Collège des sages, Journée nationale du pardon, Comité consultatif pour les réformes politiques (CCRP), Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN), etc., pour Sayouba Traoré, toutes ces structures n’ont pas été capables de réconcilier les Burkinabè. Il en appelle à plus d’audace : oser les Etats généraux de la nation pour une véritable catharsis salvatrice

Si ma mémoire est bonne, cela fait maintenant plusieurs fois que dans mes écrits ou propos j’appelle la convocation des Etats Généraux de la Nation. Une telle insistance mérite explication. Et c’est que je compte faire, ce coup-ci, en espérant être compris par mes compatriotes et mes semblables. Je demande au lecteur ami de considérer cet écrit comme la modeste contribution d’un fils du pays, ne revendiquant que cette qualité, pour l’édification de notre devenir commun.
Si on met de côté toute forme d’hypocrisie partisane, on peut considérer que dans la politique nationale de notre cher Burkina Faso, les choses tournent en rond. Et cela n’a rien à voir avec la qualité ou la force de l’engagement des dirigeants. Un esprit bien disposé voit bien que nous avons empilé les occasions manquées et les questions non résolues. Le Collège des Sages avait une mission bien précise : décrisper une situation grippée du fait de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. La Journée Nationale du Pardon n’a rien résolu parce qu’elle était dimensionnée et organisée pour enjamber les questions qui fâchent. Le forum pour la réconciliation nationale souffrait des mêmes insuffisances. Et on ne pouvait compter décemment sur le Comité consultatif pour les réformes politiques (CCRP) pour tracer la voie, car sa mission était de déblayer le terrain au grand bénéfice du CDP. La Charte de la Transition a été conçue pour une durée de 12 petits mois, c’est-à-dire pour parer au plus pressé. Difficile d’attendre d’une instance imaginée pour éviter d’aggraver les déchirures, qu’elle fasse un travail en profondeur. Que dire de l’actuel Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN) ? La principale faiblesse de cette dernière instance, c’est d’avoir été préfigurée et installée par le pouvoir central. Un pouvoir central dont les grands ténors sont justement des acteurs politiques majeurs de ce passé difficile. D’un autre côté, ce HCRUN réunit en son sein des gens hautement qualifiés chacun dans son domaine. Intention louable, certes ! Toutefois, la question est de savoir où se situe le citoyen dans une telle affaire. Reconnaissons tout de même une avancée avec le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale. C’est d’avoir su dépasser la simple réconciliation pour y ajouter l’impératif de l’Unité nationale.
Car la réconciliation et l’unité nationale, voilà les deux termes saillants de notre problème ! Allons au fond des choses ! Pourquoi chaque responsable de notre pays se croit obligé à chaque fois de parler de réconciliation ? Pour dire les choses autrement, pourquoi veut-on réconcilier des Burkinabè avec d’autres Burkinabè ?
Que s’est-il passé ? Qui a fait quoi ? Et contre qui ? On ne va pas se mentir, tout le monde sait ce qui s’est passé qui noue les entrailles, épaissit les souffles, soulève les cœurs. Tout comme nous voyons clairement que sans la réconciliation, l’unité nationale est boiteuse. Et au bout du compte, sans l’unité nationale, on ne peut travailler valablement ensemble. Et c’est l’impasse dans laquelle nos esprits se retrouvent enfermés depuis de nombreuses années. Le nier, c’est attenter à la raison.

On peut croire judicieux de contourner un problème qui fâche. Sur le moment, enjamber les problèmes, les esquiver adroitement, les nier même, tout cela peut paraître une feinte habile. Il s’en trouvera même des admirateurs pour applaudir l’entourloupe. Il reste que le temps permet à un problème non résolu de fermenter et de s’envenimer. Et c’est justement ce genre de situation que nous avons aujourd’hui entre les mains. Pire, la vie qui passe ajoute dans notre panier d’autres ingrédients tout aussi toxiques. Il devient donc urgent de solder le passif.
On a vu précédemment comment et pourquoi nous avons échoué à le faire. Sommes-nous des cerveaux impotents pour renouveler une manœuvre qui a foiré à de nombreuses reprises ? Manquons-nous à ce point de lucidité pour ne pas analyser avec froideur le problème qui se pose à nous ? Le courage a-t-il déserté nos poitrines pour nous faire reculer à chaque fois que nécessaire ? On peut penser que ces questions sont excessives. Des interrogations qui seraient excessives dans leur contenu et leur formulation, donc. Mais on voit bien que ces questionnements sont légitimes, quand bien même ils seraient dérangeants.

