C’est un constat fait par tous les économistes qui s’intéressent aux politiques économiques des pays du Sud : pourquoi, en dépit du taux de croissance économique parfois élevé, la pauvreté ne recule pas sur le continent africain par exemple.
L’auteur du texte ci-contre tente d’apporter une explication à ce paradoxe africain

Sur le continent africain, l’on s’auto-congratule sur des taux de croissance qui ne signifient pas grand-chose dans la réduction de la pauvreté. D’ailleurs, il n’est que de se rappeler partout dans la zone ouest, comment les pays candidats à l’émergence datée ou pas, lançaient des slogans en ce sens. Aujourd’hui, nul ne se risque, sans se contredire platement, à lier la croissance et la réduction de la pauvreté ou même à les épeler l’une après l’autre. Or, précisément, il n’y a de sens à parler de la croissance que dans l’exacte mesure où elle réduit le taux de pauvreté. C’est la responsabilité du gouvernement. La croissance dite inclusive fait le constat de la panne de revenus et du pouvoir d’achat, de taux d’emplois des jeunes pétrifié, de la cassure de l’ascenseur social au service du plus grand nombre. Elle prétend riposter contre cette nouvelle forme d’injustice induite par les politiques néolibérales au moyen de cette nuance adjectivale. Seulement à la marge. Cette croissance- là, est fardée et surtout improbable par la structure même de nos économies, tandis que la croissance populaire, parce qu’endogene, est notre horizon d’attente, parce qu’elle prend sa source dans l’activité endogène de création de la richesse comme prospérité partagée. Pourquoi ? Parce que l’alignement des taux faramineux de croissance ne l’est que par l’extraversion de sa dynamique et de la structure de son calculus. De ce fait, même à trois chiffres, elle fait droit à la prospérité de la grande pauvreté. Pire, l’endémisation de la vulnérabilité du plus grand nombre. Alors, les économistes adeptes et exécutants de l’imperium de l’optimisation fiscale des grandes firmes, se gavent de nouveaux concepts que subsume le concept de projets structurants. Encore faut-il faire des investissements productifs, toute chose que la puissance publique, trop grasse, peine à faire. Attirer les investisseurs étrangers aussi longtemps que la paupérisation exponentielle est contenue à la périphérie comme menace et maintenir les apparences de la justice indépendante sauves au service de l’illusion de la sécurité des investissements et investisseurs. Voilà les termes du débat de société, notre débat, notre devoir de compréhension générationnel.
C’est dans un tel contexte que les dirigeants de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) viennent de situer le taux de croissance au tour de 6.9% pour l’ensemble de l’année 2017 en progression comparativement à ceux des années 2015 et 2016 qui étaient respectivement de 6.6 et 6.7.
La structure de cet infime et fugace progrès –un tressaillement- est dû « essentiellement par la vigueur de la demande intérieure et, du côté de l’offre, par des hausses significatives des valeurs ajoutées dans les secteurs primaires (5,1%), et secondaire (9,5%) et tertiaire (5,9%). Sous l’autorité du Gouverneur Thiémoko Meyliet Koné, une somme de recommandations à l’endroit des Etats a été donnée de poursuivre des « efforts de mobilisation des recettes fiscales et de rationalisation des dépenses publiques ».
La plus consistante est la rationalisation des dépenses parce que sa conduite produit plus de ressources disponibles pour l’investissement productif et donc, plus de recettes fiscales. Aisée aussi puisque cela relève de la volonté des dirigeants de diminuer ou non les ponctions démentielles dans les fonds publics pour faire tourner la machine administrative et bien sûr, assurer leurs propres charges financières. Le comité de politique monétaire sous la présidence du Gouverneur Koné fustige ainsi les dépenses trop élevées du coût de l’Etat et de ses animateurs.
