Le train qui rallie les capitales Abidjan et Ouagadougou est plus qu’un simple moyen de transport. A bord de Sitarail, le voyage prend les allures d’une vraie aventure avec des surprises et des imprévus. Récit.

« Monsieur, le train part à 10h30, mais il faut être là à 8h ». Au téléphone, les conseils de la dame sonnent comme une mise en garde. Les temps ont changé. Le train qui assure la navette entre Abidjan et Ouaga part désormais à l’heure. Terminée l’époque où les horaires n’étaient qu’indicatifs. A 8 heures, le taxi à bord duquel j’avais pris place une trentaine de minutes plus tôt me dépose devant la gare centrale de Treichville. Je discute quelques minutes avec le conducteur, un certain Zemané, originaire de Garango. Quand on prend le taxi à Abidjan, on a mille chances de tomber sur un Burkinabè. Ils sont très nombreux dans ce secteur très concurrentiel. Zémané m’explique que c’est un « bon business si le taxi t’appartient et que tu n’es pas paresseux ». Je lui promets deux sacs de cacahuètes à mon prochain passage !

Dès que je suis descendu du taxi, un porteur se dirige vers moi, et sans me demander, se saisit de ma valise et se dirige vers la portée d’entrée. Dans la cour de la gare, la foule est déjà immense. Dans un brouhaha typique des marchés africains, on s’interpelle et on marchande. Deux contrôleurs vérifient la validité des billets avant que le passager n’accède dans le hall de la gare. Une fois à l’intérieur, les passagers sont dirigés vers deux files : ceux qui voyagent en première classe et ceux qui sont en seconde. En attendant l’embarquement, les premiers ont droit à une salle climatisée. Ils ont même droit à une petite collation. Le long du quai est animé. Des passagers se font aider par des porteurs jusqu’à l’intérieur du train. Contre quelques pièces ou un billet. De gros colis sont chargés dans les wagons marchandises, à l’arrière du train. Ce jour-là, 26 avril, 712 passagers dont 40 en première classe ont pris place à bord du train, répartis dans sept voitures. « Le maximum de voitures qu’on puisse avoir, c’est neuf (9) », m’explique un agent de la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail), la filiale du Groupe Bolloré concessionnaire du réseau ferré entre le Burkina et la Côte d’Ivoire. Avec le projet de la boucle ferroviaire qui part de Cotonou à Lomé via Ouagadougou, Niamey et Abidjan, les rames devraient être modernisés pour augmenter la vitesse du train et assurer plus de sécurité aux passagers. Dans cette optique, le premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan a lancé en septembre 2015 les travaux de réhabilitation des voies ferrées d’un coût de près de 260 milliards de FCFA. Mais depuis, silence radio. En attendant, c’est sur des rames qui datent de 1975 que le train roule, à une vitesse moyenne de 50km/h, et atteint 60 km/h au maximum sur certains tronçons.
Mes bagages rangés, j’essaie de m’informer sur le fonctionnement de cet outil qui assure depuis des décennies le trafic de marchandises et de personnes, mais que je n’avais jamais eu l’occasion d’emprunter. J’apprends alors que c’est la Société de transport ivoiro-burkinabè(STIB), contrôlée par un Burkinabè, Issaka Sawadogo qui exploite les trains, loués par Sitarail.
Tout a commencé en septembre 2002 avec la crise politico-militaire qui a coupé la Côte d’Ivoire en deux. Accusé par les autorités ivoiriennes de soutenir les rebelles qui occupaient le Nord, le gouvernement burkinabè avait purement et simplement fermé sa frontière avec son voisin. Le trafic était alors suspendu entre les deux pays, y compris le trafic de bétail. Les commerçants avaient dû se tourner vers les autres pays de la région comme le Bénin, le Ghana et le Nigeria. C’est alors que la STIB entre alors en jeu. Elle négocie avec les rebelles, l’Etat de Côte d’Ivoire et celui du Burkina pour trouver une solution à la reprise du trafic, tout en empêchant les infiltrations de part et d’autre. Depuis lors, ceux qui avaient l’habitude de prendre le train en conviennent : Rien n’est plus comme avant. « Il n’y a plus de surcharge dans les trains et l’époque où les couloirs étaient obstrués par des bagages est révolue. Chaque passager muni dans d’un ticket a désormais son siège ; on ne voyage plus debout, avec parfois des animaux comme c’était le cas », explique un salarié de Sitarail.
