"La libre circulation, on ne la sent pas encore ici" : aux confins de la Guinée équatoriale, du Gabon et du Cameroun, la libre circulation des personnes, officiellement ratifiée fin octobre par ces pays, souffre des innombrables tracasseries et inévitables "petits billets" à glisser aux policiers.

"C’est encore comme un rêve. Parce qu’en gros, aujourd’hui on continue à payer pour passer d’un côté comme de l’autre", résume à l’AFP Valérie Oyana, une commerçante gabonaise rencontrée sur le marché de Kye-Ossi, au Cameroun voisin.

Valérie achète ici des régimes de bananes pour aller les revendre à Libreville, la capitale gabonaise.

"Nous payons 3.000 FCFA (environ 5 euros) pour traverser au poste de contrôle de police côté camerounais", explique-t-elle, devant son camion rempli jusqu’à la gueule de bananes plantain.

Même son de cloche chez tous les commerçants et voyageurs - quelque soit leur nationalité - qui transitent par cette région des trois frontières, et accusent policiers et douaniers de "troubler et empêcher" la libre circulation.

Avec les marchés de Kye Ossi ou d’Abang Miko au Cameroun, et à Ebibeyin côté équato-guinéen, l’endroit est une plaque tournante des échanges régionaux, un carrefour aux routes menant aux capitales Yaoundé, Malabo et Libreville, à des centaines de km de là.

Des milliers de personnes empruntent chaque jour ce carrefour de transit commercial au coeur de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), dont les pays ont adopté en 2013 le principe de libre circulation des personnes.

Il a fallu attendre quatre ans - jusqu’à fin octobre - pour que les six Etats membres (Gabon, Guinée équatoriale, Cameroun, Tchad, République du Congo, Centrafrique) ratifient la mesure.

Sur le papier, la libre circulation est donc désormais totale dans la sous-région. Les citoyens de le Cemac sont exemptés de toute obligation de visas d’entrée ou d’autorisation de sortie pour circuler dans la sous-région, et visiter un pays voisin jusqu’à trois mois.

 Questions sécuritaires -

A la frontière Cameroun/Guinée équatoriale, une chaine tendue au milieu de la route entre deux postes de contrôle matérialise la frontière. Comme une nuée d’abeilles autour d’un pot de miel, les colporteurs se proposent pour porter les colis des voyageurs. Presque tous doivent lâcher aux policiers un billet de 1.000 ou 2.000 CFA pour passer.

"Pour traverser avec une voiture du Cameroun vers le Gabon, nous payons 30.000, 45.000 CFA, on ne sait même pas pourquoi ! Elle est où alors la libre circulation des personnes et des biens ?", s’esclaffe Jules, un transporteur gabonais.

Au quotidien, on distingue deux catégories parmi ceux qui franchissent la frontière. Il y a d’abord les riverains, qui vont "de l’autre côté" juste pour quelques heures, au plus la journée. Ils déposent au poste une simple carte d’identité, paient 2.000 CFA. La carte d’identité est gardée sur place, ils la récupèreront à leur retour, sans autre formalité.

Pour les voyageurs, il faut un passeport - en théorie biométrique -, mais les policiers n’exigent effectivement plus de visa, a constaté un correspondant de l’AFP.

Si commerçants et voyageurs de passage continuent de se plaindre du flou artistique sur les conditions de transit aux frontières, ils observent du changement positif.

"Je trouve que les choses vont un peu mieux qu’avant, avant on ne traversait pas facilement comme maintenant", juge Adolfo Nguema, Equato-guinéen rencontré en territoire camerounais.

Chez certains douaniers et policiers, l’ouverture des frontières suscite manifestement moins d’enthousiasme. "Leur libre circulation là, elle va nous tuer !", maugrée l’un d’entre eux, après avoir empoché un petit billet d’un voyageur.

"Que les gens ne s’imaginent pas qu’ils vont circuler avec leurs bagages comme ça sans être identifiés", souligne de son côté Armand Tabi, un agent communal de Kye Ossi.

"Le Cameroun, la Guinée équatoriale et le Gabon, chacun de ces Etats a ses normes, ses règles. La libre circulation est une chose, mais maintenant aller faire tout ce qu’on veut et comme on veut, c’est autre chose", avertit cet administratif.

Ces préoccupations "sécuritaires" autour de l’intégration régionale étaient ainsi au coeur d’une visite officielle, début décembre en Guinée équatoriale, du président gabonais Ali Bongo Ondimba.

Pour autant, les "choses ont changé", admet le fonctionnaire Armand Tabi, dont les "frères" camerounais voyagent aujourd’hui "un peu mieux qu’avant" en Guinée équatoriale et au Gabon

AFP