La séduction, avions nous écrit dans le premier volet de notre réflexion sur ce thème, est, sous un certain angle, une violation de la conscience d’autrui, une manipulation de sa personnalité. Comme disent les Africains, elle vise à « mettre l’eau à la bouche d’autrui », à créer en lui le désir, l’envie, l’attraction irrationnelle. Bien sûr, on peut séduire par le comportement spontané ; on peut séduire sans le vouloir ; et heureusement qu’il peut en être ainsi ; autrement, nos relations avec les choses et les êtres, dans la vie, ne connaîtraient que l’enfer de l’indifférence et de la répulsion. La séduction, qui fait l’objet de notre critique ici, n’est pas celle qui est naturelle, spontanée et sincère. La mauvaise séduction n’est peut être pas aussi une autre que la bonne. Elle est la même ; seulement, elle est ici appréhendée sous l’angle du contenu négatif de la chose regardée et jugée.
Sous cet angle, la séduction est un véritable piège pour la conscience. Parce qu’elle met l’accent sur les apparences sensibles, elle cache la réalité de ce qui est. Le séducteur doit, en constance, réussir le jeu du camouflage, par le maquillage de la dimension de son être qui pourrait ne pas plaire aux autres. Le séducteur est donc avant tout un illusionniste, au sens platonicien du mot. Pour Platon, l’artiste, par exemple, est un séducteur, une sorte de magicien qui fait voir ce qui n’est pas et qui sait fait croire que l’apparence est la réalité. Le poète, par la magie des mots, fait croire qu’il meurt d’amour, alors même qu’il ne fait que jouer. Il en est de même de l’orateur, ce tribun, et du démagogue, le politicien ; l’un et l’autre, qui peuvent d’ailleurs se trouver en la même personne, suscitent les passions, en poussant la conscience dans l’extase et dans l’apothéose du sensationnel, par la musique des mots, la force des gestes, les symboles qui plaisent, les mises en scène qui mobilisent et qui mystifient. Dans notre civilisation d’humain, c’est bien la télévision, outillée par les connaissances modernes en science de l’homme, qui a poussé à son paroxysme l’art de la séduction. Par la télévision et à la télévision, tout devient beau, tout devient magnifique, tout devient vraisemblable ; comme tout peut devenir hideux, répugnant ou invraisemblable, au gré des objectifs des communicateurs, des professionnels du son, de l’image et des ondes. La duperie se fait en toute sécurité, parce que le caractère médiatisé des informations diffusées rend difficile, voire impossible, leur vérification. La télévision manipule ainsi des masses entières de la planète, au profit de produits commerciaux, d’hommes politiques en quête de popularité et de suffrages, de vedettes de tous genres, en mal d’audience et à la poursuite de la "fanatisation" du publique, de l’inféodation des consciences des autres à leur image. En fait, le monde contemporain, c’est l’ère de l’alliance sacro-sainte des séducteurs de tous types ; on y voit le politique s’auréoler noblement d’une grande marque de vêtement et se présenter allègrement au monde, aux côtés d’une vedette du temps, sous les caméras de la chaîne de télévision la plus chouchoutée par le public.
La séduction, regardée de cette façon, est immorale et diabolique. Au meilleur des cas, elle cache la réalité et fait écran à la vérité. Pourtant, toute la vie humaine porte la marque de la séduction ; elle souffre aussi des désillusions qui en découlent. Examinons, par exemple, le cas de Marine, cette fille qui a séduit mon ami Jaurès de Gaule. Marine dans le processus de la conquête de Jaurès, n’a pas manifesté sa jalousie viscérale, son égoïsme hors pair et sa phobie de l’étranger. Jaurès n’a connu la vérité sur Marine, que quand il était trop tard, à un moment où il avait déjà la corde au cou ; sa désillusion fut grande.
Il ressort, de tout cela, que la séduction, utilisée sans mesure et sans garde-fous, est une gangrène dans les relations humaines privées ou publiques. Fondée sur l’illusion, le camouflage, l’éphémère et le superficiel, l’œuvre de la séduction négative ne peut être durable. Tôt ou tard, la conscience séduite se libérera du charme qui l’emprisonne et qui brouille sa raison. Tôt ou tard le séducteur sera démasqué, et il sera vu, tel qu’il est et non tel qu’il apparaît ; les actes démentiront les mots ; l’être contredira les apparences ; le temps démystifiera les illusions, les promesses démagogiques et les rêves populistes. Mais, malgré ce piège que comporte la chose qui permit à Lucifer de faire tomber Ève et Adam dans le péché, pouvons-nous vivre ensemble sans nous séduire ? N’existe-t-il pas une forme positive de la séduction ? Ou du moins, la séduction ne peut-elle pas être utilisée à bon escient ? Le troisième volet de notre réflexion, sur la séduction, s’efforcera d’apporter, dans la publication suivante, des éléments de réponse à ces questions.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie