Héritier d’une famille au pouvoir depuis plus de 50 ans, le président togolais Faure Gnassingbé, confronté à une contestation populaire sans précédent pour demander son départ, fait figure d’exception parmi ses pairs ouest-africains, tous issus de l’alternance démocratique.

"Le Togo est le seul pays de la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) à ne pas avoir connu de véritable alternance démocratique", relève ainsi le politologue Gilles Yabi.
"Le régime actuel s’inscrit dans la continuité de celui du père, qui fut l’un des plus brutaux que le continent africain ait connu", poursuit ce spécialiste de l’Afrique de l’Ouest. "Au-delà des réformes (constitutionnelles, ndlr), les Togolais veulent un véritable changement".
Faure Gnassingbé a succédé en 2005 à son père, le général Eyadéma - qui a régné sans partage durant 38 ans - avec le soutien de l’armée, au terme d’élections ayant entraîné des émeutes sanglantes dans ce petit pays francophone de sept millions d’habitants.
Il a depuis été réélu à deux reprises en 2010 et 2015, lors de scrutins très contestés par l’opposition.
Avec la Gambie, le Togo était le seul membre de la Cédéao à avoir rejeté la proposition d’une limite au nombre de mandats présidentiels à l’échelle régionale, lors d’un sommet commun à Accra en mai 2015.
Après des alternances pacifiques comme au Bénin ou au Ghana, la révolution populaire au Burkina Faso, Lomé et Banjul étaient ainsi perçus comme les "mauvais élèves" d’une région souvent citée en exemple sur un continent où nombre de dirigeants s’accrochent au pouvoir.
Le sort de Yahya Jammeh fut scellé en décembre 2016, lorsque la Cédéao est intervenue militairement pour chasser celui qui dirigeait la Gambie d’une main de fer depuis 22 ans et refusait de reconnaître sa défaite à la présidentielle.
Au Togo, les organisations des droits de l’Homme continuent à dénoncer des cas de tortures, d’arrestations arbitraires, de musellement de la presse et de l’opposition. Mais contrairement à son ancien homologue gambien, Faure Gnassingbé, actuel président en exercice de la Cédéao, "n’est pas isolé" et jouit du soutien de ses pairs, estiment des experts.
Le président de la Commission de l’organisation, Marcel de Souza, s’est rendu discrètement à Lomé pour rencontrer l’opposition mercredi, après plusieurs jours de manifestations massives et pacifiques dans le pays.

 Diplomatie internationale -

Et en dehors de quelques chefs d’Etats à la retraite comme le Nigérian Olusegun Obasanjo et le Ghanéen Jerry Rawlings, qui ont affiché leur soutien avec la population togolaise, aucune voix ne s’est élevée dans la sous-région ces derniers jours.
"C’est le silence radio", commente Comi Toulabor, directeur de recherche au LAM (Les Afriques dans le Monde) à Sciencespo Bordeaux. Ses voisins "ferment les yeux car pour beaucoup, les problèmes sécuritaires et le risque terroriste ont pris le pas sur tout le reste", estime le chercheur.
De son côté, le régime togolais a joué l’apaisement par rapport aux précédentes manifestations populaires réprimées dans le sang - les violences qui avaient suivi l’élection de 2005 avaient fait au moins 500 morts selon l’ONU - en autorisant les marches du 6 et 7 septembre.
Il a également tendu la main à ses détracteurs en proposant à la veille des rassemblements une réforme pour limiter les mandats présidentiels et instaurer un scrutin à deux tours - ce que réclame depuis 10 ans l’opposition.
"En tant que président de la Cédéao, Faure Gnassingbé essaie de faire oublier le caractère peu démocratique de son régime et se montre très actif sur le plan de la diplomatie internationale", selon M. Yabi.
Le chef de l’Etat multiplie l’organisation de sommets internationaux, comme celui de l’Union africaine sur la sécurité maritime en octobre 2016, le forum annuel AGOA (Croissance et Opportunités de Développement en Afrique) en août dernier, et enfin le sommet Afrique-Israël prévu en octobre, reporté sine die.
Lomé, avec son port en eau profonde et son nouvel aéroport international, se rêve en hub régional et courtise les investisseurs étrangers, séduits par un taux de croissance annuel à 5% et la quiétude sociale qui a longtemps prévalu malgré le chômage massif chez les jeunes et la pauvreté qui touche plus de la moitié de la population.
L’ancienne puissance coloniale française ne s’est pas exprimé non plus depuis le début des mouvements populaires. Interrogé par l’AFP, le Quai d’Orsay a dit "avoir suivi avec attention les événements des dernières semaines".
"La France appelle à un esprit de responsabilité et de consensus pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle", a-t-il commenté de manière laconique

AFP