Notre chroniqueur entame aujourd’hui une réflexion sur l’égalité, un thème qui a toujours été au centre des rapports plus ou moins houleux entre les hommes

La question, ainsi posée, est aussi vielle que les premières réflexions qui ont tenté de trouver des fondements à l’ordre social. Pour des besoins de préséance protocolaire, de privilèges à distribuer et de pouvoir à attribuer, les hommes ont dû répondre à cette question dès la formation des sociétés archaïques. Plusieurs réponses ont défilé dans l’histoire, servant, successivement, de fondement à divers modèles d’organisation sociale. Nous éviterons ici de faire cette historiographie des idées sur l’inégalité et l’égalité, d’autant plus que le débat n’a jamais trouvé d’issu consensuelle, et cela, malgré la décisive intervention de Jean Jacques Rousseau, qui, devant un collège de l’académie de Dijon en France, soutenait, en précurseur des idées révolutionnaires du siècle des Lumières, que les inégalités ne sont pas naturelles et que les hommes naissent égaux en droit. C’est à partir de là d’ailleurs que nous ouvrons la réflexion. Les hommes naissent égaux en droit, mais on constate bien, dans les faits, qu’ils sont inégaux, même trois siècles encore après Rousseau et ses pairs éclairés. Finalement, que retenir aujourd’hui, en ces temps où bien d’esprits doutent des valeurs de démocratie et d’égalité ? Les inégalités sont là, dans les faits, et nonobstant la grande contribution des idées humanistes, socialistes et égalitaristes du XIXe siècle de Karl Marx, les sociétés ont du mal à traduire le principe de l’égalité en réalité concrètement vécue. Cette situation laisse planer le doute, au point que nous osons toujours nous reposer la question à laquelle Rousseau avait esquissé une réponse : les inégalités parmi les hommes sont-elles naturelles ou, au contraire, socioculturelles ? La première partie de notre réflexion se chargera, ici, de clarifier certains concepts, comme celui de « naturel » et de « culturel », de faire ensuite l’état des lieux sur les inégalités parmi les hommes. Les publications ultérieures viendront alors ouvrir et mener le débat sur la nature véritable de l’égalité de droit et l’origine des inégalités de fait.
Avant toute chose donc, qu’est que le naturel ? Et qu’est-ce que le culturel ?
Le naturel, c’est ce qui est conforme à la nature, ce qui est inscrit dans la constitution des choses, ce qui est là dès le départ et qui n’a pas été surajouté par la suite. Le naturel, c’est l’inhérent, c’est l’innée, c’est l’héréditaire aussi. Par exemple, que je sois bipède, est naturel, puisque je suis homme et que l’homme est de nature bipède. Par ailleurs, ma taille, ma corpulence, « les couleurs » de ma peau, de mes yeux, de ma chevelure, sont aussi naturelles, parce que je les tiens, héréditairement, d’un de mes parents biologiques ou de façon innée, par une combinaison de gènes de mes ascendants.
Au contraire, le culturel, c’est l’acquis, le surajouté, l’artificiel. Le culturel ; c’est tout ce que j’ai reçu et appris dans la vie, par l’éducation, par l’apprentissage et par l’expérience. Le culturel est la somme de ce que je suis devenu, après ma naissance, au contact des hommes et à travers les circonstances de mon existence dans l’espace et dans le temps. Le culturel est tantôt la négation du naturel, sa limitation et sa frustration, tantôt son prolongement, son éclosion et sa conséquence. Dans tous les cas, il est, non le point de départ, mais la marque du parcours et la trace de l’histoire. Ainsi, mes besoins naturels, tels que boire, manger, dormir, me défendre, me reproduire, renvoient à des réponses historiquement acquises et apprises au sein d’une société précise, et qui constituent ma façon de vivre, mon mode d’existence au monde.
A la suite de cet éclairage sur ces deux notions, la question de fond consiste alors à savoir si les inégalités relèvent du naturel, ou contraire du culturel. Mais à cette étape, il faut d’abord déplayer le terrain autour de la notion d’inégalité elle-même. Mathématiquement, l’inégalité, c’est le plus et le moins, l’inférieur et le supérieur, mis en rapport l’un avec l’autre. Dans l’espace concret de la vie, les inégalités, ce sont les disparités qui existent entre les choses, et entre les êtres. A l’échelle humaine, il s’agit des disparités physiques, psychologiques et socioéconomiques. Dans la vie, et en tout domaine, on voit que les hommes n’ont pas les mêmes lots. Les uns ont tout et les autres n’ont rien. Au sens propre comme au figuré, les hommes n’ont pas le même poids. Leurs êtres, leurs savoirs, leurs savoir-faire, leurs savoir être, leurs avoirs, présentent de criardes disparités. Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire, on constate des inégalités de statuts, de fortunes, de niveaux d’instruction, d’aptitudes physiques et morales, de conditions de vie. Les sociétés donnent l’impression qu’elles ont toujours été hiérarchisées selon un ordre ou un autre, à raison ou à tort. L’histoire étale, sous nos yeux, un tableau baroque de maitres et d’esclaves, de serfs et de féodaux, de dignes et d’indignes, de prolétaires et de bourgeois, d’inférieurs et de supérieurs, de fortunés, d’infortunés et d’indigents. Quel est alors l’origine de toutes ces inégalités parmi les hommes ?
Sont-elles radicalement ontologiques ou relèvent-elles des accidents de l’histoire ? Peut-on vraiment les légitimer, en négation de toute égalité de droit entre les descendants d’Adam ? Les étapes suivantes de la réflexion d’apporteront réponses à ces questions.

Zassi Goro ;professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net