Le 14 juillet, la ville de Nice en France était le théâtre tragique d’un attentat au camion qui a fait 84 morts. Les critiques que certains responsables politiques de droite se sont empressés de lancer au gouvernement ont mis à nu la dévaluation de la parole politique au pays des droits de l’homme. De plus en plus, les citoyens ont l’impression que les leaders politiques parlent, non pour dire la vérité ou proposer des solutions aux problèmes, mais seulement pour paraître comme les plus aptes à diriger. Quitte à mener les électeurs de déception en déception.

C’est un truisme de dire que la parole politique perd de sa valeur en France. Les citoyens croient de moins en moins aux discours des élus. Dans le même temps, le pays n’a peut-être jamais été autant en demande de vraie politique qu’en ce moment où il fait face à de grandes difficultés. Un paradoxe qu’une analyse des prises de parole de certains leaders de droite suite à l’effroyable attentat de Nice permet de comprendre.
Prenons le cas de Christian Estrosi, d’Alain Juppé et de Nicolas Sarkozy. Avec des tonalités différentes, ces figures de l’opposition ont laissé entendre après l’attentat qu’il serait advenu par la faute du gouvernement qui n’aurait pas pris les bonnes mesures pour l’éviter. Et chacun d’y aller de ses solutions, présentées comme des remèdes imparables à des attaques terroristes pourtant difficiles à prévoir. Mais pourquoi ce ramdam indécent quand le sang des victimes rougissait encore la Promenade des Anglais ? Eh bien, par cette sorte de jeu de posture cynique et malsain dont les responsables politiques ont le secret.
Christian Estrosi est communément présenté comme l’homme fort de la ville de Nice dont il a été le maire jusqu’aux élections régionales de décembre 2015. Contraint par la règle de non-cumul des mandats à quitter son fauteuil pour celui de président du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, il a installé son colistier Philippe Pradal dans le fauteuil de maire tout en restant premier adjoint pour continuer dans les faits à diriger la ville. D’ailleurs, après la tragédie du 14 juillet, on ne voyait que lui dans les médias. Il est même allé jusqu’à se plaindre d’avoir été traité « comme un subalterne » – ce qu’il est puisqu’il est adjoint et non maire ! – par le président et le premier ministre lorsqu’ils sont venus rendre hommage aux victimes à Nice.
Dès le soir de l’attentat, alors même que l’enquête commençait à peine, Christian Estrosi s’est livré à une offensive contre le gouvernement qui n’aurait pas déployé suffisamment de policiers nationaux pour sécuriser le feu d’artifice à Nice. Sauf que, petit détail gênant, le maire d’une ville a le pouvoir d’interdire une manifestation festive s’il estime que les conditions de sécurité ne sont pas réunies. Pourquoi donc Christian Estrosi et son colistier Philippe Pradal n’ont-ils pas pris la décision d’annuler le feu d’artifice s’ils estimaient qu’il y avait un quelconque danger du fait d’une insuffisance de policiers nationaux ? Seuls ceux qui connaissent un tant soit peu le fonctionnement des institutions auront compris la vraie raison des critiques de Christian Estrosi : il s’agissait de devancer toute critique des Niçois contre la majorité municipale en pointant un doigt accusateur contre l’Etat. Question de posture.
Dans la foulée, Alain Juppé qui avait habitué les Français à un discours plus raisonné que passionnel a repris à son compte le refrain du « tout n’a pas été fait par le gouvernement pour éviter l’attentat ». Cette charge a surpris plus d’un dans la lourde atmosphère du drame. Mais l’explication en était simple. Il est actuellement le favori des sondages pour les primaires de la droite en vue de l’élection présidentielle de 2017. Or, il connaît bien la capacité de son grand rival, Nicolas Sarkozy, à exploiter ce genre de tragédie pour cliver le débat au sein de la droite entre, d’une part, les partisans de la fermeté sécuritaire, d’autre part, les mesurés dont il fait partie et qui seraient alors taxés de mollesse. Alain Juppé a donc voulu faire preuve de fermeté pour ratisser large et garder son avance sur Sarkozy, sans oublier non plus de dénigrer le président François Hollande auquel il espère succéder. Question de posture là aussi.

Quant à Nicolas Sarkozy, sa retenue des deux premiers jours qui ont suivi l’attentat cachait mal ce qui allait se passer par la suite. Avide de revanche sur François Hollande qui l’a battu en 2012, il est sorti du bois le dimanche 17 juillet dans une interview sur TF1 pour fustiger l’action du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme. Puis, soucieux d’apparaître comme celui qui a des solutions, il s’est lancé dans une litanie de mesures qui, comme l’ont montré tous les analystes, sont soit des mesures qui existent déjà, soit des solutions inapplicables.
Ainsi, sa proposition de voter une loi pour « faire de la consultation des sites djihadistes un délit » mettrait à mal le travail des policiers, des chercheurs ou des journalistes qui ont besoin de consulter ces sites pour démanteler les réseaux terroristes ou informer les citoyens. Par ailleurs, ce n’est pas certain que le Conseil d’Etat valide une telle loi. En effet, le Conseil avait déjà prévenu en 2012 qu’une loi pénalisant la seule consultation d’un site de propagande était attentatoire « à la liberté de communication ».
Une autre proposition de Sarkozy est d’« autoriser les préfets à fermer les lieux de culte salafistes et expulser tout imam qui y prêcherait ». Or, avec l’état d’urgence, les préfets sont déjà autorisés à fermer tout lieu de culte où est prêchée la haine. D’ailleurs, en novembre et décembre 2015, trois mosquées ont été fermées en vertu de cette disposition. Et il en est ainsi de toutes les propositions de l’ancien président, devenu chef du parti Les Républicains (LR)… Pourquoi ce tintamarre ? Simple question de posture.

Ce jeu permanent de posture politicienne finit par faire de la parole politique une sorte de monnaie de change qui perd chaque jour un peu de sa valeur. Car les Français se rendent bien compte que le discours des responsables politiques ne vise plus à dire la vérité, ni même à faire des propositions sincères et honnêtes. Son objectif premier est de permettre à celui qui parle de paraître comme le plus apte à diriger. Et tant pis si les citoyens vont de déception en déception.
Dans ce climat malsain, on peut néanmoins saluer le courage des membres de l’opposition qui, face au drame de Nice, ont su résister aux sirènes de la facilité et de la communication politicienne pour, tout simplement, s’incliner devant la mémoire des victimes. A titre d’exemple, l’ancien premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a fait entendre une voix dissonante en affirmant que « l’exploitation partisane de tels événements ajoute le ridicule à la douleur ». Et Bruno Le Maire, candidat aux primaires de la droite, a appelé les responsables politiques à « éviter les querelles » et les « petites phrases » face à un tel drame. Posture politique aussi ? Sans doute. Mais, au moins, celle-ci sort du ping-pong habituel entre droite et gauche qui discrédite les partis de gouvernement et risque, à terme, de jeter le pays dans le chaos de l’extrémisme.

Denis Dambré