Qui est le mieux placé pour porter un jugement objectif sur un groupe humain ? Est-ce celui qui appartient au groupe et le connaît de l’intérieur ? Ou est-ce, au contraire, celui qui n’en fait pas partie et l’observe de l’extérieur ? Un exemple : pour juger objectivement les Burkinabé, vaut-il mieux être soi-même burkinabé ou est-il préférable d’être un étranger en position d’observateur de la société burkinabé ? Denis Dambré expose ici les conclusions de la recherche

Se référant à une étude menée depuis l’antiquité grecque par l’historien Hérodote, le penseur français d’origine bulgare, Tzvetan Todorov (1939-2017), écrit à ce sujet dans un ouvrage publié en 1991 sous le titre Les morales de l’histoire : « Pour peu qu’on veuille dépasser l’égocentrisme inné de chaque individu comme de chaque communauté, on s’aperçoit que le membre du groupe, bien que mieux familiarisé avec ses coutumes, occupe une position défavorisée. C’est que, justement, chaque groupe se croit le meilleur au monde, si ce n’est le seul. Hérodote raconte dans son Enquête que les Perses se caractérisent par le trait suivant : ’’Parmi les autres peuples, ils estiment d’abord, après eux-mêmes toutefois, leurs voisins immédiats, puis les voisins de ceux-là, et ainsi de suite selon la distance qui les en sépare ; les peuples situés les plus loin de chez eux sont à leurs yeux les moins estimables : comme ils se jugent le peuple le plus noble à tout point de vue, le mérite des autres varie pour eux selon la règle en question, et les nations les plus éloignées leur paraissent les plus viles. »
Ainsi, contrairement à une opinion bien répandue, l’appartenance à un groupe n’est pas un atout pour porter sur lui un regard objectif. Car la tendance naturelle de chaque groupe va à l’autocélébration de ses qualités – réelles ou imaginaires ! – et à la minimisation de ses défauts.
Le lien affectif qui unit un individu à son groupe l’empêche naturellement de s’en détacher pour se mettre en position d’observateur neutre. C’est pourquoi, des études psychologiques ont montré que les humains sont plus ou moins sensibles aux drames qui frappent les autres selon leur degré d’éloignement par rapport aux victimes.
Le penseur russe, Mikhaïl Bakhtine, a développé le concept de vnenakhodimost – que Todorov a traduit en français par le néologisme exotopie – pour désigner la non-appartenance à une culture donnée. A son avis, l’exotopie est la condition de l’appréhension objective d’une culture.
Mais, comme le souligne avec justesse Todorov, il ne suffit pas non plus d’être étranger à une culture pour l’appréhender en toute objectivité : « L’exotopie doit être vécue de l’intérieur ; elle consiste en la découverte, en son cœur même, de la différence entre ma culture et la culture, mes valeurs et les valeurs ».
En résumé, les personnes les plus à même de porter un jugement objectif sur un groupe humain sont celles qui, sans appartenir au groupe, l’ont tout de même suffisamment observé de l’intérieur par le partage de son vécu et la comparaison de sa vision du monde avec celle de leur groupe d’origine.

Denis Dambré, Proviseur de collège
Kaceto.net