Notre propos précédent avait consisté à mettre en lumière les types d’incivisme au Faso (http://kaceto.net/spip.php?article1787). Le plus important maintenant est d’en déterminer les causes, de manière à ce que chacun de nous puisse entrevoir le terrain sur lequel il pourrait agir pour contribuer à faire monter le niveau de civisme dans la cité.
A notre avis, il faut distinguer, pour les besoins de l’analyse, deux types de causes :
• les facteurs liés à la crise du système éducatif et de prise en charge des candidats à l’insertion sociale ;
• les causes inhérentes à l’origine et à l’histoire de la quatrième République.
Nous reviendrons, dans un prochain article, sur les premières causes, qui sont importantes, mais qui relèvent de la généralité et des lieux communs. En effet, c’est partout en Afrique que les systèmes éducatifs, de type classique, les précepteurs traditionnels (famille, école ou les autres institutions d’État, associations religieuses ou laïques) sont en proie à une terrible agonie face à l’influence des nouveaux éducateurs incontrôlables de l’humanité qui sont : les médias du monde, les réseaux sociaux et toutes les autres applications des nouvelles technologies du temps.
Pour les besoins donc de concision de chaque texte, nous allons concentrer ici notre regard sur les causes politiques de l’incivisme qui, à la différence des autres, peuvent être immédiatement éradiquées, parce que moins liées à un contexte global et mondial.

L’histoire et les acteurs de la quatrième République sont les causes d’incivisme qui sévit actuellement Faso.

L’origine et l’histoire de la quatrième République sont nécessairement les principales causes d’incivisme que nous connaissons aujourd’hui. En effet, la quatrième République n’a jamais été le résultat d’un ordre consensuel. En fait, personne n’en voulait. Les anciens révolutionnaires, nous autres inclus, comprenaient et acceptaient très mal la perspective d’une démocratie libérale, en lieu et place de la démocratie populaire, en cours depuis la révolution d’août. Les Sankaristes de tous bords, eux, y voyaient une opportunité frauduleuse pour Blaise Compoaré de se maintenir au pouvoir. Les forces politiques libérales, qui avaient été traumatisées par les révolutionnaires, réclamaient plutôt une conférence nationale, qui allait remettre le compteur de la nation à zéro, avant quoique ce soit. Elles n’entendaient pas se compromettre avec un régime en apparence démocratique, mais à contenu militaro-autocratique. Malgré tout, la quatrième République s’est installée et beaucoup d’entre nous se retrouvèrent dans le bateau. Comment s’y est-elle prise pour rester sur une si longue durée ? Je ne sais vraiment pas. Seul Blaise Compaoré peut répondre à cette question dans ces mémoires. Mais je comprends un peu. Fin des années quatre-vingt début quatre-vingt dix, François Mitterrand, alors président français, faisait pression, depuis la Baule.
Qu’on ait compris que les temps avaient changé, ou qu’on ait pris le train du changement en marche en traînant les pieds, l’impératif démocratique s’imposait. Et au jeu de la dialectique historique, de l’encadrement des masses électorales dans les hameaux les plus isolés, les révolutionnaires, finalement convaincus et rassemblés par Blaise Blaise au sein de l’Organisation pour la démocratie et le progrès/ Mouvement du travail (ODP/MT), étaient imbattables. Face à Bongnéssan Yé, Salif Diallo, Rock Marc Christian Kaoré, Simon Compaoré et les anciens théoriciens de la coordination des structures révolutionnaires, Joseph Ki-Zerbo, Bénéwendé Sankara et leurs compagnons, n’avaient vraiment pas beaucoup de chances. Ou du moins, ils en avaient une : celle de résister, de débrayer, même au prix des actions inciviques. Ces actions, dites inciviques, seront, plus tard, initiées et conduites par le clandestin Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) et ses associations satellites. Elles persisteront, rassemblant de plus en plus, au rythme des crises économiques mondiales, des bavures du régime, des échecs électoraux des partis républicains face au camp Blaise Compaoré. Ces actions se nourriront aussi des mécontentements consécutifs aux crises internes du parti au pouvoir.
