Dès son premier voyage en terre africaine au lendemain de son élection en 2007, Nicolas Sarkozy avait déclaré, à Dakar, du haut de ses 1,51 cm « que le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est assez entré dans l’histoire ».
Des propos qui avaient choqué beaucoup d’Africains et suscité une vive réaction de certains intellectuels du continent aussi bien dans la presse que dans des livres. C’était son péché originel. On l’avait vite pardonné, en mettant sa bourde sur le compte de l’inculture. Mais l’Afrique est décidément le seul contient sur lequel on peut débiter des mensonges sans encourir le moindre risque.
Dix ans après Sarkozy, le nouveau président Emmanuel Macron, qui a tant d’amour à donner aux enfants qu’il a décidé de ne pas en avoir, -ce qui est son droit- croit savoir que la cause du sous-développement de l’Afrique réside dans la bite trop fertile de ses habitants. Une formule lapidaire qui ravive les fantasmes de la bombe démographique, agitée il y a quelques décennies et qui provoque une forte émotion sur le continent.
Qu’en est-il de la fertilité abondante des femmes africaines ? Quel est cet « défi civilisationnel » auquel, selon Macron, l’Afrique est confrontée ? Les gouvernements africains occultent-ils la question démographique dans leurs politiques de développement ?
Eléments de réponses avec Georges Guiella, démographe, professeur
l’institut supérieur des sciences de la population
Université de Ouaga1, Joseph-Ki Zerbo.

Lors du sommet du G20, le président français, Emmanuel Macron a déclaré : « Quand vous avez des pays qui ont encore 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. Comment réagit le démographe que vous êtes à ces propos ?

En tant que démographe, ma réaction à ces propos est la suivante : tous les pays africains et en particulier les pays d’Afrique subsaharienne sont plus conscients que le président français, qu’il ne peut y avoir de développement sans une certaine adéquation entre la population et les ressources (Cf les sommets de l’UA où il est question du dividende démographique et le sommet des présidents de parlements africains sur le dividende démographique qui aura lieu à Ouagadougou du 20 au 22 juillet 2017).
Ensuite, je déplore la manière condescendante et dédaigneuse avec laquelle le président Macron aborde la question. Il a certes cité quelques facteurs susceptibles de plomber les efforts des gouvernements et leurs soutiens dans le combat pour le développement, (gouvernance, transition démocratique…) mais pour Macron, c’est la forte fécondité qui est le problème numéro un de l’Afrique. Or, sur le plan purement démographique, l’Afrique a une moyenne de 4,7 enfants par femme, et seul le Niger avec une moyenne de 7,6 enfants par femme, répond à la peinture faite par le président français. Il a donc tort de vouloir généraliser.
D’ailleurs, il devrait retourner à ses cahiers pour savoir que la France avait imposé à ses colonies la loi de 1920, qui interdisait toute forme de contraception et qui punissait même la publicité sur ce sujet. Que visait cette loi ? A assurer de bras valides pour le développement des colonies et pour les envoyer combattre pour les intérêts de la France partout où besoin était. Maintenant qu’on n’en veut plus, on trouve qu’ils font trop d’enfants. Dans la plupart de ces colonies, cette loi est restée en vigueur jusque dans les années 1980.
Le plus grave dans les propos de Macron, c’est quand il affirme par la suite que « le défi de l’Afrique est beaucoup plus profond, il est civilisationnel ». Que faut-il comprendre ? Que nous avons un problème de civilisation ? Que nous devons changer de civilisation ? Qu’il nous faut rejoindre la lumière ? Ces propos sont très graves et vont au-delà de la problématique population-développement à laquelle nos différents pays s’efforcent d’ailleurs de trouver des réponses. Un pays comme le Burkina Faso avec 5,4 enfants par femme en moyenne en 2016 (contre 6,9 en 1993), a inscrit la maîtrise de la croissance démographique comme un objectif dans le PNDES, qui consistera à faire passer le taux de croissance démographique de 3,1% à 2,7% à l’horizon 2020.
Enfin, je m’inscris en faux contre l’affirmation de Macron selon laquelle « avec un tel taux de fécondité, vous pouvez investir des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Il fait preuve là d’une ignorance grave du concept de « dividende démographique » dont il gagnerait à se faire briefer par ses conseillers et par les nombreux démographes français.

La déclaration du président intervient au lendemain du sommet de l’Union africaine consacré aux dividendes démographiques. Comment capitaliser justement l’atout que représente la jeunesse africaine ?

Par « dividende démographique », il faut entendre la croissance économique rapide qui peut résulter de la baisse de la mortalité et de la fécondité d’un pays donné. Ces deux baisses vont entraîner une modification de la structure par âge de la population avec pour résultante majeure, une diminution du nombre de dépendants (notamment les enfants de moins de 5 ans à qui on consacre énormément de ressources notamment pour la santé) et une augmentation du « stock » de population en âge de travailler. Tout cela va créer une opportunité de croissance économique plus rapide à condition de mettre en œuvre des politiques sociales et économiques et des investissements adaptés : éducation et formation, création d’emplois, bonne gouvernance.
La capitalisation de l’atout que représente la jeunesse de la population africaine passe donc par un certain nombre de conditions à remplir par les pays africains, qui sont reprises dans le concept de « dividende démographique ». Ce dividende ne s’obtient donc pas automatiquement tout juste parce que vous avez une population jeune.

