Le 14 janvier dernier, lors de la cérémonie de présentation des voeux du nouvel an, le premier vice-président par intérim, Achille Tapsoba a annoncé que le bureau politique du CDP "a pris la résolution de donner à notre premier vice-président par intérim pour conduire les affaires jusqu’au congrès prochain et a également donné la mission à la commission ad’hoc de poursuivre la mise en place des structures jusqu’au congrès". Autrement dit, le président du parti, Eddie Komboïgo qui espérait "récupérer" sa chose après que la justice l’ait blanchi, doit revoir ses ambitions.
Une décision que conteste Yves Milogo, ancien secrétaire général de la section France du CDP, dans la tribune ci-contre

A la suite des événements du 30 et 31 octobre 2014 et de septembre 2015, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) a payé un fort tribut, entraînant une réorganisation de sa direction par la mise en place d’un président par intérim et d’une commission ad hoc. Nonobstant les difficultés depuis ces événements, le parti a fait preuve d’endurance et a montré sa capacité exceptionnelle de résistance. Sa réorganisation répondait à l’urgence de le faire vivre malgré l’arrestation de certains de ses militants et dirigeants.
Après des investigations et des procédures judiciaires, des responsables ont été innocentés des accusations qui pesaient sur eux. C’est le cas du résident du parti, Eddie Komboïgo et de certains camarades. En l’absence de ces responsables, le parti a fonctionné et fonctionne encore avec un dispositif intérimaire. La grande question qui se pose actuellement est de savoir si les camarades innocentés des poursuites judiciaires doivent reprendre ou pas leur place dans l’organigramme du parti. Telle est la pomme de discorde qui pourrait conduire le CDP à la guerre de Troie . Cette question loin d’être banale ou anodine, pose trois problèmes importants qui minent la vie et le fonctionnement de notre famille politique.
Il s’agit principalement de la mise en phase du CDP avec son temps (c’est-à-dire son aggiornamento), du respect de la légalité dans ses décisions et dans ses actions, et du choix du principe démocratique dans son fonctionnement.

