De passage à Ouaga, le directeur régional du Fonds des nations unies pour la population et la représentation nationale de cet organisme spécialisé de l’Onu ont rendu une visite au Mogho Naba le 16 janvier dernier. Occasion de rendre hommage au dépositaire et gardien de la tradition moaga, autorité morale reconnue au delà de frontières burkinabè pour son engagement en faveur de la paix, et solliciter ses bénédictions

Matinée du 16 janvier 2018 devant la cour du Mogho-Naba, le chef des Mossés, dans le quartier Samandin de Ouagadougou. Le soleil n’est pas encore très haut. Des agents de sécurité en poste à l’entrée portent d’épais pull-overs de couleur vert-olive pour se protéger de la fraicheur qui s’est installée dans la capitale burkinabè depuis quelques semaines. Dans la cour, c’est presque le désert. Le balai quotidien des audiences n’a pas encore commencé. Mais ça ne saurait tarder. Vers 8h50, une file de gros cylindrés portant des plaques d’immatriculation diplomatiques franchit la porte de la cour royale. A bord se trouvent entre autres, le directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du Fonds des nations unies pour la population (FNUAP), Mabingue Ngom, la représentante résidente, Dr Edwidge Adekambi, la représentante assistante Dr Olga Sankara et le directeur de la communication Siaka Traoré.
Dans la cour royale, les représentants de l’Union des religieux et coutumiers du Burkina, santé et développement, (URCB/SD) les y attendent. Salutations et direction la salle d’audience de sa majesté. « Attendez un peu, vous n’avez pas encore l’autorisation d’entrer dans la salle », lance le protocole royal, alors que certains avaient largement mordu le perron. Il faut donc patienter quelques minutes avant d’obtenir le feu vert. On accède enfin à cet espace où le Mogho Naba reçoit les invités, de toutes catégories sociales et de toutes les nationalités. Les membres de la délégation s’installent. Le personnel proche de sa Majesté aussi. L’attente ne sera pas longue. A 9 heures pile, le Mogho Naba, apparait, paré d’un grand boubou brodé, coiffé de son bonnet royal et tenant son sceptre de la main droite. L’assistance se met debout, puis se rassoit après autorisation du maitre des lieux. Le Mogho Naba s’installe sous un arbre artificiel arbre dont chaque feuille porte un message : bonté, foi, réconciliation, vérité, amour, pardon, etc.
C’est le président de l’URCB/SD, Dr Pharmacien Kientega Youssouphe qui prend le premier la parole. Il rend « grâce à Dieu qui nous a permis de nous retrouver ici ce matin chez le Mogho Naba », et rappelle que depuis sa création en 2007, l’URCB/SD travaille sous la « guidance » de sa majesté contre les maladies, et s’est engagée depuis 2011 « dans la promotion de la planification familiale conformément aux principes édictés dans nos livres saints (Bible, Coran) et la sagesse africaine, et bénéficie de ce fait de l’accompagnement du FNUPA, un organisme spécialisé des Nations unies pour les questions de populations ». On apprend aussi que l’URCB/SD est partie prenante du projet SWEED, dont le but est d’accélérer la transition démographique et la réduction des inégalités entre les sexes dans la région du Sahel. Dans cette optique et dans le but de renforcer les synergies, l’URCB/SD qui est depuis 2015 membre d’une Alliance des religieux et coutumiers africains, s’attèle à l’organisation d’un forum en avril prochain à Ouagadougou « sur l’engagement des leaders religieux et traditionnels de l’Afrique de l’Ouest pour la santé et le développement en vue de la capture du dividende démographique ».