A 10h25mn, le signal sonore retentit. Les derniers passagers se pressent de monter. Les portes se ferment et effectivement, à 10h30 pile, le train s’ébranle. On atteint très vite Adjamé, quartier populaire d’Abidjan. Des maisons de fortune, faites de vieilles tôles, des tas ordures en carton et en plastiques ornent le long de la voix ferrée. Au passage, on aperçoit l’imposant bâtiment de l’ONUCI. Vingt minutes après le départ, on atteint la gare du même quartier. A peine une minute d’arrêt et le train repart, fendant au passage un nuage de fumée que dégage l’incinération à ciel ouvert d’ordures plastiques.
En première classe, la climatisation est déjà à fond. Un écran vidéo, que s’affaire à faire fonctionner une dame, crache des décibels qu’elle refuse de baisser. « C’est comme ça monsieur, on baisse seulement la nuit », me répond t-elle sèchement alors que je lui demande de diminuer le volume. Il faut donc supporter les nuisances sonores, et regarder des clips de coupé-décaler de mauvaise qualité, un son médiocre et des images floues montrant des filles dans des postures lascives, se trémousser sans grande créativité artistique. Tant pis pour ceux qui ont payé cher le billet de première en espérant profiter de la tranquillité pour se reposer.
A 11h06, deuxième escale à la gare de Banco. Des femmes commerçantes sont installées à peine 2 mètres des rails. Je tire les rideaux pour mieux apprécier le paysage quand on m’intime l’ordre via un mégaphone de les refermer immédiatement. Je demande pourquoi ; on me répond que c’est comme ça !
Le train redémarre à 11h55. Sur un court tronçon, on sent bien qu’il accélère, mais ça dure à peine 5 mn. La végétation est dense. Des champs de papaye et banane se succèdent. Quelques minutes après, nouvelle accélération. Il en sera ainsi durant tout le trajet. Des accélérations par à-coups. En athlétisme, on dirait qu’il fait du fractionné. La dame vient d’introduire dans le lecteur, un DVD de mauvaise qualité, le son est aigu. Quant j’objecte, on me répond qu’il y a des gens qui aiment même si personne n’a rien demandé.
La première vraie escale intervient à d’Agboville pour 15 mn. Les vendeuses prennent d’assaut les fenêtres et proposent aux passagers des boissons, de la nourriture, des fruits, des lunettes de soleil, de la cola et des éventails ; ça peut servir pour ceux qui sont en seconde classe.
A 15h39, le serpent électrique entre en garde de Dimbokro. Je pense au musicien Nst’Kophie’s, le fils du coin. Sur la scène du Femua9, l’auteur du tube à succès dans les années 80, Zôgoda N’zué a eu du mal à faire bouger le public malgré sa débauche d’énergie. « Je m’appelle Nst Cophie’s ; je suis moi aussi Ivoirien, je viens de Dimbokro et je vous aime », avait-il fini par lancer, manifestement décontenancé.
A 16h04, le signal sonore retentit à nouveau. C’est reparti. Il est 18h20 quand nous arrivons à Bouaké, la ville où l’ancienne rébellion avait établi sa base. La nuit commence à tomber. Des passagers se précipitent dans une salle de prière attenante à la gare pour faires des ablutions et accomplir leur obligation religieuse.
Dehors, sur l’esplanade de la gare, c’est un marché qui bat son plein. On y vend de larges nattes, visiblement recherchées par les passagers, des sandales, des serviettes de toilettes, mais aussi des rafraichissements, des sandwichs et des brochettes. Le train repart quand la nuit est maintenant tombée. Dans le bar baptisé « Sopresh », l’ambiance est au top. Le cuisinier, un certain Sanou Abdoulaye est à au four et au moulin. Il sert du poulet et des frites, accompagnés de sodas et des bières ivoiriennes et burkinabè. « Il faut consommer les boissons et manger le plat sur place car il est interdit de manger dans les voitures », rappelle t-il gentiment à un client qui souhait emporter son repas. Faut croire que tout le monde n’est pas au même niveau d’information, car depuis le départ du train, des passagers n’ont pas arrêté de manger et boire. Sous les yeux du personnel à bord !
A 0h45, le train entre en gare à Ferkéssédougou. C’est ici que le train en provenance de Ouaga croise celui venant d’Abidjan. Les équipes s’échangent les directions : celle venue de Ouaga reprend la direction de Ouaga et pareil pour celle d’Abidjan. A chacun son territoire.

La suite demain

Joachim Vokouma ; Kaceto.net