L’assainissement des finances publiques commence par l’imposition des contraintes strictes et contrôle effectif quant à la garde, l’utilisation et la gestion des deniers publics. Dans un démocratique pays comme la Norvège, la charte de l’éthique gouvernementale est appliquée rigoureusement à tel point que des vertus comportementales des officiels en missions ou non sont normées. Les manquements punis. Cela montre tout le gain obtenu dans le respect des vertus démocratiques. Elle se charge de régler la doctrine du recours aux deniers publics. Seulement en termes de plafonnements journaliers, mensuels et régulés sur le coût de la vie dans la ville ou pays, de remboursements sur justificatifs. Le simple fait que les officiels ne sont remboursés que sur présentation de justificatifs suivant le binôme compensations et plafonnements (frais de voyage, dotations, avantages, restauration, usage ou non collectif ou non des services de protection des VIP) réduit les abus et les entorses à la charte. Il y a aussi le fait que le parc automobile de l’Etat fonctionne sur le mode du covoiturage. Au Canada, toutes ces charges éthiques et de contrôle de l’utilisation des deniers publics incombent au Bureau du Vérificateur Général. Seul le Mali l’a essayé sous l’administration ATT. Un modèle à s’approprier. L’existence de cette charte et modèle gouvernemental ne renvoient surtout pas à la modalité opératoire et au modus operandi de l’ordonnancement des tâches, chronogramme et résultats comme certaines chartes de déontologie gouvernementale africaines le consacrent. Ces chartes africaines ainsi articulées sur le management bureaucratique pyramidal, top-down, disfonctionnement. Pourquoi ?
Premièrement, dans l’exacte mesure où elles consacrent l’oubli des principes comme la loyauté au Bien commun, la tempérance dans la dépense publique, l’intégrité dans l’accomplissement des devoirs du service public, tout ceci atteste que la probité des officiels est l’assurance et le moteur de la confiance du peuple. Or, en Afrique, je souligne, on puise les fonds, on en dispose avant de penser apporter les justificatifs, a postériori. Il faut donc inverser le processus en amenant la décence dans la dépense ordonnée, payée par l’officiel soumis au plafonnement des charges induites, et seulement se faire rembourser après coup. Il s’agit, comme volonté gouvernementale, de rédiger et faire appliquer des chartes de déontologie adaptée. Des vertus gouvernementales non fardées qui engagent autant le planton que le président de la république. La reddition des comptes l’est pour tous au nom de vertus et valeurs démocratiques pour le Bon gouvernement dans l’animation du service public, du lien entre argent public et responsabilité morale, civile et pénale de chaque serviteur de l’Intérêt public.

Deuxièmement, les chartes même bien adaptées ne peuvent obtenir des résultats probants quand on sait que les gouvernements eux-mêmes ne sont jamais sous la contrainte d’allouer les ressources financières et humaines nécessaires dans les délais prescrits. Que l’on parle de plan quinquennal ou simplement de développement, c’est pareil. Il n’y a de résultats probants que là où il y a du leadership sur les questions d’allocation à temps des ressources multiples (humaines, financières et logistiques etc.), le suivi de l’exécution des projets arrivés à maturité, le cahier des charges afférentes et naturellement, la récompense/sanction suivant le cas. Ensuite, l’autorité judiciaire n’est jamais saisie automatiquement par ces agences de la bonne gouvernance qui pullulent, ça et là, quémandant, priant les officiels de bien vouloir venir déposer leur déclaration de biens avant leur prise de fonction. Bien souvent, la sanction n’est jamais la règle. Ainsi, ces organismes sont devenus des pléthores budgétivores inutiles. Je reconnais que l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat et de lutte contre la Corruption (ASCE/CL) jouit de pleins pouvoirs au Burkina Faso ; contrôle, saisine et transmission de dossiers au parquet directement.
C’est ainsi que madame Nathalie Somé, présidente du Conseil Supérieur de la Communication du Burkina a été placée, il y a quelques jours sous mandat de dépôt. Elle a tenté vainement –pour la petite histoire-de faire intervenir le Président du Faso pour obtenir une contre -expertise, jouant ainsi le conflit entre les ordres de pouvoir, voire l’intrusion illégale de l’exécutif dans le processus administratif et judiciaire. Naturellement, tout serviteur de l’Etat de droit démocratique, du plus élevé au planton jouit de ses droits implicites (constitutionnels) que sont la liberté d’expression, l’Habea Corpus et la présomption d’innocence.
