« Tous les Burkinabè naissent libres et égaux en droits ». Voilà ce que proclame l’article 1er de la constitution adoptée en 1991. Même modifiée à plusieurs reprises, l’égalité des citoyens demeure garantie par la notre loi fondamentale. L’avant-projet de constitution, dont on n’a plus de nouvelles, rendu public en mi-mars dernier, puis expliqué dans les 13 régions et à l’extérieur, auprès des Koswetos, dit la même chose.
Autrement dit, qu’on soit riche, pauvre, gros, maigre, grand ou petit de taille, teint noir, clair ou rouquin, de sexe féminin ou masculin, balafré ou pas, instruit dans une langue ou analphabète intégral, villageois ou citadin, qu’on chie dans des toilettes modernes ou derrière les buissons comme c’est la pratique à Tougan, tous, jouissent des mêmes droits devant la loi. C’est un principe intangible, fondateur de l’ordre social. Un postulat qu’apprend tout individu lorsque s’éveille sa conscience politique.
A l’école, dans les médias, dans les réunions politiques, on rappelle, en permanence, au citoyen que seul le respect de ce principe permet à la communauté humaine de vivre en paix. A contrario, le non respect du principe d’égalité devant la loi est source de conflits plus ou moins ouverts, de contestation, bref, de désordre.
Mais au quotidien, le citoyen ordinaire, mais averti a le sentiment que l’égalité proclamée n’est pas aussi évidente qu’on le dit. L’accumulation de faits ébranle sa conviction que, oui, tous les hommes ne sont pas égaux. Comme dirait l’autre, il a sentiment que certains sont plus égaux et plus libres que d’autres.
Dans les actualités, il apprend qu’un instituteur a été licencié parce qu’il est suspecté d’avoir vendu des manuels scolaires destinés aux élèves nécessiteux. En écoutant la radio, il apprend également qu’un type a été jugé et condamné par le Tribunal de grande instance, coupable d’abus de confiance envers un oncle, une tante ou un ami.
Dans le même temps, les mêmes sources l’informent que de hauts commis de l’Etat ont piqué dans la caisse publique. Leurs noms sont parfois publiés dans des rapports officiels, sur la même ligne que le montant des sommes volées. Curieusement, ces derniers ne sont pas inquiétés. Les journaux en parlent pendant un bout de temps, puis passent à autre chose.
Il commence à s’interroger sur ce qui apparait à ses yeux comme des bizarreries. D’un côté, la justice se montre d’une étonnante célérité et d’une rigueur dans ses décisions quant il s’agit de punir les « petites gens », mais la même justice est d’une troublante lenteur lorsqu’il s’agit de taper sur les gens d’en haut ! Il ne comprend pas pourquoi le procureur général s’autosaisit de certaines affaires, ce qui est son rôle quand l’intérêt général est menacé, convoque la presse, et énumère les charges retenues contre le suspect, mais ne lève guère le petit doigt, en tout cas pas publiquement, quand des structures officielles comme l’ASCE-LC ou la Cour des comptes épinglent des responsables pour leur gestion très approximative de la chose publique.
Les multiples rebondissements du procès des ministres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré ouvert le 29 avril, puis suspendu à plusieurs reprises, le laissent désemparé. Il commence à penser que, franchement, l’égalité de tous devant la loi ressemble à une entourloupe. Ce n’est pas du tout vrai. Ceux qui tentent de le convaincre qu’un ministre est un citoyen ordinaire mentent. Lui, Makaya, comme on l’appelle ainsi en Afrique centrale, quand il commet un délit, il le paie cash et vite. Mais un ministre, c’est différent. Ce n’est pas n’importe qui. Dans notre pays, le juger n’est pas une mince affaire. Il faut un tribunal spécial. Une Haute cour de justice de la république dont la composition répond à un équilibre politique et technique. Dans l’accomplissement de sa mission, le ministre prend des décisions qui engagent toute la nation. Il peut même ôter la vie d’un individu qu’il juge dangereux pour la paix sociale. Sans se justifier. Raison d’état oblige. L’ancien président français François Hollande a confessé l’avoir fait durant son mandat. Il n’a de compte à rendre à personne, pas même à un juge !
Le citoyen en arrive à cette conclusion que, finalement, l’égalité de tous devant la loi est une plaisanterie de mauvais goût, et que c’est le philosophe américain John Rawls qui a raison : la justice fonctionne selon la règle de l’équité !

Joachim Vokouma
Kaceto.net