Au bout du compte, après vingt-sept ans et d’énormes efforts pour rassembler les Burkinabé, Blaise Compaoré est obligé de partir, poussé par la rue. L’usure du pouvoir et une fissure mortelle dans son propre camp, suite au congrès du CDP de mars 2012 lui ont été fatales. Blaise Compaoré s’en va en laissant à ses successeurs de la Transition, le difficile dossier d’un contrat social censé établir l’ordre républicain dans le pays, et promouvoir une citoyenneté durable au Faso. La Transition avait un an pour réussir cette mission salutaire. Mais, un an c’était peu pour Michel Kafando, qui n’avait même pas toutes les cartes pour jouer, politiquement, avec les vieux routiers de la révolution d’août.
A l’issue des élections de novembre 2015, Rock Kaboré arrive au pouvoir et sans un seul jour de grâce, hérite de ce chantier national, tout complet, tout chaud.
Le profil des acteurs politiques au Faso est aussi générateur d’incivisme. En effet, les acteurs politiques burkinabé et une bonne partie des réseaux associatifs, plus ou moins lointainement, sont, en majorité, issus d’une culture marxiste-léniniste qui frise l’anarchisme estudiantin et ouvriériste. Ils sont tout, sauf des républicains légalistes. Pour une raison ou pour une autre, ils ont hérité et cultivé les réflexes révolutionnaires, dont les finalités sont l’avènement de l’insurrection populaire légitime, et non le respect ou le renforcement d’un ordre républicain qualifié de bourgeois. Les crises politiques et les atteintes aux droits humais à répétition sous la quatrième République, n’ont fait alors que renforcer ces dispositions d’esprit de contestation de l’ordre par tous les moyens. A Bien de moments d’ailleurs, ces contestations, qualifiées d’inciviques par les tenants de la République, ont pris l’allure de la désobéissance civile que la constitution de la quatrième République autorisait dans ses dispositions. Face à un régime qui n’exploitait pas toujours à fond et efficacement l’arme du dialogue national, l’opposition burkinabé, sous-représentée à l’Assemblée nationale où le débat doit avoir lieu conformément au droit, et non par les faits de rue, va progressivement orienter l’opinion des citoyens vers les débrayages populaires. Ces contestations, plus ou moins légales, vont finalement se solder par la rupture de fonctionnement des institutions et l’avènement d’un régime de Transition.
Depuis ce tournant de l’histoire, les Burkinabé sont dans l’attente du nouvel ordre civique. Cet ordre viendra-t-il de la nouvelle constitution en cours d’élaboration ? Pour nous, plus qu’une question de textes, l’incivisme au Burkina pose surtout un problème de réflexes des acteurs. Il n’y aura jamais un niveau de civisme acceptable au Faso tant que nous n’aurons pas tous, ou majoritairement, les mêmes horizons politiques. Tant que les uns croiront travailler pour bâtir une République et que les autres œuvreront pour une révolution contre la démocratie de type libérale. Tant que les majorités législatives ne laisseront que des miettes à l’opposition, tant que les rancunes et les séquelles de l’histoire rongeront les cœurs, tant que le citoyen lambda aura le sentiment que c’est le sauve- qui-peut au Faso, notre société sera toujours sujette à des convulsions inciviques.
Le civisme exige de la confiance dans les institutions, entre les acteurs publics et privés, de la confiance en des valeurs communes et partagées. Il faut bâtir une République qui puisse réunir tout cela, et c’est là l’une des missions les plus nobles du président Rock Marc Christian Kaboré. Au de-là de sa famille politique, au de-là des crédits qu’il est supposé avoir à l’endroit de certains acteurs de l’insurrection, au de-là des exigences de court terme du peuple, il y a cette perspective qui consiste à poser les bases d’une démocratie consensuelle et apaisée, en lieu et place de cette République qui a été fabriquée, dans l’urgence et au sortir du Front populaire, pour noyauter la vielle classe politique et les velléités des Sankaristes. C’est sur ce front d’ailleurs que l’histoire jugera essentiellement le président Rock Marc Christian Kaboré.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et philosophie, écrivain.
Kaceto.net