Informée du séjour du directeur régional de du FNUAP au Burkina, Mabingue Ngom pour prendre part à la Conférence internationale « Gouvernance, démocratie et affaires » qui s’est tenue du 16 au 17 janvier 2018, l’URCB/SD a sollicité pour lui une audience avec le Mogho Naba « afin qu’il puisse constater de lui-même votre engagement pour la santé maternelle et reproductive, mais aussi votre engagement pour la paix et le développement ».
Cheveux courts, Mabingue Ngom porte un ensemble bleu foncé. Se tenant droit comme un i devant celui qui incarne le pouvoir spirituel et temporel des Mossés, le directeur régional du FNUAP félicite le Mogho Naba pour le prix de la paix Macky Sall qu’il a reçu, ce qui « n’est pas une surprise », et lui demande de continuer à travailler pour la paix et la stabilité du continent. Il sollicite aussi l’accompagnement du Mogho Naba dans le combat que mènent toutes les instances nationales et internationales pour la réduction des inégalités sexuelles et le bien être des femmes. Pour lui, l’implication des leaders religieux et coutumiers africains, qui sont au contact des populations, est indispensable à la réussite des campagnes de sensibilisation sur la santé de la reproduction (Voir Interview plus bas).
Le Mogho Naba écoute, impassible. Aucune impression ne transparaît de son visage. C’est le propre des chefs : dominer leurs passions. Lorsqu’il prend la parole, il s’adresse à son ministre qui est en même temps son porte-parole, le Dapoya Naba. Car, le roi communique par personne imposée ; il ne s’adresse pas directement à son interlocuteur. « Sa majesté vous souhaite la bienvenue dans son palais, vous félicite pour le travail que vous abattez, et dit que ce que vous faites le concerne aussi parce que c’est pour la santé de la population. Il dit de vous dire que vous avez ses bénédictions et qu’il est prêt à vous accompagner pour atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés », rapporte le Dapoya Naba.
Avant la séance photos, Mabingue Ngom offre un livre au Mogho Naba qui le feuillette et le remet au Dapoya Naba. L’audience aura duré en tout un bon quart d’heure. Il faut libérer les lieux. La journée d’audiences ne fait que commencer. Dehors, d’autres personnes, dont un ministre du dernier gouvernement de Blaise Compaoré, attendent d’être reçues.

Joachim Vokouma
Kaceto.net

Mabingue Ngom : « Une fille qui a 6 ou 7 enfants, il n’y a aucune chance de faire d’elle un acteur du développement »

Economiste, spécialiste des politiques publiques et expert agréé en gestion du changement, Mabingue Ngom a rejoint le Fonds des nations unies pour la population en 2008 en tant que directeur de la division programme, cumulativement à ses fonctions de directeur des urgences au siège de l’Onu à New-York.
Membre des comités exécutifs de coordination, il a occupé de nombreuses fonctions au sein du Fonds global de lutte contre le VIH-Sida, la tuberculose et le paludisme à Genève, puis au bureau régional de IPPF à Nairobi et au Sénégal, son pays d’origine.
Avocat de la capture du dividende démographique pour la réalisation des Objectifs du développement durable en Afrique, il a lancé en 2016, la campagne
« PutYoungPeopleFirst ».
Pour Kaceto.net, il revient l’objet de sa présence au Burkina, le sens et l’enjeu du dividende démographique, un thème plus que jamais présent dans l’actualité, et la nécessité de mobiliser sans exclusives toutes les énergies dans le combat du planning familial

Quel est l’objet de votre séjour à Ouagadougou ?

Je suis à Ouaga pour participer à la Conférence sur la démocratie, la gouvernance et le secteur privé, et vu que le Burkina est un pays ami et partenaire du FNUAP. Je profite donc de mon séjour pour échanger avec l’Union des religieux et coutumiers sur l’initiative qu’elle a prise d’organiser en avril prochain un grand forum pour accompagner le processus de capture de dividende démographique. Il s’agit précisément de faire en sorte que les leaders religieux et coutumiers puissent être un important maillon de cette chaine de l’action qui va conduire au processus de captation de dividende démographique sur notre continent, où la croissance démographique est forte et où on enregistre chaque année une arrivée massive de jeunes sur le marché du travail .