Le nécessaire aggiornamento du CDP

Etre en phase avec son temps est la première exigence du CDP pour se reconstruire et conquérir efficacement le pouvoir. Le parti n’a pas à rougir des injustices qu’il a subies, ni des difficultés diverses qu’il a rencontrées et qu’il rencontre actuellement. Si son passé a été glorieux, ce même passé plus proche lui a également démontré ses faiblesses. Sans rien renier de son histoire, il doit reconnaitre ses faibles, ses erreurs et ses défaites pour faire un grand saut dans l’histoire et évoluer pour permettre un progrès social.
Car toute organisation ou tout peuple qui pense et vit de son passé n’avance pas. Mais tous ceux qui reconnaissent leurs faiblesses et leurs défaites font un grand saut en avant vers le succès et le progrès. L’exemple le plus illustratif dans l’histoire est celui des coréens qui ont contribué à la formation du peuple nippon. Par la suite, le peuple nippon a dominé les coréens et les a asservis. Mais ces mêmes Coréens ont su se reconstruire de leurs échecs pour être un dragon industriel. De même, les Japonais anéantis pendant la 2ème Grande Guerre, ont puisé dans leur défaite l’énergie nécessaire pour être leaders dans la fine technologie industrielle.
Au sortir au VIème Congrès le 10 mai 2015, le CDP s’orientait vers cette première exigence de son aggiornamento en faisant le choix d’un président qui incarnait une vision en cohérence avec son temps pour répondre aux aspirations de la majorité des militants et des populations du Faso. Ce choix, devait permettre au parti d’évoluer de manière sincère et ferme vers la réalisation des actions constructives et de progrès. Les événements de septembre 2015 ont servi d’alibi aux autorités de la Transition pour désorganiser le CDP, mais fort de ses ressources, il a su se réorganiser.
Cette réorganisation démontrait les capacités du parti à reconquérir par la voie des urnes le pouvoir. Les autorités du régime d’exception, en l’occurrence la Transition, bras opérationnel d’un système mystérieux avait compris cette capacité extraordinaire du CDP à revenir au pouvoir. C’est la raison pour laquelle, elle avait pris des mesures arbitraires qu’elle faisait légitimer par ses institutions non démocratiques dans le but d’affaiblir des partis et parvenir à ses fins maintenant connues. Malgré ces manœuvres arbitraires, le CDP s’est positionné comme la 3ème force politique nationale à l’issue des dernières élections.
Si les actions de la Transition qui consistaient à affaiblir puis à faire disparaitre le CDP sont venues perturber de manière illégale et brutale le programme et les activités du Parti, il n’en demeure pas moins que notre formation politique doit maintenir l’exigence d’être en phase avec son temps, une condition nécessaire pour la reconquête du pouvoir.
Certes, des responsables, des cadres, des militantes et des militants du CDP ont beaucoup subi des violences de toutes sortes depuis l’insurrection. Mais ces événements et leurs conséquences ne délégitiment aucune militante, aucun militant, aucun cadre ni aucun responsable du parti dans son rôle et dans ses fonctions surtout dès lors qu’il y a le bénéfice d’un non-lieu après les procédures judiciaires. Ce qui veut dire que conformément aux textes du parti et en cohérence avec la norme supérieure nationale (La constitution) chacune et chacun des camarades mis hors de cause par rapport aux poursuites judiciaires doivent légitimement et légalement reprendre leurs places dans le dispositif de fonctionnement du Parti pour mener à terme la mission assignée par le Congrès.
Premièrement, cette démarche permet un fonctionnement normal des structures du parti en termes de légitimité, de décisions et d’actions. Deuxièmement, elle est en conformité avec les textes du parti et avec les décisions du dernier Congrès.
La légalité comme principe de gestion et décision.
Le principe de légalité renvoi de façon générale à celle de l’Etat de droit. Il est apprécié selon les branches du droit. Par exemple en droit administratif, elle correspond à la soumission de l’administration à la règle de droit. En droit pénal, elle indique que le droit ne peut pas réprimer un comportement sans que l’interdiction n’ait été préalablement et clairement établie par la loi. C’est le sens du terme latin « Nullum crimen, nulla paena sine lege » (aucun crime ne peut être puni sans l’existence préalable de loi).
Evoquer ce principe de la légalité dans le cas d’espèce, ne renvoie pas seulement au droit administratif et au droit pénal. Il renvoie à d’appréhension des comportements à l’intérieur du CDP par rapport aux textes du parti et par rapport à la Constitution comme dispositif supérieur des normes de droit après les traités internationaux. Autrement dit, pour assumer efficacement à sa fonction en tant que parti politique et prétendre reconquérir légalement et légitiment le pouvoir, le CDP ne doit pas faire l’économie du principe de légalité dans son fonctionnement et dans ses prises de décisions.

Premièrement, ce principe de légalité contraint toute militante, tout militant et tout responsable du parti à se conformer aux textes non seulement du parti mais aussi à la loi fondamentale du Faso dès lors que ces normes légales ne sont pas iniques. Deuxièmement, ce principe permet de limiter puis d’encadrer certaines velléités individuelles ou claniques susceptibles de manœuvrer de manière illégale et illégitime pour récupérer de la direction du parti.
Le débat actuel au niveau de nos dirigeants qui consiste à remettre en cause la réintégration des camarades disculpés par la justice, même s’il semble se poser seulement des termes non avoués à l’intérieur de cercles circonscrits, ne répond à aucune logique de légalité ni de légitimité. Soutenir un tel débat revient à mettre en cause non seulement les décisions souveraines du Congrès, mais ce débat initie aussi une différenciation catégorielle des militants, c’est-à-dire qu’il crée une hiérarchie de camarades au mépris de la légalité, fondement de la légitimité dans un Etat de droit. Si un congrès, en tant qu’instance supérieure de décision a conduit des camarades à des responsabilités pour une période donnée et si ces responsables ne sont ne sont pas impliqués dans des procédures judiciaires en cours, la logique veut que ce soit ce congrès qui puisse procéder légalement et légitiment au remplacement de ces mêmes responsables au terme de leur mandat.
Manquer à ce principe de légalité peut conduire des responsables du parti à des raisonnements ou des appréciations suivis d’actions exprimées en dehors du cadre légale. De tels agissements de certains cadres dans le passé ont souvent conduit le CDP dans des erreurs dont le summum a été la sclérose et le repli sur soi sans percevoir à l’horizon les risques et les conséquences d’une insurrection violente.
Ces propos, loin de faire l’éloge du légalisme pur et dur, attire l’attention des militants et des responsables du CDP sur un principe qui renforce le fonctionnement de l’Etat de droit et qui contribue à l’édification du civisme des militants. L’activisme au mépris du principe de légalité, loin de porter des résultats constructifs et durables pour un parti et pour une nation, engendre des effets dommageables à la société toute entière. C’est la raison pour laquelle, aucune structure ad hoc ou transitoire ne peut faire fi du principe de légalité pour remettre en ordre et en place les instances de direction du parti afin de permettre un meilleur fonctionnement jusqu’au prochain congrès.
Cependant, il saluer les mérites des intérimaires et des membres de la commission ad hoc qui, individuellement et collectivement, ont maintenu le parti debout durant les turbulences. Mais, une fois de plus, le respect de la légalité représente une garantie fondamentale d’un véritable fonctionnement démocratique du parti.

