Mis en cause dans l’organisation du putsch de septembre 2015, Djibril Bassolé est détenu à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), à Ouagadougou en attendant la fin de l’enquête et un éventuel procès. Pour ses partisans, comme l’auteur de cette Tribune, rien ne justifie son maintien en prison, si ce n’est pour des raisons politiques.

Début juillet, Djibrill Bassolé, qui s’est fait un nom comme médiateur dans les crises sahélo-sahéliennes toujours d’actualité, a remporté une victoire judiciaire décisive devant la Cour de justice de la CEDEAO, contre l’État burkinabé qui le poursuit pour sa participation présumée au putsch militaire manqué du 17 septembre 2015.
La justice militaire avait pris une ordonnance pour refuser qu’il puisse se constituer des avocats non burkinabé pour sa défense, en violation des règles communautaires et des conventions internationales ratifiées par son pays.
Signe d’une justice qui lutte pour son indépendance, c’est la Cour de cassation du Burkina qui, examinant un pourvoi de Bassolé, a dénoncé un abus de pouvoir du juge militaire ayant ordonné d’interdiction de constituer des avocats étrangers, acte qui outrepassait ses compétences (décision du 30 mai 2016). Puis le 1er juillet, les juges de la CEDEAO ont à leur tour désavoué la justice militaire sur le même sujet, l’enjoignant de rétablir Bassolé dans ses droits violés.
Sur le fond également, l’instruction peine à formuler des accusations irréfragables et l’acharnement des partisans de l’ex-Premier ministre de la Transition, Isaac Zida, à le maintenir en prison transforme Djibrill Bassolé, chaque jour un peu plus, en prisonnier politique.
La principale pièce à conviction de l’accusation est un enregistrement audio dans lequel on entend une conversation téléphonique entre deux personnes présentées comme Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale de Côte d’ivoire – pays qui a offert l’asile à Blaise Compaoré – et Djibrill Bassolé.
Les juges de la CEDEAO, saisis de la question des écoutes, ont réservé leur décision, mais leurs attendus interrogent sur la judiciarisation possible de cette pièce principale de l’accusation. Les attendus sont formulés en direction des conseils de Bassolé, mais à y regarder de près, c’est l’instruction qui est questionnée.
Les juges fondent les attendus sur deux points :
– « Evaluer l’existence » des écoutes
– « Puis l’impact des écoutes sur le dossier pénal ».
Sur le premier point, essentiellement ; de l’évaluation de l’existence des écoutes.
Il existerait une clé USB, scellée. Les avocats de Bassolé indiquent qu’aucune « écoute ne leur a été opposée au cours des auditions et interrogations ».
Or de façon « singulière », le dossier d’instruction aurait été complété par les transcriptions des écoutes. Le fondamental ici, c’est comment attester de l’existence matérielle de ces écoutes ? Si elles existent, qui attestent que ce sont elles qui sont transcrites ? Les juges de la CEDEAO y voient là « une certaine incohérence dans les écritures des requérants ». Il se trouve cependant, que c’est de cette façon aussi que les choses apparaissent dans le dossier de l’instruction.
Les avocats auraient dès lors reproduit, ce qui apparait comme une « incohérence » originelle de l’instruction. Ainsi apparait une difficulté à articuler « les incriminations » et « les écoutes litigieuses ». En l’absence de cette jonction, il est difficile, disent les juges, de considérer que « ces écoutes sont entrées dans la procédure et ont préjudicié les droits de M Bassolé ».
Nous sommes là, face à une singularité qui interroge sur la solidité de l’instruction. Des écoutes dont l’existence reste à établir qui n’ont pas suffisamment été articulées pour construire une accusation irréfragable. Les écoutes apparaissent dans le dossier sans y être emmenées par « un acte précis de l’enquête » et les juges concluent qu’il s’agit là d’une « lacune importante du dossier ».
Exit Soro !
Le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry, à l’occasion de sa récente visite à Abidjan, la capitale ivoirienne, a affirmé que le Burkina Faso avait définitivement abandonné les poursuites contre Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, dans le cadre du putsch du 17 septembre 2015. Il se trouve que Djibrill Bassolé est poursuivi pour les mêmes incriminations. Est-il possible en de pareilles circonstances de poursuivre une seule partie ? Fut-elle un national burkinabè ?
L’organisation des partisans
Plusieurs têtes couronnées traditionnelles se sont données rendez-vous au CENASA, le samedi 9 Juillet, la salle de spectacle du ministère de la Culture, à Ouagadougou, pour dénoncer le maintien en détention de Djibrill Bassolé après les dernières évolutions dans le dossier de l’instruction.
C’est un élément nouveau et important qui vient témoigner de la popularité de l’ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré. Son parti politique né il y a à peine une année, se classe déjà quatrième formation politique au niveau national, après les dernières municipales du 22 mai dernier.
Ses nombreux partisans, jusque-là, faisaient profil bas.
Les succès judiciaires remportés par leur champion semblent les avoir galvanisés. Plusieurs organisations sont nées pour réclamer sa libération et certaines, comme celles qui regroupent les anciens et les sages du parti, sont déjà en campagne.
De Djibrill Bassolé on devrait donc en entendre beaucoup parler dans les rues des grandes villes du Burkina, pendant ces vacances politiques. A moins que la liberté provisoire qu’il réclame depuis, ne lui soit finalement accordée.
Le prochain rendez-vous important, ce sera le 28 juillet. Ce jour, la Cour de cassation devrait examiner le pourvoi contre les itératifs refus de liberté provisoire qu’il ne cesse de demander.
Le gouvernement Burkinabè est face à un dilemme. Continuer à le maintenir en détention et en faire un vrai prisonnier politique. Lui accorder la liberté provisoire et affronter le courroux des partisans de Zida, l’ex Premier ministre de la Transition, lui-même actuellement en exil au Canada et visé par plusieurs procédures, dont une concerne les morts de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014. En effet, les résultats d’une enquête indépendante le mettraient directement en cause pour certains des 30 morts de l’insurrection, notamment ceux tués dans les locaux de la télévision nationale le 2 novembre 2014, alors que Blaise Compaoré avait déjà fui le pays.
Le putsch manqué du général Diendéré et son groupe en septembre dernier, n’était pas un petit incident. S’ajoutant aux conditions dramatiques du départ de l’ancien président Compaoré et aux menaces terroristes, cela créé une fébrilité bien compréhensible au sein de l’opinion et même des élites.
Le positionnement pragmatique et conciliateur de Djibrill Bassolé, qui est une philosophie de vie constante, et un reflet de sa personnalité profonde, peut, dans des périodes de grands déchirements, susciter l’agacement, et même la suspicion. Cela ne peut justifier pour autant l’instrumentalisation de la justice militaire pour faire taire un adversaire politique, difficile à enterrer par la voie électorale.
Selon le parquet, sur les 75 personnes inculpées, 8 sont non détenues et 17 en liberté provisoire. La mise en liberté provisoire de Djibrill Bassolé, ne peut que renforcer le principe d’indépendance de la justice et renforcer la crédibilité des nouvelles autorités, dans leur volonté de sauvegarder l’unité nationale et d’enraciner l’État de droit.

Kassim Traoré
Juriste, Membre du Comite Soutien Djibrill Bassolé Europe
• Le titre est de l’auteur