Au nom du droit à l’information du public, faut-il tout montrer ou tout dire au risque de servir la cause des terroristes, créer la psychose et démoraliser les Forces de défense et de sécurité déployées dans le nord du pays pour combattre l’hydre djihadiste ? C’est pour tenter d’apporter des réponses à ces questions que le Conseil supérieur de la communication (CSC) a entrepris une série de rencontres avec les professionnels de l’information et la communication sur la situation nationale, marquée ces derniers temps par des attaques terroristes, principalement dans le nord du pays. Après les patrons de la presse audiovisuelle, la présidente du CSC, Nathalie Somé et ses proches conseillers ont rencontré hier après-midi au siège de institution de régulation de la communication, ceux de la presse écrite et des journaux en ligne.
Intagom, Sibé, Soboulé, Nasoumbou, Toungomael, Kourfayel, Yarsala, etc., des noms inconnus il y a à peine un an du grand public et qui, en l’espace de quatre mois sont devenus familiers aux Burkinabè. Négativement ! Après les attentats du 16 janvier 2016 à Ouagadougou, les terroristes ont entrepris de faire de cette partie du Burkina leur zone d’actions : assassinats, enlèvement, menaces physiques et verbales, bref ils tentent d’installer la terreur au sein d’une population qui ne demande qu’à vivre dans la paix et la quiétude. Bien évidemment, leur sale besogne est largement relayée par les médias, au nom du droit à l’information.
Reste que le traitement de cette information, déjà délicate en temps de paix, devient un enjeu socio-politique dans le contexte actuel et dépasse le simple besoin de rendre compte de ce qui se passe. "La solution à la question sécuritaire ne dépend pas seulement des Forces de défense et de sécurité, mais à tout le monde dans un sursaut patriotique", estime la présidente du CSC, Nathalie Somé, pas du tout contente du traitement de l’information dans certains médias. En analysant le contenu de la production médiatique relative aux attaques terroristes, le CSC a pu y déceler des "publications tendancieuses" qui pourraient servir la cause des nihilistes islamistes.
Nathalie Somé s’inquiète que des médias donnent dans le moindre détail "les positions des troupes, l’état des équipements militaires, vantent le mérite des terroristes, présentent Malam Dicko comme l’homme le plus puissant du Sahel, invitent sur des plateaux des gens incompétents en matière de sécurité, ou diffusent des images montrant que le Sahel se vide".
Pour Jean-Paul Toé, conseiller de la présidente du CSC, "les terroristes commettent les attentats pour avoir de la publicité et montrer la puissance de leur mouvement", et il n’est pas du devoir des médias "de jouer les services de presse de ceux qui sèment la mort et la peur". Il croit même savoir que les médias "peuvent pousser les gens à passer à l’acte", une analyse en revanche très contestable, sachant que ce qui motive le terroriste "à passer à l’acte", c’est moins la publicité que la jouissance de semer, de manière spectaculaire, la mort, lui procure.
Entre la liberté d’informer et le devoir de contrer la propagande djihadiste, que faire ? L’ensemble des responsables de médias ont tous reconnu la nécessité d’être plus vigilant dans la couverture de l’actualité en lien avec le terrorisme. Dans certaines rédactions, la réflexion est même déjà lancée, preuve qu’ils sont conscients de leur rôle dans la lutte contre le terrorisme et les autres formes de violence. L’Association des journalistes du Burkina (AJB) réfléchirait à l’élaboration d’une charte nationale qui pourrait être adoptée par l’ensemble des professionnels de l’information et la communication.
Comme on n’est jamais assez sage pour éviter de tomber dans des dérives, les débats ont débouché sur des propositions visant à mieux recadrer le traitement de l’actualité dans le contexte actuel, et à faciliter l’accès aux sources, seul moyen de contrer les rumeurs et la désinformation diffusées surtout sur les réseaux sociaux.
Les participants à la rencontre ont demandé au CSC d’interpeller le gouvernement sur sa communication, pour l’instant peu lisible, et les Forces de défense et sécurité afin qu’ils collaborent mieux avec les journalistes sur le terrain de la collecte de l’information. Ils ont aussi proposé que le CSC et/ou l’Observatoire burkinabè des médias publie régulièrement des communiqués sur les manquements à la déontologie et à l’éthique du métier de journalistes. Une éducation à la consommation des contenus médiatiques à l’attention du public lui permettrait d’être mieux outillé face aux flux continus d’informations qui l’abreuvent en permanence de nouvelles, pas toujours de bonnes sources.

Kaceto.net