Les 10 et 11 novembre dernier, le groupe de la Banque mondiale a lancé à Ouagadougou, son dernier rapport intitulé « Les femmes, l’entreprise et le droit 2016 », une étude sur les injustices et les inégalités qui frappent les femmes en raison uniquement de leur sexe. Les conclusions du document sont pour le moins stupéfiantes. 47 différences de traitement juridiques entre hommes et femmes ont été identifiées, avec des niveaux critiques selon les régions du monde. Les 30 économies qui affichent au moins 10 différences de traitement juridique se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (18), en Afrique au Sud du Sahara (8), en Asie de l’Est et Pacifique (2) et en Asie du Sud (2).
Aussi surprenant que cela puisse paraitre, on y apprend que dans certains pays, la femme ne peut faire une demande de passeport sans l’aval de son mari ; elle ne peut transmettre sa nationalité à ses enfants, avoir une carte d’identité ou ouvrir un compte tant que l’époux n’a pas donné son accord.
Quant à l’âge du mariage, la différence entre les deux sexes est également frappante. En Iran, l’âge légal du mariage est de 15 ans pour les garçons et 13 pour les filles ; 18 contre 16 au Mali ; 17 contre 15 au Koweët ; 22 contre 20 en Chine.
Ce qui est quelque peu réconfortant, c’est que des progrès sont enregistrés dans toutes les régions dans la volonté d’éliminer les traitements différenciées. Du moins dans les textes, car en réalité, plusieurs pays adoptent des lois progressistes mais ne les appliquent guère. La loi sur le quota Genre au Burkina en est un exemple.
A quelques heures avant de prendre son avion, Tazeen Hasan, une juriste spécialiste des questions de femmes à la Banque mondiale, venue présenter le rapport 2016 et débattre avec les femmes, fait le bilan des discussions et dresse un tableau sur les inégalités sexuelles dans le monde

Pourquoi avoir choisi de lancer le rapport au Burkina ? Est-ce parce qu’il est un exemple ou contre-exemple en matière de réformes sur les droits des femmes ?

Il y a deux ans, le lancement s’est déroulé au Togo et nous le faisons cette année au Burkina. Tout d’abord, le Burkina est en avant garde sur l’égalité des sexes depuis les années quatre-vingt. Autrement, il faut relever la vision décrite dans le programme national du gouvernement de travailler sur l’autonomisation des femmes burkinabè. Ces points sont clés pour en faire du progrès dans ce qui concerne l’égalité hommes-femmes et c’est une des raisons pour lesquelles, notre choix s’est porté sur le Burkina pour le lancement du rapport 2016

Le rapport dresse un tableau des inégalités et injustices dont sont victimes les femmes dans le monde. Y a t-il un fondement idéologique commun à toutes ces inégalités ? Autrement dit, qu’est-ce qui justifie que partout les femmes sont moins payées que les hommes ?

Le rapport, « Les Femmes, l’Entreprise et le Droit » prouve que l’inégalité juridique existe toujours à travers le monde. Bien que le rapport n’identifie pas une idéologie derrière les inégalités juridiques, il montre que l’existence de différences de traitement juridique entre hommes et femmes est un phénomène courant : sur les 173 économies étudiées, 90% ont au moins une loi qui entrave la capacité des femmes à poursuive des opportunités économiques. Cela affecte en particulier la participation des femmes au marché du travail et leur capacité d’obtenir des revenues. Par exemple, une plus grande inégalité pour les femmes sur le plan juridique entraîne un taux de scolarisation des filles plus faible dans le secondaire, un nombre moins important de femmes chefs d’entreprise ou salariées et un écart salarial plus grand entre les hommes et les femmes.

Dans le rapport, on apprend que "les 30 économies qui affichent au moins 10 différences de traitement juridique se trouvent dans la région Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (18), en Afrique subsaharienne (8), dans la région Asie de l’Est et Pacifique (2) et en Asie du Sud (2). Qu’en est-il de l’Europe et l’Amérique du Nord ?

Le rapport constate que la plupart des réformes des deux dernières années visant à promouvoir l’égalité entre les sexes ont été adoptées par des économies en développement. On observe que 19 réformes ont été adoptées en Europe et en Asie centrale, 18 en Afrique subsaharienne, 16 en Amérique latine et aux Caraïbes, 12 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et 11 en Asie de l’Est et Pacifique.
C’est l’Asie du Sud qui a le moins réformé avec seulement 3 réformes. Dans les pays à revenu élevé membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), les efforts de promotion de l’égalité sur le plan économique se sont poursuivis, et 12 pays ont adopté en tout 15 réformes au cours des deux dernières années. La région Europe et Asie centrale est l’une des plus avancées en matière de droits de propriété d’accès au crédit, et de congés de maternité et paternité. Cependant, les législations du travail empêchent encore les femmes d’accéder à de nombreux types d’emplois. Par exemple, un quart des pays à revenu élevé de l’OCDE limitent la capacité des femmes à travailler au même titre que les hommes. En France, par exemple, les femmes ne peuvent pas travailler dans des emplois qui exigent de soulever des poids supérieurs à une certaine limite. Ces restrictions peuvent réduire le potentiel de gains des femmes et leur participation au marché du travail, exacerbant l’écart salarial entre les sexes et ralentissant la croissance économique potentielle d’un pays.

Quel est votre avis sur les quotas que certains pays ont adopté dans le but de promouvoir les femmes ? Certain (es) estiment que cela ressemble à une promotion de la médiocrité...

