Pour une fois, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle française qui s’est déroulé hier 23 avril correspondant à ceux annoncés par les instituts de sondage : Emmanuel Macron est arrivé en tête avec 23, 75% des voix suivi de Marine Le Pen qui totalise 21,53% des suffrages. Ces deux candidats se disputeront donc le second tour et c’est parmi que sortira le prochain locataire de l’Elysée. François Fillon arrive 3è avec 19,9% devant Jean-Luc Mélenchon 19,6 %, loin du candidat socialiste Benoît Hamon, 6,3 %. Avec 4,7% des voix, Nicolas Dupont-Aignan fait presque jeu égal avec le candidat socialiste, une humiliation pour celui qui était sorti vainqueur des primaires de la gauche et des Ecologistes.

Quels enseignements peut-on tirer de ce scrutin ?
Premièrement, les deux grands partis de gouvernement qui se succédaient au pouvoir depuis l’avènement de la 5è république sont éliminés du deuxième tour. Un cinglant désaveu pour les partis traditionnels de gouvernements. Après la gauche en 2002, le candidat de la droite républicaine, François Fillon mort la poussière, sa campagne ayant été plombée par le "Pénélopegate" , du nom de son épouse, suspectée d’avoir touché de l’argent public sans avoir travaillé.
Quant à Benoit Hamon, il a été littéralement écrabouillé par ses propres camarades du Parti socialiste, en premier lieu François Hollande qui ne lui a pas pardonné la fronde qu’il a menée contre ses choix politiques, allant jusqu’à refuser de siéger dans le gouvernement de Manuel Vals. Quand on a des amis comme ça, on peut sérieusement s’occuper de ses propres ennemis. Adieu les primaires !
Le cuisant échec de Benoit Hamon risque de semer la fin du Parti socialiste, car on ne voit pas bien comment un parti déchiré, où de nombreux cadres n’ont pas eu honte de trahir leurs propres engagements en allant soutenir Emmanuel Macron, peut encore conserver son unité. Objet politique non identifié, ce dernier était inconnu du grand public il y a seulement trois ans,en dehors du milieu des affaires et de la finance internationale.
Un véritable guinamori qui aura réussi à vendre à un électorat désemparé, un programme fourre-tout. Dans un pays où l’appareil productif tourne depuis des décennies, où la juste répartition des fruits de la croissance marque la ligne de démarcation entre la droite et la gauche, lui se présente comme le candidat de nulle part. D’abord, il ne s’identifie pas à la gauche même s’il a été secrétaire général adjoint de François Hollande, puis son ministre de l’Economie. Il ne se sent pas non plus de droite parce que, dit-il, il croit aux valeurs de justice sociale, de partage et solidarité nationale en faveur des pus démunis. En somme, il est tout cela à la fois, c’est à dire, rien ! Une feuille blanche sur laquelle l’électeur français, désabusé par des promesses trahies par les deux grands partis, peut y griffonner ses espérances.
Quand à Marine Le Pen, elle peut avoir le sourire large. Sa stratégie de dédiabolisation du Front national a payé. Elle a minutieusement fait le ménage dans l’état-major du FN en le débarrassant des éléments encombrants, à commencer par son père Jean-Marie, dont les dérapages avaient fini par révélé son double fond xénophobe et raciste. Depuis plusieurs années, les thématiques propres au Front national occupent le débat français et subrepticement, insidieusement, les esprits se sont lepenisés. Que ce soit sur l’immigration, la sécurité, l’intégration européenne, le chômage ou l’identité française, beaucoup de Français se sont alignés sur la thérapie préconisée par le Front national. Pour autant, souhaitent-ils réellement le retour au franc français, le rétablissement des douanes aux frontières nationales, la précarisation de l’emploi et l’expulsion massive des étrangers, notamment les immigrés venus du Sud dont on sait qu’ils apportent plus à l’économie française qu’ils n’en profitent ?
Le 7 mai prochain, les Français vont choisir entre un candidat hybride,sans véritable identité politique et une candidate xénophobe, sectaire dont la politique va inévitablement dresser un peu plus les Français les uns contre les autres.
Comme en 2002, va t-on assister à un front républicain pour barrer la route à la volonté de la fille de Jean-Marie de signer un bail de 5 ans à l’Elysée ? En dépit des appels de nombreux leaders de la droite à voter pour Emmanuel Macron, rien n’est moins sûr. Une bonne partie de l’électorat de la droite se sent proche des idées du Front national. L’extrême droitisation du discours de fin de campagne de François Fillon, comme l’avait déjà fait Nicolas Sarkozy en 2012 n’est que révélateur de la proximité idéologique entre Les Républicains et le Front national. En 1981, la même droite avait appelé à voter pour Valery Giscard d’Esteing face à François Mitterrand, mais en coulisses, ses leaders encourageaient leurs militants à voter pour le candidat socialiste. Il n’est pas interdit de penser que le même scénario puisse se reproduise le 7 mai prochain. Quant à l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, rien, absolument rien ne permet de penser qu’il apportera son vote à Emmanuel Macron. Hier soir, le candidat de la "France insoumise" s’est gardé de donner des consignes claires de vote, une posture qui ne vise pas, comme on pourrait le penser, à faire monter les enchères, mais qui révèle l’abîme idéologique qui sépare les deux candidats. La date du 7 mai est assurément pleine d’incertitudes.

Joachim Vokouma
Kaceto.net