKA faisait observer dans un entretien télévisé que « durant les privatisations, l’on a privilégié la logique financière au lieu des acquis, pourtant très chers au Chef de l’Etat qui, après une concertation, l’avait marqué en rouge de deux barres. En privatisant les chemins de fer, on a oublié l’actif principal, les milliers d’ingénieurs avec tous les corps des métiers que comportent les chemins de fer, on a privatisé sans se soucier du devenir de l’investissement humain ».
A preuve, le décret du 19 mars 1999 signé et publié le même jour, portant privatisation de la Régie Nationale des Chemins de Fer du Cameroun (REGIFERCAM) stipule en son article 2 : « la liquidation de la REGIFERCAM est chargé conformément à la législation et à la règlementation en vigueur, de la réalisation de l’actif et de l’apurement du passif, dont les éléments respectifs ne sont pas repris pour le compte du concessionnaire au titre de la convention de concession de l’activité ferroviaire au Cameroun, signée le 19 janvier 1999 entre la République du Cameron et la Société CAMRAIL ».
La Société CAMRAIL, dès sa création, avait comme par enchantement, en sus de la mainmise sur la gestion du transport ferroviaire, un marché offert de 400 milliards de francs CFA qui auraient pu ou auraient dû bénéficier aux caisses de l’Etat camerounais : le transport du matériel lié à la construction du Pipeline Tchad-Cameroun. En d’autres termes : la CAMRAIL a sa naissance a hérité d’un pactole qui eut pu lui autoriser « le rachat au franc symbolique du patrimoine ferroviaire au Cameroun avec à la clé un marché dont les dividendes étaient censées revenir aux caisses du trésor de l’Etat du Cameroun ». Simple coïncidence ou braderie organisée ?
En misant sur le transport des marchandises, la gestion de l’ensemble des flux de production d’aluminium d’Alucam-Edéa, la logistique de la construction du Pipeline Tchad-Cameroun et la logistique de TOTAL, CAMRAIL-Bolloré devenue par décret, propriétaire du Patrimoine ferroviaire camerounais, était fondé, la force et les termes du décret aidant, de s’inscrire dans la logique financière outrancièrement rentable, et outrageusement insultante pour les populations et passagers camerounais ayant choisi le train comme moyen de transport.
Le délabrement des rails et la difficile cohabitation avec la SITRAFER chargée par CAMRAIL de l’entretien des voies et dont l’essentiel de l’expertise était en partie liée à « l’actif principal de la REGIFERCAM », ne trouveraient sans doute aucun, leurs justifications que dans la confrontation des orientations : Rentabilité à outrance pour CAMRAIL-Bolloré et refus de la caution accordée à SITRAFER relativement à son expertise avérée sur les travaux d’entretien de la voie ferrée. Traduction : La CAMRAIL était constamment en ‘‘porte à faux’’ avec le cocontractant SITRAFER dont les exigences afférentes à l’entretien des voies ferrées excédaient les « déontologues » du profit à tout prix.
Mais était-ce à tous les prix ?
Le deuil national décrété le 24 octobre 2016 par le Président Paul Biya devait-il s’inscrire en droite ligne des conséquences d’une braderie qu’il avait pris, dix-sept ans plus tôt, le soin de prévenir ?
Que non ! Il se trouve cependant qu’aucune leçon n’a été tirée depuis septembre 2009, du déraillement à Yaoundé d’un train-voyageurs ayant causé 5 morts et 300 blessés… N’était-ce pas suffisant pour tirer la sonnette d’alarme, et interroger « la perte » d’un pan de notre expertise nationale au profit « des marchands d’illusion » ? Sept ans plus tard, les mêmes causes, produisant les mêmes effets, une nouvelle catastrophe de plus grande ampleur se produit, inédite cette fois.
On en arrive à se demander : « A quels saints se vouer ? »
6) Les voies ‘‘de l’émergence, ne seraient-elles pavées que de bonnes intentions ?