Depuis 2014, le rapport Les Femmes, l’Entreprise et le Droit a commencé à examiner de plus près la capacité des femmes à accéder aux institutions de la vie publique et économique en tenant compte des quotas légaux de femmes au sein des conseils d’administration d’entreprises, des parlements et des administrations locales. Le principe de l’équité est au cœur des arguments en faveur des quotas hommes-femmes. Les quotas peuvent contribuer à rendre la place des femmes dans les postes de responsabilité plus conforme à l’équité et à améliorer
la « représentation descriptive »- ce qui peut se traduire par une prise en compte plus équitable des intérêts des femmes dans le processus de prise de décisions. L’objectif est d’améliorer la représentation effective des femmes. En plus de rendre la représentation et les résultats de l’action publique plus équitables, les quotas peuvent contribuer à une meilleure affectation des compétences féminines. En effet, selon une étude des dépenses publiques de plusieurs économies portant sur une période de plus de 35 ans, les économies qui ont adopté des quotas de sièges occupés par des femmes au parlement, par exemple, consacrent plus de ressources financières aux services sociaux et à l’aide sociale que les économies dépourvues de quotas. Dans l’État indien du Bengale-Occidental, les quotas instaurés en 1993 sur la présence des femmes dans les conseils de village ont fait évoluer les attentes et les opinions sur ce que les femmes sont capables d’accomplir.

De manière globale, avez-vous observé des changements positifs dans la lutte contre les inégalités entre 2009 et 2016 ? Quelle est la région qui a fait le plus d’effort pour parvenir à l’égalité entre les hommes et les femmes ?

Il est encourageant de constater que la tendance générale est positive. On observe que 19 réformes ont été adoptées en Europe et en Asie centrale, 18 en Afrique subsaharienne. Dans ces régions, 7 économies (33 pour cent) de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ont adopté 7 réformes visant à offrir plus de débouchés économiques aux femmes. En Afrique sub- saharienne, la moitié des lois discriminatoires qui étaient en vigueur en 1960 ont été réformés à la fin 2010.
Il y a 18 économies sans contraintes. Ceux-ci comprennent les économies que l’on attend d’être sur la liste, par exemple le Canada, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande. Cependant, il y a aussi des économies qui sont plus surprenantes comme la Namibie, l’Afrique du Sud et le Pérou qui montrent que l’égalité des cadres juridiques neutres ne dépend pas de développement économique. Historiquement, il y avait aussi des contraintes dans des pays européens comme l’Espagne et en Suisse où les lois obligeaient les femmes à obtenir l’autorisation de leurs maris pour travailler en dehors de leur foyer. Il doit y avoir des politiques ciblées pour lutter contre les lois discriminatoires.

Plus que les hommes, les femmes rencontrent des difficultés pour accéder au crédit. Y a-t-il un pays dans le monde qui peut être cité comme modèle dans sa politique d’accès au crédit ?

L’indicateur « accès au crédit » détermine le montant minimum des prêts pris en compte par les agences privées d’évaluation du crédit et les registres publics d’information sur le crédit ; il évalue aussi les agences et registres qui recueillent des données auprès des institutions de microfinance, des détaillants et des entreprises de service public.
Cette édition du rapport examine également la législation sur l’absence de discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale dans l’accès au crédit.
En n’enregistrant que les prêts d’un montant supérieur à un certain seuil, les registres publics d’information sur le crédit et les agences privées d’évaluation du crédit excluent les petits emprunteurs, dont beaucoup sont des femmes entrepreneurs. Lorsque ces registres et agences ne comptabilisent pas les prêts consentis par des institutions de microfinance—dont la clientèle est largement composée de femmes—les clients de ces institutions ne peuvent pas faire valoir leurs bons antécédents de remboursement. Sur les 173 économies étudiées dans le rapport, 30 n’ont pas de registres publics d’information sur le crédit ou d’agences privées d’évaluation du crédit couvrant plus de 5 % de la population. En ce qui concerne la législation sur l’absence de discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale dans l’accès au crédit, le seul pays en Afrique subsaharienne qui peut être cité en exemple est l’Afrique du sud.

Durant deux jours, vous avez discuté avec les femmes Burkinabè. Qu’avez-vous appris de leurs problèmes spécifiques et leurs combats ?

Nous avons été très heureux et très honorés d’avoir pu tenir cet atelier d’information sur l’autonomisation économique des femmes ici à Ouagadougou.
Durant cet atelier, nous avons pris part à des conversations enrichissantes et des échanges très fructueux. Il reste toujours à faire dans la mise en œuvre et la pratique des textes. En effet, il ne suffit pas juste d’adopter les lois ; il faut également les appliquer. On voit que plusieurs pays y compris le Burkina, ont des lois en faveur de l’autonomisation des femmes, mais la différence réside dans leur application. C’est le cas dans plusieurs pays à travers le monde.

Rencontrez-vous des hommes impliqués dans les combats contre les inégalités sexuelles ?

Oui bien sûr ! J’ai rencontré beaucoup d’hommes qui ont rendu compte que l’inégalité a un coût élevé. Les hommes sont les partenaires indisponibles dans cette problématique. Ces hommes comprennent que l’effet des restrictions sur la capacité des femmes à travailler ont d’importantes conséquences préjudiciables, non seulement pour les femmes elles-mêmes, mais aussi pour leurs enfants, leur communauté et l’économie de leur pays.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net