Citoyenne italienne d’origine congolaise, eurodéputée du Groupe des socialistes et démocrates au parlement européen, Cécile Kyenge s’exprime sur la situation en République démocratique du Congo où les négociations menées par l’église catholique tardent à aboutir. Pour l’ancienne ministre italienne de l’Intégration, et qui a été chef de la mission d’observation de l’Union européenne pour les élections au Burkina Faso en lors des élections de novembre 2015, la mise à l’écart de Joseph Kabila du processus de Transition est un impératif politique et de salut national qui n’appelle aucun débat.
La Tribune ci-contre été d"abord publiée chez nos confrères de Actualités.CD

Le climat festif de ces jours a un peu ralenti notre intérêt à la chose congolaise, mais il n’y a pas de doute sur le fait que nos pensées sont restées fortement happées par les issues rebondissantes des négociations para-sacrées de la Cenco, aux prises avec la classe politique congolaise presque au complet.

On peut se réjouir de la participation massive des politiciens congolais à cette deuxième édition plus inclusive du dialogue, qui est en fait, entrain de dépasser les tares de l’édition profane et bâclée d’Edem Kodjo. Nous ne pouvons que constater le fait qu’entre Congolais, les politiciens se montrent bien capables d’avancer, sans nécessiter d’une médiation externe qui fut en soi bien médiocre. Certes, le caractère extra-institutionnel de ce dialogue en diminue la portée, mais aux yeux de la communauté nationale et internationale, c’est déjà très encourageant que la Cenco ait pris les choses en mains.

Cependant, la récursivité pathologique de certains arguments évoqués ici et là par des défenseurs de la stagnation politique nous impose de fixer quelques points d’ancrage, ne serait-ce que pour permettre à la machine dialogique de sortir du cercle vicieux, pour enfin marcher vers la direction par le peuple vivement souhaitée et même gravement réclamée. La trame qui pourra nous permettre de bien mener notre raisonnement est basée sur la situation politique du président de la République congolaise, Joseph Kabila, cause et effet de la discorde.

Au sein des pourparlers de la Cenco, il faut en effet établir de manière impérative le fait que Joseph Kabila est arrivé à la fin de son deuxième et dernier mandat présidentiel, le 19 décembre. De ce fait, il doit quitter la Présidence de la république, entendue non seulement comme Palais de la Nation, mais aussi comme fonction suprême, comme exercice du Pouvoir. Que les élections n’aient pas été organisées à temps sous le mandat de Kabila, selon les termes de la constitution en vigueur, est une trahison grave, un manquement dans la gestion de la RDC, qui mériterait des excuses si ce n’est une poursuite judiciaire assortie de sanctions administratives si non pénales.

Cette première vérité établie génère d’elle-même une suite de considérations toutes aussi impératives. En premier lieu, nous admettons qu’un régime spécial doit s’installer à Kinshasa, pour gérer une période de transition que le Congo pouvait hélas éviter. La transition, c’est une période pendant laquelle le peuple congolais ne pourra bénéficier d’un programme politique d’envergure, étant la responsabilité des commissaires fortement limitée. C’est pour cela qu’aucun congolais ne saurait se réjouir de la transition, si non que celle-ci doit être courte et orientée à la résolution d’un problème précis. Ici, ce problème, c’est l’organisation crédible des élections présidentielles et le rétablissement d’un ordre constitutionnel enfreint par les manquements du régime de Kabila. D’où la nécessité pour Kabila lui-même de se tenir hors du processus politique de la transition. C’est vraiment aussi simple que cela. Vouloir gérer la transition qu’il a lui-même maladroitement occasionnée, c’est créer un précédent antidémocratique qui vient ternir l’image de ses mandats politiques qui jouissaient pourtant d’une certaine légitimité.

Je voudrais ainsi évoquer le principe impératif de la neutralité de la transition, qui dans le cas de la RDC ne pourra être qu’une neutralisation mutuellement opérée par les forces politiques et des forces vives de la nation, sous la vigilance de la Cenco. Il faudrait donc obtenir un conditionnement mutuel des forces en place, à défaut de pouvoir demander aux prélats de gouverner le pays en attendant les élections. Ceci constituerait une théocratisation inacceptable du pouvoir en RDC. Mais, dans la perspective d’une participation plurielle à la gestion des affaires du pays pendant la transition, et plus encore, dans la perspective d’une gestion neutre, il parait bien évident que la participation injuste de Joseph Kabila à la transition viendrait établir un déséquilibre contredisant, propice à la perpétuation du glissement. Ceci introduirait en fait la continuité là où devait subsister la rupture, la fin. Le régime provisoire de la transition deviendrait de fait, provisoirement définitif.

Dans la continuité de ce raisonnement, il parait tout à fait évident que à l’issu de la transition, la liste des candidats à la présidence de la république ne saurait afficher le nom de Joseph Kabila. Ceci pour les mêmes raisons déjà présentées ci-haut. La prémisse de tout dialogue étant donc que Joseph Kabila a terminé ses tours. Avec lui doivent cesser aussi les persécutions judiciaires et les incarcérations d’ordre politique qui ne sauraient lui survivre sans perdre toute forme de signification. Kabila ayant terminé son mandat, le régime spécial devrait remettre les compteurs politiques à zéro, et laisser les congolais choisir parmi les offres politiques qu’on espère multiformes et variées. Kabila pourra revenir au pouvoir dans 5 ans, s’il saura se préparer à cet effet, et convaincre le peuple qui pourra alors lui accorder ses voix. Ce serait en tout cas après quelqu’un d’autre, pour le bien de la démocratie congolaise.

Les impératifs ici rappelés sont les termes de l’accord politique qui est en gestation à la Cenco. Tous les autres arguments que l’on évoque ici et là ne sont que des accessoires, certes importants, mais secondaires. Biaiser ces impératifs, c’est déposséder le souverain peuple congolais de son pouvoir indiscutable ; c’est aussi s’inscrire dans une logique politique autocratique où on essaye d’établir que parmi les plus de 75 millions de congolais, il y a juste un seul qui peut et doit présider le pays, même contre la loi constitutionnelle. Ce qui est notoirement faux.

Cecile Kyenge