Il ne faut pas imaginer un instant, sauf à être injuste que la question du patrimoine ferroviaire camerounais ait échappé au Gouvernement camerounais. Loin s’en faut… Le 04 novembre 2008, l’Etat du Cameroun et CAMRAIL signaient l’avenant N°2 qui donnait un droit de regard au gouvernement sur la gestion du rail ! En 2009, les services du Premier Ministre Philémon Yang instruisaient la CAMRAIL de faire parvenir le rapport d’exécution de la convention relative au transport des voyageurs qui lie CAMRAIL au Gouvernement du Cameroun. Dans ce même délai, le concessionnaire était astreint de soumettre au Premier Ministre, le projet de création de la Société du Patrimoine dans le secteur ferroviaire au Cameroun.
C’est dire qu’une démarche méthodique est conduite par l’Etat du Cameroun, visant à se réapproprier tout son patrimoine ferroviaire. Depuis 2012 un impressionnant « Plan ferroviaire national a été défini, lequel nécessiterait à l’horizon 2020, près de 15 000 milliards de francs CFA pour la construction à cout, moyen et long termes d’un réseau de transport performant selon les standards modernes avec un rail de 50kg et un écartement de 1. 435 millimètres » aux fins d’intensifier et densifier les échanges dans le pays ainsi qu’avec les pays voisins.
C’est dans ce sillage que l’arrêté portant « création, organisation et fonctionnement de la commission spéciale ad hoc de sélection d’une entreprise chinoise pour la construction du chemin de fer et du terminal minéralier du projet Mbalam et de la mise en œuvre du Plan de développement de la boucle minière du Dja » a été signé le 13 juin 2015.
Les études de faisabilité des tronçons Edéa-Port de Kribi (136 km), Mbalam – Port de Kribi (602.6 km), Douala – Limbé (73.5 km) ; Ngaoundéré – Douala (907.5 km) sont censées être bouclées cette année ; ceci au titre de la première phase du Plan Directeur Ferroviaire National.
L’audit sur la convention de concession, d’exploitation de l’activité ferroviaire sur le réseau de la République du Cameroun, initié le 23 mars 2015, rentrait assurément dans le souci d’ériger un cadre juridique idoine pour « la création d’une société de Patrimoine de chemin de fer au Cameroun ».
Dans le moyen et long termes, les villes de Kousseri,Kumba, Wum, Gamboula, Foumban, Bafoussam, Mora, Ngoya, Jakiri et Mintom, selon les études coordonnées par le Ministère de l’Economie du Plan et de l’Aménagement du Territoire, se destinent à accueillir ce nouveau mode de transport.
Au total, un Plan Directeur Ferroviaire National ambitieux, généreux, à la fois indispensable et opportun pour impulser, voire ‘‘catalyser’’ l’économie camerounaise, accroître les échanges, favoriser les brassages entre les populations. A contrario, la tragédie ferroviaire du 21 octobre 2016 à Eséka n’indique-t-elle pas que « nous nous hâtons lentement ? ».

7) Le temps des réparations et des actions concrètes
Il est utile que cesse la guerre des chiffres sur les victimes du déraillement du train Intercity 152, du 21 octobre 2016 à Eséka. Il reviendra à la Commission d’Enquête décrétée par le Chef de l’Etat, de faire toute la lumière tant sur les victimes identifiées que les disparus dont les familles seraient restées plusieurs semaines après, sans nouvelle, si d’aventure il en existait. Ce qui n’est pas à exclure.
La vérité sur le nombre des victimes doit passer au crible, les passagers ayant pris le départ à Yaoundé. Ceux, recensés dans les hôpitaux des suites de blessures et traumatismes, ceux, assistés psychologiquement ; ceux ayant survécu.
A ce sujet, l’enquête devra mettre à contribution la société civile locale d’Eséka, les autorités administratives, traditionnelles et religieuses du Nyong et Kellé à travers des descentes sectorielles sur le terrain de l’accident. Les enquêtes de police, de gendarmerie et des corps de métiers de CAMRAIL seront tout aussi utiles.
Il sera aussi question de revenir sur les causes de l’accident que de nombreuses présomptions font peser sur « l’état de délabrement des rails », « la logique financière » au détriment de « la sécurité des voyageurs », de « mauvaises mesures prises dans un contexte exceptionnel, sous-tendu par de bonnes intentions… »
Les réponses immédiates doivent être apportées à l’instar de celles inhérentes à l’entretien des voies ferrées dont l’inconstance a été à maintes reprises dommageable et périlleuse pour les voyageurs et riverains du rail.
