Transfusion sanguine,greffes d’organes humains ou artificielles, usage des contraceptifs, interruption volontaire de grossesse, insémination in vitro, autopsie des corps, clonage de l’homme, etc., jusqu’où peut-on aller dans l’applications des découvertes scientifiques sur l’espèce humaine ?

La bioéthique contemporaine, au-delà des spéculations épistémologiques des philosophes, est devenue une réalité concrète dans l’univers de la recherche scientifique, des essais cliniques et des tests de validation pharmacologique. Cette situation salutaire trouve ses racines dans le déclic que le procès des nazis, à Nuremberg, a déclenché, face à la catastrophe des pratiques sataniques mises en œuvre par les scientifiques et médecins d’Hitler, le Führer. C’est à partir de là, en s’appuyant sur les valeurs d’égalité de tous les hommes, de respect de la dignité humaine et de la liberté, que la communauté scientifique s’est résolument engagée sur les voies d’une moralisation de la recherche biologique et des essais sur l’homme. Le bilan, à nos temps, laisse des motifs de satisfaction. En effet, presque toutes les universités et les centres de recherche ou d’expérimentation du monde sont dotés de comités d’éthique qui jouent le rôle de censeur moral. Dans cette foulée, le Burkina Faso dispose d’un comité national et de comités locaux dans les centres de recherche. Mais, sur quelles normes alors, ces comités, à l’instar de leurs pairs du monde, sont-ils chargés de veiller ?
Avant toute chose, il faut signifier que de façon classique, il existait déjà des réticences en ce qui concerne certains aspects de la biotechnologie. L’ampleur de ces réticences est fonction des convictions et de la nature des bords religieux de chacun. Elles vont du rejet de certaines pratiques biomédicales à l’opposition radicale pour toute manipulation du corps humain. Dans ce registre, on peut citer en vrac : la transfusion sanguine et les greffes d’organes humains ou artificielles, l’usage des contraceptifs, l’interruption volontaire de grossesse, l’insémination in vitro, l’autopsie des corps, les modifications génétiques sur l’humain, la perspective du clonage de l’homme qui rendrait superflue la reproduction par voie sexuelle. Dans tous les cas, chacun, avec sa susceptibilité, répond, à sa manière, à la question de savoir, jusqu’où peuvent aller la science de l’homme et ses applications pratiques. La bioéthique, tout en partant de la même question, évite de s’embourber dans ce magma de la conscience religieuse, qui est de nature à entraver le progrès scientifique et les bénéfices que nous pouvons en tirer. Cependant, eut égard à tous les dérapages du passé, elle est bien obligée de légiférer, en prohibant les choses qui sont de nature à remette en cause notre humanité, en prescrivant aussi les bonnes pratiques dans la recherche fondamentale ou appliquée et dans les soins médicaux. Nous exposons ici certaines de ces normes éthiques plus ou moins observées par la communauté scientifique et les personnels médicaux.

* Le tout premier principe de la bioéthique est celui de la bienfaisance. Il stipule que la recherche et les processus médicaux de prévention ou de prise en charge, ne peuvent être entrepris que pour le bien de l’individu et de la communauté. Une telle orientation est aussi vielle que le serment d’Hippocrate qui nous vient de l’antiquité. Dans ce texte, réitéré tout au long des millénaires, on peut lire notamment : « Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. » L’essentiel est là. Même si la douleur ne peut être évitée dans les processus de soins, il est obligatoire d’opter pour le moindre mal, le mal qui fait le plus de bien et qui fait prendre le moins de risques possibles.
*Le deuxième principe cardinal est celui du respect de la vie humaine en tout homme, sans ségrégation, sans eugénisme - c’est-à-dire , sans intention de sélectionner un type d’humain sensé être meilleur- . Cette disposition est essentielle, parce qu’elle protège les enfants, les minorités ethniques, les marginaux, les handicapés, les populations pauvres et vulnérables. Personne n’a le droit, par exemple, de faire des essais occultes sur les populations carcérales, sur les malades psychologiquement fragilisés. Aucune firme du monde nanti n’a le droit de faire tester ses nouvelles molécules dans les pays pauvres sans tenir compte des principes de l’éthique. La dignité humaine n’a pas de prix, et nul, pour quelque motif que ce soit, ne doit la bafouer.
*Le troisième principe est celui, non moins essentiel, du respect de la liberté. Il impose que toute participation à une recherche ou à un essai clinique, soit volontaire et librement consentie. Nul ne doit être forcé à subir une expérience, un test, un sondage ou quoi que ce soit de même nature. Mieux, le choix doit être éclairé ; le participant doit être informé de l’objectif et de la méthodologie de l’expérience, des risques qu’il prend et des dispositions de prise en charge, en cas d’effets pervers graves ou secondaires. Dans cette démarche, les parents des mineurs doivent également donner leur consentement éclairé. Il n’est pas question d’essayer de nouvelles molécules sur des mineurs, sans l’accord éclairé des parents ou tuteurs.
*Le dernier principe fondamental de la bioéthique contemporaine est celui de l’anonymat et de la confidentialité. Nul ne doit être exposé publiquement dans une expérience scientifique. Aussi, la norme générale est de ne dévoiler ni l’identité, ni les résultats du participant. Les acteurs de la chaîne de l’essai ou de l‘expérience se doivent d’observer la confidentialité, en quelque sorte, le secret des données.

Au bilan, on peut retenir que la biologie et ses applications multiples ne marchent plus à vau-l’eau. Dans l’intérêt de tous, les règles imposées sont strictes et beaucoup de protocoles de recherche ou d’essais cliniques sont renvoyés pour non-respect des normes éthiques. Le problème n’est donc plus l’absence de censure, mais le risque d’entraver l’accélération du progrès scientifique, si les sensibilités trop conservatrices venaient à s’imposer dans les comités d’éthique. C’est sûr, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ; mais trop de conscience tuerait aussi la science ; et c’est ce qu’il faut craindre aujourd’hui où l’humanité doit faire le choix cornélien, entre, d’une part, abandonner les pistes de clonage de l’homme, de sélection génétique, d’intégration de l’intelligente artificielle à l’humain, et d’autre part, accélérer le progrès, dans le sens de réaliser le vieux rêve de l’homme qui est de s’immuniser contre toute pathologie et de vaincre la mort.
Il y a peut-être lieu de marcher comme l’autre : un pas en avant, un pas en arrière, mais toujours avancer.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net