J’apprécie le discours des autorités burkinabè qui nous rebattent les oreilles à longueur de journée sur la redevabilité des élus ou de l’administration vis-à-vis des citoyens. Tout récemment, le chef de l’État, Roch Kaboré, face aux journalistes venus l’évaluer dans le cadre du "Présimètre" a dit ceci : « Quand j’ai été approché par Diakonia et la CODEL, j’ai tout de suite donné mon accord. J’ai un devoir de rendre compte, de redevabilité, de communiquer et d’informer les populations. De ce point de vue, je trouve que c’est une très belle initiative et je souhaite qu’elle ne soit pas la dernière ». Fin décembre, il avait aussi salué « l’action de l’Assemblée nationale… dont les activités concourent à renforcer la nécessaire culture de la redevabilité dans la gestion des affaires publiques ».
Malheureusement, entre cette volonté et les actes posés, il n’y a un fossé quant à l’engagement de rendre réellement compte par la communication. Une situation qui le lit de la prolifération, depuis Blaise Compaoré, d’émissions d’antenne directe de critiques et de dénonciations sur presque toutes les stations de radio. Ces émissions sont porteuses d’éveil certes, mais aussi de germe de révolte contre l’État et d’incivisme à long terme dans un État organisé et véritablement démocratique, si elles ne sont pas redimensionnées pour respecter les lois et règlements.
En effet, entre l’absence de réponse à la demande de Ablassé Ouédraogo, en début de mandat, le silence face à la sollicitation des ex-mineurs de Tambao et du journaliste du journal « Le Reporter » plus récemment, ce mépris est quotidiennement exercé par l’administration et ses agents sur de nombreux Burkinabè. Alors que, aussi bien en janvier 1966 qu’en octobre 2014, les Burkinabè n’ont eu de cesse de tenir le même langage : le besoin de considération et l’obligation de redevabilité de l’administration.
Si « la communication avec le public est le principe qui fonde la légitimité de l’administration », en quoi répondre par un "oui" ou par un "non" motivé à une demande d’audience ou d’information d’un citoyen porte-t-il atteinte à l’intégrité, à l’honneur ou à la valeur de l’État, ou délégitime t-il l’administration ? Si la réponse à cette préoccupation est négative, alors, une telle attitude ne saurait s’apparenter ni plus ni moins qu’à un simple zèle de l’agent public ou du gestionnaire public installé de fait dans une logique de suprématie et de mépris vis-à-vis du citoyen. Cette posture traditionnelle de l’administration est plus caractérisée par la fuite des contacts "jugés suspects ou dégradants" et l’attitude d’une organisation (administration bureaucratique) qui "ne tolère aucune contradiction" et apparaît comme une véritable caste isolée du reste de la société". Sa seule envie, c’est d’imposer sa volonté et non de satisfaire l’intérêt général. Ce que le Canada, par exemple, qui a placé le citoyen au cœur de toutes les préoccupations de l’État et de l’administration, a dépassé depuis longtemps.

Or, de nos jours, l’État a montré ses limites dans tous les secteurs, y compris la sécurité et la diplomatie, et est contraint de ravaler son orgueil pour partager certaines de ses anciennes prérogatives avec d’autres acteurs (citoyens, personnes physiques ou morales), presque dans une posture de quémandeur de leur participation à certaines actions publiques. Du coup, il est contraint aussi de revoir son style de communication et de réexaminer sa perception de la redevabilité pour tenir compte de cette nouvelle donne.
Le principe de redevabilité, quelle que soit sa forme, était déjà universelle et date de très longtemps, parce qu’on en trouve des traces dans des écrits anciens. Mais, il n’a connu une formalisation qu’à partir de 1789 avec l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui dit ceci : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Il a été intégré dans nos lois et règlements puis a connu une évolution avec les mutations des besoins et des exigences des citoyens. Aujourd’hui, la prise en main et la promotion de ce droit fondamental sont assurées et défendues par des Organisations de la Société Civile (OSC), à travers le Contrôle Citoyen de l’Action Publique (CCAP). Mais ceci n’est qu’un aspect de la question de la redevabilité.
