Nombreux sont ceux qui s’étonnent quand ils entendent parler de la philosophie pour enfants.

La philosophie pour enfants, ou avec les enfants est une discipline qui se constitue. C’est une préparation à la réflexion et une méthode d’éveil à la pensée critique. Elle relève de la pratique philosophique et est une action dynamique qui prend appui sur la nature intrinsèque des apprenants pour les épanouir par l’acquisition de la faculté de penser par eux-mêmes dans un monde souvent merveilleux, mais combien angoissant quand soudain toutes les certitudes et les vérités s’écroulent. C’est une discipline qui trouve sa référence philosophique majeure dans les théories pragmatistes, en particulier chez John Dewey. Le pragmatisme se définit en effet par son effort à reconstruire la philosophie de manière à faire une place importante à la démarche scientifique dans sa quête de la vérité et du sens. C’est pourquoi Matthew LIPMAN en créant le concept de la philosophie pour enfants a fait sienne la théorie du pragmatisme en éducation et a emprunté au philosophe et logicien américain, Charles Sanders Peirce, la notion de communauté de recherche.
LIPMAN, pour souligner la nécessité pour l’institution scolaire de pratiquer la philosophie pour enfants afin de mieux préparer le citoyen va avertir que : « si l’on souhaite que les élèves deviennent plus responsables grâce à des jugements plus adéquats, si l’on veut qu’ils arrivent à penser par eux-mêmes, alors il faut que les valeurs préconisées par le système éducatif soient intériorisées » .
De ce fait, la philosophie pour enfants dote les apprenants d’un outil de réflexion. Cet outil n’est rien d’autre que la pensée exercée, solide, critique. Une pensée qui, au lieu d’être un réservoir de clichés culturels, devient dynamique pour une vie entière. Dans cette perspective, elle s’inscrit dans la lignée des humanistes en illustrant de façon actuelle la formule de Montaigne : « l’enfant n’est pas une vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume. » La philosophie pour enfants, part du questionnement de ces derniers comme le veut la tradition socratique, pour amorcer l’aventure philosophique avec eux. Un cours de philosophie pour enfants ne sera pas le lieu où s’exposent les grandes théories philosophiques ; elle est modestement mais sûrement une simplification des choses supérieures, le lieu où avec spontanéité, on va engager les enfants à poser leurs questions, à les développer, à les relier au monde et à mener avec pertinence une réflexion sur la question du vivre ensemble.
Et Michel SASSEVILLE compare la pratique de la philosophie pour enfants à un petit laboratoire où on peut observer les enfants mis au défi de penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Pour TOZZI, « Elle met l’accent sur les questions que les enfants se posent eux-mêmes, avant même d’approfondir la façon dont les posent les philosophes, constatant que les questions des enfants rejoignent souvent de grandes questions philosophiques, par exemple dès 3-4 ans sur la mort. »
Ce faisant, par ce questionnement qui sera méthodiquement structuré par l’enseignant, les enfants donneront un sens à leurs expériences quotidiennes, un sens à leur vie, par l’activité de la pensée. Faire de la philosophie avec les enfants, selon André-Comte-Sponville, c’est apprendre à l’enfant à « penser sa vie et à vivre sa pensée ». Mais cette pensée d’excellence doit être exercée. C’est pourquoi, Marie France DANIEL souligne avec pertinence que : « la pensée, si elle n’est pas stimulée de façon systématique, ne s’affine ni ne se complexifie par le seul fait de la maturation » .
L’enseignement philosophique consiste donc à entretenir, à instaurer ou restaurer le questionnement illimité qui autorise l’enfant et l’adulte plus tard à penser mieux. Il va de soi néanmoins que tout questionnement lié à la condition humaine ne peut être qualifié de philosophique, qu’il doit répondre à des exigences de formes et de contenu.

A la question de savoir « s’il ne s’agirait pas en ce qui concerne la philosophie pour enfants, d’une propédeutique à la philosophie, ou d’une simple préparation à la philosophie » ? Oscar BRENEFIER répond : « Dans une certaine tradition socratique, le philosopher n’est-il pas en essence une propédeutique, ne consiste-t-il pas en une préparation jamais achevée ? Sa matière vive n’est-elle pas un questionnement incessant ? Toute idée particulière n’est-elle pas une simple hypothèse, moment éphémère du processus de la pensée ? »
Ainsi perçue, elle n’est pas une activité qui se contente de bercer les élèves dans un simple apprentissage du langage philosophique dans toute sa généralité. La philosophie pour enfants n’est pas non plus une activité pédagogique dans laquelle l’ingrédient philosophique se trouve tellement dilué dans le but de laisser une saveur philosophique à l’activité ou simplement de justifier le nom à elle donné.
Une autre question semble hanter l’esprit des plus sceptiques : ne s’agira-t-il pas d’une banalisation de la philosophie ? Pour BRENEFIER, « Cette question est celle vers laquelle semble pointer du doigt SOCRATE, qui, à tout bout de champ, phénomène incompréhensible pour bien des érudits modernes, fait philosopher le premier venu, y compris les soi-disants ennemis de la philosophie que sont les savants sophistes. »
Cette activité menée avec les enfants, mérite-t-elle le nom de philosophie ?
Cette question pose en même temps le problème de la définition de la philosophie, de son unicité et de son champ d’action. Mais, Oscar Brénifier soutient qu’à partir du moment où la philosophie comme domaine est effleurée dans cette pratique, que la philosophie comme attitude est relativement présente, et que la philosophie comme culture est présente dans les textes, on peut dire que la pratique de la philosophie pour enfants est de la philosophie.
Le processus de pensée suppose pour ainsi dire une activité de compréhension, une élaboration active de sa réflexion. Au contraire, la philosophie pour les enfants incarne un nouveau paradigme éducatif qui veut partir de l’expérience et des conceptions des enfants, pour leur apprendre à penser par une pratique où ils sont amenés à découvrir par eux-mêmes divers raisonnements élaborés.
Pour l’exemple du Burkina Faso, le conte sera le paradigme à partir duquel l’activité philosophique sera menée. Nous y reviendrons plus tard.

Lipman (M). (1995), A l’école de la pensée, Bruxelles : De Boeck. P.23.

Michel Tozzi, professeur émérite des universités en Sciences de l’éducation, Montpellier 3, didacticien de la philosophie. www.philotozzi.com consulté le 26/02/2016

André-Comte-Sponville dans Philosophie Magasine. www.philomag.com. Consulté le 30 Juin 2015.
Marie-France, (D). (1997). La philosophie et les enfants, les modèles de Lipman et de Dewey, Montréal : De Boeck. P. 19.
Oscar BRENIFIER. (2007).La pratique de la philosophie à l’école primaire. Paris : SEDRAP Education. Page 8
Oscar BRENIFIER. (2007).La pratique de la philosophie à l’école primaire. Paris : SEDRAP Education. P. 253.

Boubacar Ouédraogo
Inspecteur de l’Enseignement du Premier Degré
Direction générale de la recherche en éducation et de l’Innovation pédagogique (DGREIP) Ouagadougou.
Kaceto.net