Après " Le diplômé et l’intellectuel" ( http://kaceto.net/spip.php?article2141), le Pr Nakoulima s’intéresse dans le texte-ci contre à la paix et la liberté, et considère que la seconde est la plus essentielle que la première pour assurer l’épanouissement de l’homme

Le concept de paix, sous le pouvoir déchu, fut un leitmotiv galvaudé : on le rencontre dans les noms des associations le soutenant et les panégyristes du pouvoir en avaient fait l’argument massif de justification de leur adhésion, de leur soutien au pouvoir. On a fait croire que la paix est plus essentielle que la liberté alors que c’est l’inverse. Les théoriciens du contrat avaient déjà réglé la question. Hobbes avait fait de la paix et de la sécurité la finalité du contrat. Les hommes sacrifient leur liberté en l’échangeant contre la tranquillité. Les hommes transfèrent leur droits naturels au Léviathan qui leur apporte la stabilité, la paix alors que par nature, ils sont portés à la guerre. Spinoza répliquera à Hobbes en ces termes “ si la paix doit porter le nom de servitude, il n’est rien de si lamentable que la paix“. Rousseau dira “ on vit tranquille aussi au fond des cachots“. Dit autrement : le prisonnier est en paix en prison mais il est prisonnier c’est-à-dire qu’il lui manque la liberté. On aura sans doute compris que c’est la liberté qui est essentielle. Pour Rousseau, la finalité du contrat n’est pas la paix mais la liberté qu’il considère comme un bien plus précieux que la vie. Une autorité n’est légitime que si elle assure et garantit la liberté. Obéir à la volonté particulière, arbitraire et capricieuse d’un homme, c’est renoncer à la liberté, donc à sa qualité d’homme. Par contre, l’obéissance à des lois stables, impersonnelles et inflexibles, loin d’altérer la liberté, la présuppose et la rend possible. Tout pouvoir de l’homme sur l’homme est illégitime et mauvais. “Aucun homme, avait déjà dit Diderot, n’a reçu de la nature le droit de commander à un autre“. La seule autorité légitime est celle de la loi qu’un peuple se donne à lui-même. Elle est très connue cette formule, désormais célèbre et sans doute trop répétée : “ l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté“.
La démocratie, mondialement célébrée, semble avoir la vocation à régler tous les problèmes humains, à assurer le salut sociétal. Ce qui est certain, c’est qu’elle est le moins mauvais des systèmes politiques, elle permet l’épanouissement de la liberté même si au fond elle est la dictature du plus grand nombre.
La démocratie est une invention grecque. Plus généralement, nous devons aux Grecs cet art qu’on nomme politique qui consiste à parvenir à des décisions grâce à la discussion publique puis à obéir à ces décisions comme condition nécessaire pour une existence sociale. Mais la démocratie antique n’a plus rien à voir avec ce qui se déploie de nos jours. D’une démocratie participative, nous sommes arrivés à une démocratie représentative dont la faiblesse essentielle peut se résumer en la présence absente ou l’absence présente(les représentants et les représentés).
La démocratie dans son acception actuelle se définit par les libertés de vote, de presse, d’opinion, de circulation, par la représentation. La démocratie dans son sens moderne se ramène à un Etat constitutionnel, c’est-à-dire un Etat fondé sur une constitution qui définit les pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire). Elle organise les relations de telle manière qu’aucun de ses pouvoirs ne peut s’exercer sans le concours et le contrôle des deux autres. La constitution définit les règles de l’exercice du pouvoir mais aussi celle de son acquisition en précisant les modalités des élections et du suffrage. C’est une telle acception de la démocratie qui rend possible que l’on qualifie de démocratie des Etats qui sont monarchiques (Espagne, Royaume Uni).
Le pouvoir déchu pensait ou faisait semblant de penser que l’organisation régulière d’élection faisait du Burkina un pays démocratique. Il ne faut pas s’en étonner puisque pour ce pouvoir, la paix étant plus essentielle que la liberté, les élections primaient sur le bon fonctionnement des institutions.
Le vote n’est pas une garantie de qualité démocratique. Le vote, on peut même oser dire, est le degré zéro de la démocratie. Rousseau faisait remarquer que les Anglais se croient libres parce qu’ils votent tous les cinq ans mais, ils sont libres un jour tous les cinq ans, le jour du vote.
Le vote présuppose, pour limiter les choses, trois éléments :
 l’égalité des individus : un individu, un suffrage. Le jour où tous les individus sont égaux et libres de leur choix ;
 la décision de la majorité des individus est considérée juste, bonne. Platon déjà considérait que la majorité était une foule ignorante manipulée par des démagogues ;
 la majorité s’impose à la minorité, la dictature de la majorité comme par exemple 51% d’électeurs imposent un programme à 49% de perdants.
L’élection n’est pas une garantie absolue de la qualité démocratique. La démocratie suppose des institutions fortes. C’est la méconnaissance d’une telle réalité qui a conduit à vouloir opposer aux institutions fortes des hommes forts. A partir du moment où l’on a la conviction que la paix est plus essentielle que la liberté, on se convainc que seul un homme fort est à même de garantir la paix. Le fonctionnement des institutions importe peu : au lieu d’une justice forte, on aura des juges acquis. Le parlement sera une caisse de résonnance et les députés peuvent être embastillés dans un hôtel pour s’assurer de leur vote dans le sens souhaité. Ici, apparaît la difficulté précédemment soulignée de la présence absente et de l’absence présente. Les représentants (présence) du peuple (absent) ne votent plus dans le sens des préoccupations de leurs représentés mais dans le sens des souhaits de l’homme fort. Les gouvernants feront ce qu’ils veulent puisque seule compte la paix garantie par l’homme fort.
En d’autres temps (en 2000 Voir Le Pays, 15 ans déjà) j’avais écrit“ au regard de la dérive actuelle dans la gestion de la cité, ce n’est pas d’idéologues dont le CDP a besoin mais d’intellectuels : ceux qui acceptent d’être la mauvaise conscience des gouvernants. La gestion du pouvoir d’Etat depuis plus d’une dizaine d’années se résument en quelques termes : le tâtonnement qui se prend pour de la lucidité avec comme corollaire les dangereux dérapages qui jalonnent son histoire. Il faut oser dénoncer la perte de toute perspective historique, la célébration de l’éphémère par des politiciens coincés sur la mince passerelle du présent qui foulent au pied le savoir au profit de l’argent et considèrent toutes les valeurs comme négociables. Les actes quotidiennement posés sont sous-tendus par la frénésie de l’accumulation ceci en raison de l’enferment dans la préférence de l’immédiat“.
Un tel contexte n’avait pas d’autres issues que ce que nous avons connu : ceux qui sont épris de liberté devaient réagir et ont réagi. Une nouvelle page de l’histoire de ce pays est entrain de s’écrire au nom de la liberté et non de la paix.
L’homme fort dans sa retraite forcée ivoirienne doit avoir compris que ce n’est pas la paix et partant les hommes forts mais la liberté et les institutions fortes qui importent. Il a refusé les conseils de Barak Obama a tranquillement terminé son mandat alors que le sien a été écourté, ceci toujours au nom de la liberté.

Pr Pierre G. Nakoulima ; Professeur de Philosophie à l’université Ouaga1 ; Professeur Joseph Ki-Zerbo