Notre publication précédente a portée sur les conditions du « vivre ensemble ». Il y est particulièrement ressorti que le « vivre ensemble » ne peut être ramené à une recette lapidaire et magique. Ni la ressemblance des profils psychologiques, ni l’amour irrationnel source d’attirance, ni les engagements sociojuridiques, ou même tout cela à la fois, ne constituent un gage suffisant pour une union durable, à l’abri de tout risque de corrosion. Mais si ces paramètres ne sont pas suffisants, ils sont cependant nécessaires ; en effet, pour vivre à deux, au moins une de ces conditions doit être déjà là ; il faut, ou se ressembler au point de s’attirer, ou s’aimer au point de désirer être en amitié ; ou alors, être simplement en union sociojuridique et d’intérêt, sans considération de sentiment comme soubassement.
La majorité des unions que nous pouvons rencontrer dans la vie, fonctionne, au moins, sur une de ces bases, avec les crises récurrentes que nous leur connaissons aussi. En règle générale, la recette passepartout, qui est recommandée dans les situations de crises relationnelles, c’est la compréhension ; il est bien courant d’entendre dire en effet : « si vous vous aimez, si vous tenez l’un à l’autre, il faut alors vous comprendre ». Oui, se comprendre. Mais se comprendre comment, quand justement on ne se comprend plus ? Bien sûr, il existe toute une cohorte de personnes qui aiment jouer aux facilitateurs de dialogue et qui, dans ce genre de situation, ont plaisir à jouer aux médecins de l’amour et aux anges de la réconciliation des cœurs. Mais dans combien de cas cette thérapie marche-t-elle ? De notre point de vue, l’amour ne se soigne pas. Il nait, se développe et vit éternellement sans pathologie, ou alors il sombre, meurt précocement, étouffé par les problèmes de communication, d’inadéquation des consciences qui s’aiment, de discordance des centres d’intérêt, d’incompatibilité des humeurs. Le débat, ici relancé, n’est donc pas à ce niveau. Notre interrogation se penche plutôt sur l’amour lui-même ; est-il vraiment source de compréhension entre les consciences, comme l’imagine l’opinion et le bon sens ? Ou au contraire, s’aimer n’est-il pas un facteur négatif de la communication interpersonnelle ? Peut-être que tout dépend aussi du type d’amour !

L’amour est facilitateur du dialogue interpersonnel
Pour se rendre compte que l’amour est par nature source de compréhension, il faut envisager « le non amour ». « Le non amour », c’est d’abord le contraire de l’amour. Ce contraire, pensons-nous, c’est la haine. La haine rend impossible toute compréhensible entre deux consciences. Quand je hais autrui, je n’ai aucune envie de le voir, de lui parler, de l’écouter, d’être en sa compagnie. Au contraire, j’aurai tendance à le mal juger, à le rabaisser, à mettre sur son compte tout ce qui le dévalorise. Ce sont là des attitudes qui génèrent les préjugés et les obstacles dans la communication avec autrui. La haine est une source de mépris et une véritable montagne sur le chemin du dialogue entre moi et les autres.
Le « non amour », c’est aussi l’indifférence. Elle a quasiment le même effet que la haine. Lorsqu’autrui m’est indifférent, sa vie m’intéresse peu ; il passe inaperçu. Je ne prends aucun temps pour le fréquenter, l’écouter et le comprendre. Nous vivons ensemble peut-être, mais nous nous ignorons ; en fait, nous coexistons sans forcément nous comprendre. Dans ces conditions, le courant passe mal ou ne passe même pas du tout entre nous.
L’amour est alors l’absence de toute haine, la dissolution de toute indifférence. Entre autrui et moi, il vient faire tomber les masques, dissiper l’obscurité, abolir l’anonymat dans lequel vivait l’être maintenant aimé. C’est pour cela que Victor Hugo a bien pu dire qu’« aimer un être, c’est le rendre transparent. » Le passage du « non amour » à l’amour opère une transfiguration de l’autre, qui le magnifie à nos yeux, amplifie ses atouts, anéantit toutes distance, toute réserve, toute réticence. L’amour brise les barrières de toutes sortes, dissout les préjugés et focalise les sens sur l’être aimé. L’amour ouvre, toute béante, notre conscience à l’autre, et c’est bien en cela qu’il crée les conditions idoines de la communication interpersonnelle. En fait, s’aimer, c’est se mette en disposition de se parler avec délice, de s’écouter avec tendresse, de se contempler avec avidité, de trouver le temps et l’espace précieux indispensables au rapprochement mutuel. C’est justement ce rapprochement des consciences, des bords, des corps, qui fait de l’amour une puissante source de compréhension, comme nous le verrons dans notre publication prochaine.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net