Dans le PNDES, il est question d’atteindre 4.7 enfants par femme en 2020. est-ce possible et comment y arriver ?

Dans le PNDES, les questions de population sont abordées sous « l’axe 2 : Développer le capital humain », notamment dans l’objectif spécifique 2.1 : Promouvoir la santé des populations et accélérer la transition démographique ». Il y est effectivement question de passer de 5,4 à 4,7 enfants par femme entre 2015 et 2020. Les estimations qui ont été faites sur la base des nouvelles données, montrent que cela est possible et que le Burkina est sur la bonne voie. En effet, un des leviers pour y parvenir, est de permettre aux femmes qui ont besoin de la contraception (environ 30% des besoins en planification familial ne sont pas satisfaits), d’y accéder. Les données montrent qu’en 2016, le taux de prévalence contraceptive est de 24,2% au Burkina. Or, pour arriver à 4,7 enfants par femme en 2020, il nous faudrait atteindre au moins 32% de taux de prévalence contraceptive. Cela suppose que nous fassions des progrès de 2% d’augmentation du taux de prévalence par an, ce qui est dans le domaine du possible au regard des performances constatées entre 2013 et 2015 qui étaient de l’ordre de 2%. Cette cible est d’autant plus atteignable que le PNDES prévoit pour ce faire, des interventions qui permettront d’assurer l’accès universel des populations aux services de planification familiale avec un accent particulier sur les jeunes et adolescents.

En octobre dernier à Dori, le président du Faso avait évoqué le fort taux démographique dans la région du Sahel. Les politiques contraceptives ont-elles toutes échoué ?

En prenant le cas de la région du Sahel, le président Roch Kaboré a souligné la nécessité d’avoir une adéquation entre la population et les ressources. C’est cela le fond de son message que nous devons retenir. La région du Sahel et de l’Est sont les régions où le nombre moyen d’enfants par femme est le plus élevé au Burkina (7,5). Mais cela ne veut pas dire que les politiques de planification familiale ont échoué. Chaque région a sa spécificité qu’il faut considérer avec parcimonie. L’un des traits démographiques de ces régions c’est l’entrée précoce en union. L’âge médian à la première union est de 16 ans au Sahel, c’est-à-dire qu’à 16 ans, la moitié des jeunes filles sont déjà en union dans cette région alors qu’il est de 28 ans dans la région du Centre.

Il semble que pour 1000 naissances, il faut sacrifier 300 femmes. est-ce vrai ? Si oui, comment lutter contre ce désastre humain ?

Au Burkina Faso la mortalité maternelle se situe autour de 300 décès de femmes pour 100.000 naissances vivantes. Cela veut dire que pour avoir 100.000 bébés, il faut sacrifier 300 femmes ! Au Burkina, annuellement on estime à 600.000 le nombre de nouveau-nés. Cela veut dire que globalement on peut s’attendre à perdre annuellement 1800 femmes par cause liée à la maternité. Les ambitions du PNDES sont de réduire ce taux de mortalité maternelle à 242 décès maternels pour 100.000 naissances en 2020.
Quant à la mortalité des enfants de moins de 5 ans, il était de de 82 pour 1000 en 2015. C’est-à-dire que sur 1000 enfants qui naissent, 82 ne fêteront pas leur 5è anniversaire. Là également, la cible pour le PNDES est de ramener ce quotient à 54,7 en 2020. L’atteinte de ces objectifs est conditionnée par l’amélioration de la qualité et de la quantité de l’offre des services de santé, le renforcement du système d’information sanitaire, la mise à disposition des ressources humaines et des infrastructures aux normes internationales et la bonne gouvernance des établissements de santé.

Comment les organisations internationales comme le FNUAP,, l’Unicef ; l’OMS, etc., accordent-elles leurs projets et programmes avec les objectifs du PNDES ?

Comme elles aiment le dire, les organisations internationales (FNUAP, UNICEF, OMS, etc.) appuient les pays pour qu’ils atteignent leurs objectifs en matière de population-santé-développement. Pour ce faire, plusieurs d’entre elles ont arrimé leurs programmes avec le PNDES afin qu’ils cadrent avec les échéances du PNDES mais aussi sur le plan des priorités et des indicateurs.

Pour parler trivialement, fait-on trop d’enfants en Afrique ?

Tout est relatif. Encore une fois, tout se décline en termes d’adéquation entre population et ressources. Comme le montre le concept de dividende démographique, si la structure par âge de la population est telle que les dépendants (surtout les enfants de moins de 5 ans) sont plus nombreux que les actifs, il est clair que les efforts de développement seront davantage plombés. Prenons l’exemple du Burkina qui a eu un taux de croissance moyen du Produit Intérieur Brut (PIB) de 5,5% entre la période 2011-2015, ce qui est appréciable. Mais lorsque vous le mettez en rapport avec le taux moyen de croissance démographique de 3,1% au cours de la même période, vous vous rendez compte que la croissance moyenne du PIB par habitant n’a été finalement que de 2,4% (5,5% moins 3,1%). On voit donc que schématiquement, à taux de croissance égal entre deux pays donnés (toutes choses égales par ailleurs), c’est celui qui a le plus faible taux de croissance démographique qui bénéficiera de la plus forte croissance moyenne du PIB par habitant.

Propos recueillis par Salam Sondé
Kaceto.net