Il n’est pas anecdotique de relever en passant, le pseudonyme ‘‘BOKO HARAM’’ infligé par les populations du Nyong & Kellé aux trains Intercity – pour souligner leur caractère ‘‘meurtrier’’ et les nombreux accidents mortels survenus généralement, à la traversée des passages à niveau.
Il ne faudra pas faire l’économie de la mise en œuvre et de l’application dans les délais les plus brefs de la première phase du Plan Directeur Ferroviaire National, avec en prime la normalisation aux standards modernes des voies ferrées existantes et futures, ne serait-ce que pour rendre opérationnelles plus de « soixante-dix unités de matériel roulant voyageurs modernes venant de Chine, lesquelles réceptionnées par l’Etat du Cameroun, seront remises au concessionnaire CAMRAIL ».
Il convient de rassurer les populations du Cameroun, non seulement sur l’empathie de l’Etat Camerounais au lendemain de la catastrophe, mais aussi sur l’inscription dans la durée des réparations et compensations en mesure d’alléger le poids de la perte des êtres chers, et la communication à la nation, de la bienveillance de l’Etat du Cameroun.
L’opinion, malgré le déploiement des membres du gouvernement et leur assistance aux victimes, sur hautes instructions du Chef de l’Etat a cru percevoir une manière de ‘‘détachement’’, ‘‘de distance’’, d’attitudes qui participaient plus de la « représentation administrative » que « d’un train d’actions appropriées et rodées » applicables aux catastrophes d’une telle envergure. La médiatisation de l’évènement malheureux, cela peut être compréhensible a choisi la prudence et la neutralité, en ne se risquant pas dans « le langage de la douleur » et « le registre de la surenchère émotionnelle ».
Passé le temps de l’alarme, des chocs psycho-traumatiques et des dérapages observés dans les « réseaux sociaux », il reviendra à la Commission d’Enquête de prescrire, outre la batterie des actions à entreprendre par les sectoriels impliqués, en cas de catastrophe, de définir la nature précise des devoirs qui reviennent à l’Etat, aux partenaires sociaux, publics et privés lorsque survient une catastrophe d’envergure nationale.
La communication gouvernementale « trop mesurée » à ce sujet, a laissé penser que rien n’était entrepris, en dehors du ferme engagement du Chef de l’Etat, quant à « la prise en charge des frais couvrant les soins à apporter aux victimes et blessés recueillis dans les formations hospitalières du pays ».
Le terrain communicationnel, quelque peu déserté, a vite été envahi par une multitude d’informations rivalisant d’alarmes, d’explosivité, de surenchère et même d’arrière-pensées ‘‘politiciennes’’.
Il va de soi qu’un maillage plus large de la collecte d’informations sur le terrain par la Commission d’Enquête administrative, devra s’étendre au sinistre de Manyaï, pour circonvenir « aux thèses complotistes qui ont pignon sur rue au sein d’une bonne frange de l’opinion ».
Trop de coïncidences ne manquent pas d’alimenter des suspicions, les unes plus « farfelues » que les autres : certains ont tôt fait d’admettre qu’il y a « anguille sous-roche ». Parallèlement, surgissent des considérations émanant d’une ‘‘veine’’ où les superstitions se le disputent avec « des thèses anthropocentriques ». Selon ces dernières, la localité du sinistre routier « Manyaï » du nom de la rivière éponyme, est ‘‘chargée’’, d’un point de vue toponymique, d’un ‘‘réseau de signifiance’’ affleurant à « la colère » ou aux « colères », « grondements », « accès de colère » dans la langue de l’ethnie « bassa ».
La légende raconte que le lieu doit son nom à un accès de colère du leader de l’UPC, Ruben Um Nyobè, offusqué pour des raisons sans doute avérées, de l’incrédulité ou des incompréhensions sous-jacentes à la lutte des indépendances.
Que le sinistre de « Manyaï » ait conduit à la catastrophe inédite trouve, de l’avis des tenants de la thèse de « la colère ancestrale des patriotes et Martyrs de la cause nationale ignorés », une explication toute faite.