Alors quel est l’enjeu ? Ce qui préoccupe les esprits, c’est de sortir de cette impasse. Et c’est là que les Etats Généraux de la Nation trouvent toute leur pertinence. En premier lieu, il s’agit de donner la parole au citoyen. Enfin ! Tout le monde. C’est- à dire, les bonnes sœurs, les putes, les déchets sociaux, les bonnes âmes, les gibiers de potence, les boys scouts, les propres sur eux, tout le monde doit avoir son mot à dire. Plutôt que de continuer à écouter ceux qui ont l’habitude de parler. Pas seulement les fils savants. Tout le monde et chacun, parce que nous avons enduré ensemble, à défaut d’avoir souffert au même degré.
Dans le principe, quand une fille ou un fils du Burkina Faso meurt assassiné, c’est toute la nation qui perd. Bien sûr, les proches du supplicié sont en première ligne. Et nous devons avoir la décence de ne pas mesurer les doses de larmes versées. Mais il faut se dire que regarder cette fille ou ce fils du Burkina tomber, au-delà du choc émotionnel, cette perte nous prive de ce que ce compatriote aurait apporté à la nation entière.
Pour ce qui est des délits financiers de tous ordres, pas besoin d’une argumentation savante pour démontrer que le prévaricateur puise dans la caisse commune. Que dire alors d’affaires de proximité comme les détournements, sinon parfois de confiscation pure et simple, de parcelles ? Car le foncier, c’est ce qui se passe le plus souvent dans nos arrières-cours. Impossible d’ignorer que ce sont nos champs qui sont subitement baptisés parcelles, par la magie du topographe muni de sa chaîne d’arpenteur.
Sortons des principes pour entrer de plein pied dans le réel. Dans les affaires de famille, rien n’est pire que le gars qui se sentirait constamment écarté des choses sérieuses. Imaginez la sœur ou le frère, éternel oublié dans les marchandages, en somme, un être nié dans son existence ! Vous pensez que, comme souvent, les journalistes exagèrent. Et qu’il n’est guère surprenant de voir la plume du rédacteur s’égarer. Quelques chiffres. Sur les 17 ou 18 millions de Burkinabè, combien ont pris part au collège des sages ? Eh bien, ce collège des sages était composé des anciens chefs d’Etat, des notabilités religieuses et coutumières et de personnes ressources. Des personnes portant ce genre de qualifications, il n’y en a pas des milliers au Burkina Faso. Combien ont pris part à la journée nationale du pardon ? Là, les choses sont simples. Au stade, on n’a entendu que le chef de l’Etat. Combien parmi nos compatriotes ont pris part au forum pour la réconciliation nationale ? Quant à la Commission de la réconciliation nationale et des réformes du 23 janvier 2015, elle était composée de 34 membres. Ils étaient combien au CCRP ? Ce CCRP installé en juin 2011 comportait 64 membres. Encore faut-il se souvenir que des structures ont été volontairement écartées, pendant que d’autres boycottaient le CCRP. Et aujourd’hui, combien au Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale ? Cette dernière structure est seulement forte de 21 membres.

Aucun esprit raisonnable ne peut s’attendre à une rencontre de tous les Burkinabè. Il faut donc procéder autrement. Rien n’interdit d’être imaginatif. D’abord des Etats Généraux au niveau des 45 provinces. Puis des Etats Généraux au niveau des 13 Régions. Et enfin, la grande rencontre nationale composée des délégués, porteurs des doléances, préoccupations, recommandations et revendications de tous les échelons intermédiaires.
Le schéma peut s’esquisser comme suit. On prend le temps de récolter les opinions et avis dans les provinces à travers un cahier de doléances. Parce que chacun comprend aisément que toutes les provinces n’ont pas les même sujets de préoccupation. Au terme de ces discussions, chaque province désignera ses délégués qui seront chargés de porter le cahier de doléances provincial au niveau régional. Là également, une région donnée ne vit pas les mêmes problèmes que ses voisines. Etant entendu que chaque province aura le même nombre de représentants. Puis chaque région rassemblera ses demandes et revendications dans un cahier de doléances régional. A ce niveau également, des porte-voix désignés se porteront au niveau du grand paw-waw national. Cela va sans dire, il restera toujours la même préoccupation d’équité. Ainsi fait, chaque région aura le même nombre de délégués. A charge pour ces Etats Généraux nationaux de dire pourquoi et comment solder le passif qui paralyse les énergies. De dire comment organiser les choses à la satisfaction de tous. Et surtout de dire comment obtenir un climat apaisé, afin de travailler réellement ensemble au devenir commun.
Evidemment, tout cela est dit avec quelque maladresse dans l’énoncé. Il faut savoir reconnaître ses propres limites. Si je sais dire mes rêves, je ne suis pas un administrateur. Toutefois, notre cher Burkina Faso ne manque pas d’administrateurs ni de techniciens rodés en ces matières. Vous voulez une preuve ? On a su réaliser une manœuvre similaire pour la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et les Commissions électorales provinciales indépendantes (CEPI). Ce qu’on a pu faire dès lors qu’il s’agit de la conquête du pouvoir, on peut le faire là également. Gardons-nous d’oublier qu’il s’agit de questions qui engagent notre avenir à tous.

Sayouba Traoré ; Ecrivain-Journaliste
Kaceto.net