La démocratie comme exigence d’un principe de fonctionnement et de cohérence républicaine.

Le CDP ne peut pas évoluer sans intégrer dans son fonctionnement l’exigence démocratique comme gage de souveraineté des militants. La démocratie dans un parti est la mise en œuvre de la participation de toutes et de tous les militants au fonctionnement de ce parti. Elle légitime les instances du Parti. Le point faible du CDP a souvent été la création ou la suggestion d’instances ad hoc non démocratiques pour instituer la direction du parti ou pour décider en lieu et place des militants. Ces modes de fonctionnement non démocratiques ne conviennent plus au CDP dans les circonstances des temps actuels. Le parti doit évoluer vers une véritable démocratie participative s’il veut apporter une valeur ajoutée en termes d’évolution et de progrès social.
En effet, le CDP ne peut plus faire l’économie de ce principe fondateur d’équilibre et de justice. Car le principe démocratique en permettant la participation des militants, initie aussi et surtout le débat même contradictoire. Il suscite également de la confrontation pour ensuite trouver un point d’équilibre acceptable par la majorité. Le fonctionnement passé du parti a longtemps privilégié le consensus par rapport à la confrontation des débats comme forme d’expression de la démocratie. Que le consensus fasse l’économie des adversités issues des confrontations, cela correspond certes à un choix d’apaisement de certaines ardeurs passionnées. Mais ce choix d’apaisement des passions ne construit pas la démocratie et un véritable Etat de droit. Ce choix n’incite pas non plus à l’effort qui consiste à pousser les débats à des niveaux supérieurs en termes de recherches efficaces pour trouver les meilleures solutions d’améliorations des conditions de vie des populations d’une nation. Elle correspond surtout à un calcul simple de préservation des sensibilités individuelles au détriment d’une démarche rationnelle même douloureuse pour définitivement poser les pierres solides d’un édifice durable et nécessaire au profit d’un véritable Etat de droit en faveur des générations futures.
En clair, dans le passé, les responsables du CDP n’ont pas osé franchir le pas qui permettait d’instaurer une véritable démocratie dans son fonctionnement et de l’insuffler ensuite au niveau nationale. Il convient de remarquer qu’il n’a pas été le seul parti au Faso à n’avoir pas appliqué cette véritable démocratie dans son fonctionnement. Or, l’absence d’un tel dispositif dans le fonctionnement d’un parti, peut susciter des velléités individuelles de récupération d’un parti de manière illégale. Quant au niveau national, cette absence de démocratie donne libre cours à tous les aventures mêmes les plus tragiques pour conquérir le pouvoir.
Le propos n’est pas de limiter ni de s’opposer à des ambitions individuelles, conditions d’une évolution à la fois personnelle et collective. Ces ambitions sont des nécessités subjectives qui se combinent à des passions lorsque celles-ci sont orientées vers l’incarnation des attentes d’un groupe ou d’une société. Elles doivent s’exprimer pleinement dans un cadre légale qui garantisse à chacune de ces ambitions une égalité de chance.
La situation de désorganisation du CDP à la suite des événements et des turbulences survenus dans notre pays a contraint à remanier de manière exceptionnelle l’organigramme du parti. Cette situation exceptionnelle ne doit pas constituer le lieu ni l’opportunité de récupération du parti au mépris des textes en vigueurs. Rétablir la présidence légale pour la reconstruction du CDP devient une exigence démocratique et morale pour un véritable succès aux prochaines consultations nationales. Si la guerre de Troie devait avoir lieu au CDP, ce serait le choix d’un ou des « Pâris » non inspirés par l’esprit de Zeus qui souhaitait éviter tout favoritisme et toute injustice.

* Le titre est de la rédaction

Yves A. MILLOGO
Un Militant du CDP