Troisièmement, il est établi, comme coutume et éthique gouvernementale dans les grands pays de droit démocratique que l’on ne peut freiner les abus et les entorses à la décence comportementale des officiels que par la contrainte et le contrôle de responsabilité. Parce que la reddition des comptes est la chose qui est le moteur de la gouvernance démocratique. Il s’ensuit que chacun engage sa responsabilité personnelle dans son rapport à l’argent public. Il est aussi constant que les gouvernements ont la charge de minimiser leurs propres charges pour être moins budgétivores et plus efficaces. Aussi, il suit que la lutte implacable doit être menée contre les conflits d’intérêt. Cette lutte implacable se légitime du principe philosophique accréditant l’idée que le service public repose sur la confiance du peuple souverain. La police d’assurance reste et demeure la reddition des comptes comme dialectique de l’action publique décente.
Quatrièmement, il y a, en conclusion, un lien entre les points de croissance perdus parce que l’Etat bureaucratique est trop gras pour être efficace (ne peut plus dégager un budget d’investissement productif conséquent pour doper la croissance endogène comme croissance populaire). Et quand il se décide à agir, ce n’est pas pour couper dans le gras de l’Etat bureaucratique mais, hélas, dans les budgets destinés aux pauvres (école publique, centres de santé, système d’aides sociales, banques ou greniers d’alimentation pour la grande pauvreté, s’ils existent). Le partage de la prospérité est perçu, faussement, comme engraissement de l’Etat-Providence, pense le néolibéral. La « fainéantisation » théorisée des citoyens et donc l’irresponsabilité, est la commodité, une idée pernicieuse en route depuis les années Reagan. Voilà, à mon sens, les dogmes néolibéraux condensés. Subséquemment, on rejette à la périphérie dans l’extrême pauvreté cristallisée des bras valides, pas formés et surtout dans l’économie informelle non structurée et non financée par des banques publiques, peu prou dévastées par la corruption des élites. Christopher Lasch l’a beaucoup démontré surtout dans ses écrits tardifs de 1996 (posthumes). Des financements publics destinés à l’économie coopérative sont nécessaires ne serait-ce qu’aux fins de ramassage des recettes pour l’Etat. Ne le faisant pas, ces PME/PMI de l’économie informelle restent fiscalement hors-jeu. L’Etat bureaucratique et gras agit souvent dans nos contrées comme relai des firmes internationales, championnes de l’optimisation fiscale comme blanchiment public de l’évasion fiscale (le comité de politique monétaire échoue à la dénoncer) et prédatrices de l’embellie des activités endogènes des pmi-pme africaines.
Comment, dans ces conditions, donner un contenu populaire à la croissance ou à tout le moins, faire droit à l’émergence de la classe moyenne ? En nous émancipant du train de turpitude économique que les plans d’ajustement économique venus de Washington constituent et qui ont été imposés aux Africains. Ce sont des formes neuves de la servitude qui se sont traduites en austérité génératrice de fragilité humaine ou de croissance des inégalités que dénonce depuis toujours, le Prix Nobel d’économie Paul Krugman. Il s’agit donc de l’extraversion de la politique économique africaine, c’est notre cas par des gouvernements trop gras pour dégager des budgets d’investissements publics productifs. Une servitude volontaire qui se prétend perpétuelle. La dénoncer, ça ne signifie point prêcher l’autarcie ou le populisme mais sûrement réfléchir sur les sources endogènes de capter tous les points de croissance par les politiques de relance par des gouvernements souverains parce que responsables. Seuls des Etats démocratiques et efficaces en constituent des solutions.

Mamadou Djibo , Ph.D.,
Philosophy
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