L’affaire des tablettes offertes à l’assemblée nationale continue d’alimenter la polémique.
Dans ce ce texte ci-contre, l’auteur s’interroge sur les déclarations du Dr Wetta du Ren-Lac, une figure de la lutte contre la corruption au Butkina

Comme plusieurs auditeurs, j’ai suivi le Dr Wetta du Ren-Lac, invité sur une radio mercredi 11 novembre. Interrogé sur l’affaire des 130 tablettes à 65 millions de Francs CFA offertes par l’entreprise chinoise HUAWEI aux députés burkinabè, via le ministère de l’Economie numérique le jeudi 10 novembre 2016, il a nié l’existence d’un lien de corruption et mettra la polémique sous le compte de l’exagération.
Venant d’une OSC aussi dynamique et d’un militant à la pointe de la lutte anti-corruption, ceci est extrêmement grave. Dr Wetta n’est pas censé ignorer l’évolution du paradigme en matière de lutte contre la corruption dans le monde en général et dans le milieu scientifique en particulier. S’il l’ignore, qu’il nous excuse de le lui rappeler. Modestement.
Depuis 1998, le Burkina Faso s’est engagé dans un nouveau type de gestion qui place le résultat au cœur de tous les objectifs de développement. Dans ce processus, il se trouve que, par la Constitution, les lois et règlements qui ont été adoptés, les députés sont placés en début et en fin de chaîne du dispositif d’évaluation des performances de l’Administration publique. L’objectif principal étant, en accord avec l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, un de nos héritage coloniaux, de satisfaire au droit de la société ou du citoyen à « demander compte à tout agent public de son administration ». C’est ce qui fonde le principe de la reddition de comptes de l’Administration publique.
Par ailleurs, au nombre des critères de validité de l’évaluation figure son aptitude à expliquer quels facteurs ont produit quels effets (Trosa, 2003) sur l’intervention publique. La corruption, dont le caractère universel (Machiavel), par le fait qu’elle tend à devenir la norme (PNUD, 2003), est de notoriété au Burkina Faso, est un de ces facteurs que doit prendre en compte l’évaluation.
Si tous ces éléments sont intégrés, une évaluation sérieuse des performances de l’Administration par l’Assemblée nationale, à travers l’appréciation et le vote des instruments de gouvernance (Déclaration de politique générale, lois de finances et le discours sur la situation de la Nation), doit pouvoir à terme, « être le rapprochement entre les objectifs de départ et les résultats atteints, aux fins d’isoler les facteurs de pertes ou de gains, de les imputer à des personnes physiques ou morales, dans le souci d’engager les processus décisionnels visant à rétablir l’Administration ou les tiers dans leurs droits et sauvegarder l’impact recherché par l’intervention publique concernée ». Ceci a l’avantage de nous éviter l’expérience coûteuse, tapageuse et improductive des enquêtes parlementaires et de faire émerger une culture des dépenses publiques plus judicieuses.
La question qu’on peut se poser est la suivante : quel peut être l’efficacité de ce système d’évaluation des performances de l’Administration s’il s’ouvre à la corruption ? À mon avis, nulle.
Or, il faut noter que la rationalisation des investissements publics recherchée par l’évaluation se trouve parfois confrontée à des difficultés d’évaluation des coûts des interventions publiques. Ces difficultés sont de deux ordres. Elles peuvent être exogènes. Dans ce cas, ce sont les agents publics, eux-mêmes qui sont, soit dans l’incapacité d’estimer les coûts, au regard du fait que le concours d’un tiers est nécessaire. Qui vous garantit que les 65 millions ne sont pas intégrés aux coûts des prestations de HUAWEI, ce père noël d’un genre particulier ?
Le plus souvent, l’information juste pour le faire n’est pas disponible. D’autrefois, ce sont les services financiers qui ne communiquent pas suffisamment sur ces questions. Une attitude qui peut cacher des intentions corruptogènes à partir du moment où le besoin de rapprochement exige que toutes les informations soient portées dans les outils d’évaluation et qu’aucun gestionnaire public ne s’arroge le droit d’y déroger.
Ces pertes peuvent être d’ordre endogène. Aujourd’hui, l’excuse de l’ignorance des facteurs intégrés aux coûts ne peut être opposée puisque la concurrence est justement imposée pour éviter cela. S’il y a surévaluation ou sous-évaluation des coûts dans le contrat d’HUAWEI, on ne peut que remettre en cause le processus de passation du marché. Dans l’un ou l’autre des cas, c’est soit la qualité du produit ou la quantité qui sera impacté. S’il s’agit d’un prolongement de la culture de surestimation des coûts des interventions publiques (ce que l’ASCE-LC doit démontrer), il n’y a aucun doute que la qualité des prestations de HUAWEI sera réduite d’au moins 65 millions de francs CFA pour lui permettre de faire du profit. Ne soyons donc pas dupes !
HUAWEI aurait été mieux inspiré de passer par la représentation diplomatique de son pays pour faire ce don d’État à État, s’effacer et éviter cette polémique. Même si l’on sait que dans la plupart des contrats internationaux c’est une pratique courante, ici, tout porte à croire que nous sommes en face d’une naïveté et d’un amateurisme qui ont mis à nu les pratiques peu orthodoxes des gouvernants aux yeux du peuple. Donc de grâce trouver d’autres arguments.
Dr WETTA et le REN-LAC, ressaisissez-vous ! J’espère simplement que le Dr IBRIGA et son ASCE-LC ne vous suivront pas dans votre démarche et qu’ils vont investiguer pour trouver le lien entre ces fameuses tablettes distribuées aux ministres et aux députés

Ousmane DJIGUEMDE
oustehit@hotmail.fr
Pour Kaceto.net