L’État, c’est l’incarnation suprême et exclusive de la puissance publique
Le pouvoir d’État est le pouvoir suprême. C’est celui qui s’impose à tous les autres, qui détient le monopole de la violence légale, comme le dirait Max Weber. Qu’il soit incarné dans des individus comme en monarchie, ou dans des institutions comme en république, le pouvoir d’État est toujours l’expression de la force publique chargée d’assurer la concorde entre les autres formes de pouvoir dont les intérêts et les aspirations sont bien souvent antagoniques. Le pouvoir d’État n’est jamais à confondre avec les individus qui le détiennent ou qui l’exercent. Les individus passent, les régimes périssent, mais, sauf en cas d’aliénation volontaire à une autre souveraineté, de colonisation par une puissance étrangère, de dislocation consécutive à des dissensions internes, l’État, lui, est une pérennité historique. Les états demeurent tout en se transformant ; par exemple, la France a revêtu successivement, voire alternativement, la forme d’un État monarchique, d’une république, d’un empire, avant de se stabiliser dans sa forme républicaine actuelle, à la fin du dix-neuvième siècle et après la douloureuse expérience de la commune de Paris en 1871. L’évolution de l’État ne s’est pas faite au même rythme partout ; chaque peuple s’est doté de la forme d’État que les aléas de l’histoire lui ont imposée ou qu’il a souverainement choisie. On peut dénombrer aujourd’hui sur la planète, outre les républiques unitaires comme la France ou le Burkina Faso, les monarchies constitutionnelles comme la Grande Bretagne et la majorité des États d’Europe du nord, les fédérations comme les USA, la Russie, le Nigéria, et cette forme d’empire constitutionnel imposé au Japon après la deuxième guerre mondiale. L’État moderne a le monopole de la gouvernance des personnes et des biens dans les limites de son territoire, de la législation, de la réglementation, de la justice, de la sécurité, de la défense nationale, de l’imposition, des affaires étrangères. Outre ces fonctions dites régaliennes, tous les États contemporains se sont donné des vocations dans des domaines comme l’éducation, la santé publique, les droits humains, le développement de l’économie etc.….

Les trois faces du pouvoir d’État

Nous occultons, ici, l’interminable débat des philosophes qui a visé, depuis l’antiquité, à déterminer, soit la source de la souveraineté, soit la forme idoine du pouvoir d’État, soit les critères de légitimité du gouvernant. Nous partons du constat que les trois siècles qui nous séparent des révolutions de l’époque de Voltaire, de Rousseau et de Montesquieu, ont finalement légitimé la souveraineté des peuples, le suffrage universel et la démocratie. Cela, en dépit des poches de résistance qu’on peut observer dans certaines contrées de la périphérie du monde comme en Asie, où l’on entend encore des voix qui appellent les nations à se doter de pouvoirs théocratiques sur terre. Nous laissons également dans l’ombre le débat sur l’origine de l’État. Qu’il ait été institué par les classes dominantes pour asservir les masses comme l’ont pensé Karl Marx et les marxistes, qu’il soit la manifestation suprême de l’Esprit dans l’histoire comme le laisse entendre Hegel, l’État a été, dans tous les cas, une nécessité historique pour sortir la horde de nos ancêtres primitifs de la barbarie pour la civilisation. Vu sous cet angle, l’anarchisme de Bakounine et des autres pourfendeurs de l’État, qui prône l’absence de tout pouvoir, relève de l’utopie socialiste et altruiste poussée au paroxysme. Le pouvoir d’État est indispensable pour maintenir l’ordre entre les factions, les individus et pour surmonter les antagonismes de croyances, de pensées ou d’intérêts. Le pouvoir d’État, dans sa forme laïque, est le seul instrument viable pour accomplir ces missions ; il dispose, pour cela, de trois faces qui trouvent leur source dans le souverain.

Le pouvoir législatif

Le pouvoir législatif, c’est la face du pouvoir qui exprime la volonté du souverain sous forme de lois. Dans les États modernes, ce pouvoir est détenu par les parlements constitués de représentants du peuple, tantôt appelés sénateurs, tantôt députés, mais dans tous les cas, législateurs.

Le pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif, c’est la face du pouvoir qui détient les prérogatives de mise en œuvre de la volonté du souverain. Le parlement légifère et l’exécutif gouverne en disposant de l’administration publique, des forces de défense et de sécurité, des deniers publics. Le pouvoir exécutif correspond à ce que le commun des mortels appelle le gouvernement.

Le pouvoir judiciaire

L’État a le monopole de la justice, de l’arbitrage des litiges entre les citoyens, entres les citoyens et lui, entre les groupes sociaux qui sont tous détenteurs d’une forme de pouvoir. Le pouvoir judiciaire procède à des arrestations conformément à la loi ; il a les prérogatives des jugements, de la prononciation et de l’exécution des peines. Le pouvoir judiciaire, cette sorte de Saint Pierre sur terre, trouve son incarnation dans des institutions qui varient d’un État à l’autre, mais dont la constance est l’existence de tribunaux, de magistrats et de procédures judiciaires légales.
Au bilan, nous pouvons retenir que dans le mécanisme de fonctionnement des sociétés, le pouvoir est polymorphe. La société est constituée de cercles de pouvoir qui ont été bien souvent confondus dans l’histoire. En fait, toute l’histoire de l’humanité est un processus de lutte entre des cercles de pouvoir, qui aboutit à la suprématie du pouvoir de l’État laïc, non clanique et non partisan. C’est à travers ce modèle, que l’empire de Napoléon Bonaparte a inventé sur la base des idées, d’une force au dessus de toutes les forces, d’une puissance publique capable de s’imposer à toutes les puissances particulières, que le pouvoir politique trouve sa figure contemporaine.
Dans ce modèle, la raison d’État est la raison suprême, la vérité d’État est la vérité, la justice d’État est la justice tout court. Le pouvoir d’État est, par nature, un pouvoir absolu, un pouvoir totalitaire. Les seules manières d’en atténuer les revers dans les démocraties modernes, ont consisté : à promouvoir, progressivement, les pouvoirs associatifs et le regard critique des médias, dans le statut de contre-pouvoir ; à sacraliser la puissance du citoyen dans le principe du vote périodique ; à considérer le religieux comme une puissance de référence morale. Dans ce processus d’affaiblissement du pouvoir d’État, la séparation des trois faces du pouvoir, réclamée par Montesquieu au siècle des Lumière, a certainement joué le plus grand rôle. En effet, partout où le législatif, l’exécutif et le judiciaire se sont confondus, l’arbitraire et la dictature ont marqué la vie de l’État ; au contraire, partout où ces trois faces du pouvoir sont incarnées par des institutions différentes et impartiales, comme dans les démocraties contemporaines, les citoyens et les regroupements de citoyens disposent de grandes marges d’action et de réaction face au pouvoir d’État. Mais faut-il alors que la montée des pouvoirs partisans, claniques, économiques, corporatistes ou religieux de toutes sortes, la croissance vertigineuse de l’esprit de contestation dans les nations, la recrudescence des organisations d’autodéfense dans les États, n’aboutissent pas au dépérissement négatif du pouvoir d’État ?

Zassi Gogo ; Professeur de Lettres et de philosophie

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