Par ailleurs, le nom de la ville capitale du Nyong & Kellé Eséka, émanerait « des collines jumelles » qui surplombent le chef-lieu du département, désignées dans la langue Bassa « SÈGA » c’est-à-dire « pareilles » ; « égales » ; « les mêmes » ; « identiques ». Dans un processus de « dérivation impropre » voire même de transfert « d’assiette lexicale », ‘‘SEGA’’ va conduire à la traduction de « ba yé SEGA » par « Eséka ». Les idéologues de « l’anthropologie historico-culturelle » voient dans la toponymie de « Manyaï ma Sèga », une explication des « correspondances », une justification de la « congruence » des événements malheureux du 21 octobre 2016, fussent-ils « échevelés » par la logique rationnelle. En clair, selon eux, une ‘‘gémellité’’ entre les événements isolés mais « co-incidents », existerait, dans un « horizon » que seuls « les initiés » sont autorisés à scruter.
Attaché au combat que mènent les peuples africains, soumis depuis le Congrès de Berlin de 1884, à la « balkanisation », aux « chaînes historiques de la division » perpétrées par « les impérialismes », poursuivies par « la colonisation », reconduites par le néo-colonialisme, et métamorphosées par le « néo-libéralisme économique », le Conseil Représentatif des Associations Noires de France (le CRAN) dont il me revient la charge de l’Afrique et des Affaires Internationales, avec le recul indispensable, devant l’extrême gravité des pertes humaines matérielles et financières subies par le Cameroun, suite à la catastrophe ferroviaire d’Eséka, suggère :
1- Que soit pris en compte, dans le cadre de la gestion « post-ante » du traumatisme causé par la catastrophe ferroviaire d’Eséka dont « l’onde de choc » s’est répercutée à l’ensemble de la nation entière, l’utilité de convoquer « l’anthropologie, la culture et la tradition en ‘‘pays bassa’’et partout ailleurs au Cameroun, des morts par accident ».
Le « sang versé des camerounais »et assurément de bon nombre d’étrangers sur les lieux de l’accident ferroviaire du 21 octobre 2016 à Eséka, au-delà des explications techniques, humaines, structurelles, infrastructurelles, nécessitera qu’il ne soit pas perdu de vue, la « convocation de nos traditions millénaires », n’en déplaise à ceux qui nous ont réduit à 56 ans d’âge, aux fins de sacrifier aux « offices de conjuration du mauvais sort ».
Les rituels autochtones appropriés en ‘‘pays bassa’’et dans toutes les Régions du Cameroun existent.
Dois-je me dédouaner en précisant que dans nos langues autochtones, ‘‘le pays’’ désigne ‘‘l’ethnie’’ ? Je poursuis : l’Etat du Cameroun ne doit pas négliger cette dimension anthropologique révocatrice des désastres dans l’espace où ils se sont produits.
Ne sommes-nous pas africains et de surcroît, camerounais ?
Les rituels autochtones appropriés, conduits par les « Ba Mbombog » et autres initiés des traditions similaires dans les dix Régions du Cameroun, sont de notre avis, indispensables pour un retour à l’apaisement des vivants, à l’accompagnement des âmes des disparus, à « la purification des lieux de l’accident ».
La rupture de la chaîne tragique est indispensable pour qui sait en Afrique que « les morts ne sont pas morts ». Elle nous oblige à souscrire, par devers les cultes et autres commémorations issues de notre historicité religieuse et politique récente, à l’invocation du « souffle de nos ancêtres ».
L’homme n’est-il pas que « l’instant d’un souffle » appelé à « retourner aux éléments dont il est constitué » ?
2- Qu’un accent tout particulier soit accordé à l’accélération des travaux de modernisation et de normalisation des voies ferrées, de finalisation des études de faisabilité afférentes à la première phase du Plan Directeur Ferroviaire National portant sur les tronçons Edéa – Port de Kribi (136 km) ; Mbalam – Port de Kribi (602,6km) ; Ngaoundéré – Douala (907,5 km) ; Douala – Limbé (73,6km), et de création de la Société de Patrimoine de Chemin de fer du Cameroun.
3- Qu’il soit tiré en toute objectivité et sans complaisance, toutes les leçons que prescrira la Commission d’Enquête décrétée par le Chef de l’Etat, lesquelles doivent déboucher sur l’application des mesures et actions concrètes.
Nous le devons à la mémoire des disparus.

Yaoundé, le 05 Novembre 2016

Le Vice-président du Conseil Représentatif des Associations Noires de France
Guy Samuel NYOUMSI
Contact : gsnyoumsi@gmail.com