Lors de la Conférence du Caire 94, les leaders religieux s’étaient ligués contre la planification familiale. Les esprits ont-ils évolué sur notre continent sur ce point ?

Oui, il y a une évolution positive et ce n’est pas la langue de bois. Nous avons organisé au mois de juillet dernier à Ndjaména, une réunion sur ce sujet avec 1500 leaders religieux musulmans qui sont en général parmi les plus réfractaires à la planification familiale. La rencontre a duré trois jours et la déclaration de Ndjaména est claire : elle dit par exemple que l’islam non seulement accepte la planification familiale, mais l’encourage à des fins d’espacements de naissances.
Je crois que 1500 imams en provenance du Pakistan, de l’Indonésie, de l’Egypte, y compris Al Azar, du Maroc, du Sénégal, de la Gambie, qui se retrouvent pour dire, écoutez, c’est la voie à suivre pour l’amélioration des conditions de vie de la femme, c’est un signal fort. C’est vrai que nous avons pris beaucoup de temps pour en arriver là, mais c’est parce que nous avons appris beaucoup de choses sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Comment approcher les leaders religieux et coutumiers et les impliquer dans notre combat visant à transformer rapidement la vie des gens sur notre continent ? La réponse à cette question n’est pas si simple et il a fallu du temps pour y arriver

Y a-t-il vraiment des progrès sur le continent quand on sait qu’au Niger, les femmes ont en moyenne 7,6 enfants ?

Ecoutez, si vous allez dans un restaurent rapide, vous allez attendre quand même un peu ! On ne peut pas avoir le changement en 48 heures, surtout qu’il s’agit de pratiques sociales qui ont duré depuis des milliers d’années. Il faut aller dans cette lutte en utilisant les leaders religieux et coutumiers pour qu’il y a des discussions pas seulement dans les capitales, dans les coins les plus reculés dans nos pays. Le cas du Niger qui est effectivement préoccupant mais nous savons que c’est dû aux mariages précoces. On marie des filles qui sont très jeunes, lesquelles ont des grossesses précoces et des mortalités précoces et on ne peut pas régler ce problème en peu de temps. Et même si toutes les femmes pratiquaient la planification familiale, il y en a déjà qui sont en grossesse précoces avec des enfants qui sont déjà nés et pour lesquelles il faut construire des salles de classes et trouver de l’emploi dans 15 ou 20 ans. Les transformations sont lentes, mais c’est en travaillant, en tirant les leçons des expériences passées qu’on va changer la vie des populations au sud du Sahara lorsqu’on aura réglé la question de l’accès aux soins de santé et le mariage des enfants. Car, une fille qui a 6 ou 7 enfants, il n’y a aucune chance de faire d’elle un acteur du développement parce qu’on la sort du circuit de production. C’est une perte du capital humain et si nous valorisons ce capital humain à travers le dividende démographique, il y a des gains de productivité extraordinaires qui feront que l’Afrique pourra compétir à côté des autres continents. C’est évident, on ne pourra pas gagner le pari de la compétitivité en excluant 50% de la population alors que les autres utilisent 100% de leur population. Il y a d’abord un problème de nombre et un problème de qualité. Imaginez une équipe de foot où une des équipes aligne cinq (5) joueurs mal formés, mal entraînés, pendant que l’autre aligne onze (11) joueurs professionnels bien formés et au complet. Le résultat est connu d’avance !

Les Confréries qui sont très influentes au Sénégal sont-elles impliquées dans la promotion du planning familial ?

Oui, à Ndjamena et à Banjul, des leaders religieux sénégalais ont participé aux débats, et nous espérons qu’ils viendront au Burkina en avril prochain au Forum organisé par l’Union des religieux et coutumiers du Burkina/Santé et développement. Le Mogho-Naba a marqué son accord pour soutenir cette initiative et nous espérons enregistrer beaucoup de participants venus de plusieurs pays africains, car l’enjeu de ce Forum est important pour notre lutte.

Propos recueillis par JV ;
Kaceto.net