La redevabilité de l’agent et du gestionnaire publics emporte tout d’abord leur devoir de dire ce qu’ils comptent faire (pourquoi, comment, quand, avec quoi, par qui et où), ce qu’ils font (pourquoi, comment, quand, avec quoi, par qui et où), ce à quoi ils sont parvenus (pourquoi, comment, quand, avec quoi, par qui, où avec quels enseignements). Mais elle emporte aussi le droit pour le citoyen de disposer d’un canal de communication entre lui et l’administration, afin de briser le mythe de système clos et autonome véhiculé par l’administration publique qui colle de plus en plus mal avec le besoin de transparence du citoyen moderne et l’incessant appel à la participation du citoyen dans la gestion des affaires publiques lancé par l’État moderne.
Ces nouvelles exigences impliquent, comme l’a dit le Président Kaboré, un devoir de communication. Mais pas à n’importe quel prix, ni dans n’importe quelle forme ! Qui parle de communication, parle nécessairement de la mise en présence d’un émetteur et d’un récepteur dont les rôles s’inversent dans une certaine simultanéité pour véhiculer un ou des messages. Ce qui fait que le besoin d’information du citoyen fait naître obligatoirement une nécessité de réponse de l’administration pour établir une communication administration–administré.
C’est pourquoi toute demande d’un citoyen doit obligatoirement donner lieu à une réponse, fût-elle négative ! De tous ces arguments, la réponse à une sollicitation quelconque d’un citoyen ne saurait s’apprécier sous l’angle d’une faculté de l’Administration ou de ses agents, mais comme un nouveau droit du citoyen qui s’est imposé au fil des mutations des relations entre l’administration et le contribuable. Ce n’est pas pour rien que même dans nos lois et règlements, pour certaines procédures le silence de l’administration vaut acceptation !
De toute évidence, on voit que c’est ce vide que tente de combler les émissions d’antenne directe à succès comme « Affairage », « Ça va, ça ne va pas », etc.… ou les lettres ouvertes dans lesquelles s’engouffrent les déçus de l’administration publique. Si ces émissions et ces lettres ouvertes ont du succès depuis le régime de Blaise Compaoré jusqu’à ce jour, il faut leur reconnaître cependant des insuffisances liées au traitement profane ou très faiblement spécialisé de l’information administrative qui peut constituer une source de désinformation.
Des États comme la France, sous la forte poussée démocratique, sont parvenus à formaliser le second versant de la redevabilité de l’administration et de ses agents dans un « Code des relations entre le public et l’administration » qui régit la communication entre l’administration et le public. On peut y lire des dispositions fortes suivantes : « Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l’anonymat de l’agent est respecté ». Ou encore, « lorsqu’une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l’administration compétente et en avise l’intéressé ». Sur les délais de réponse à une demande, voici ce que prévoit les textes : « Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l’administration initialement saisie. Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision implicite d’acceptation ne court qu’à compter de la date de réception de la demande par l’administration compétente. Si cette administration informe l’auteur de la demande qu’il n’a pas fourni l’ensemble des informations ou pièces exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, le délai ne court qu’à compter de la réception de ces informations ou pièces ». Enfin, « l’accusé de réception est délivré dans tous les cas par l’administration compétente ».
Pour que plus rien ne soit comme avant, (comme disent maintenant les Burkinabè) et que plus jamais l’administration ne prenne en otage, dans son silence irrespectueux, l’espoir du citoyen/contribuable, il est nécessaire de parvenir à l’adoption d’un code pour régir les relations de communication entre l’administration et le public.
Voilà un autre chantier qui s’ouvre au Chef du gouvernement Paul Kaba Thiéba et à son au ministre de la Fonction publique, Clément Sawadogo
Bonne et heureuse année 2017 à toutes et à tous, bonne chance aux Étalons et que Dieu bénisse le Burkina Faso !

Ousmane DJIGUEMDE
oustehit@hotmail.fr