Le viol d’une élève par ses camarades dans une maison abandonnée à Ouaga2000 avait suscité une émotion collective et avait été unanimement condamné. De tels actes se produisent pourtant souvent dans nos contrées, sans susciter la même condamnation. Pourquoi ? L’ancienne ministre de la Promotion de la femme et du Genre, Nestorine Sangaré s’interroge : est-ce "une compassion sélective ou une hypocrisie sociale ?"

Il y a environ trois semaines, l’opinion nationale était en émoi à cause d’une vidéo de trois jeunes élèves violant une fille à tour de rôle dans une maison abandonnée de Ouaga 2000. L’onde de choc a parcouru toute la société et plusieurs personnes ont donné leurs avis. Sur les réseaux sociaux et dans les émissions interactives, chacun y est allé de son commentaire pour identifier le coupable, déplorer la dépravation des mœurs chez les jeunes et même pour justifier l’acte posé au détriment de la fille. L’affaire est maintenant entre les mains de la justice qui va trancher.

A l’époque, je me suis abstenue de me prononcer publiquement même si, sur le groupe Whatsap de l’Ecole de la Vie nous avons discuté du sujet. J’ai alors appris que les rapports sexuels collectifs sont une nouvelle tendance très courante au niveau des jeunes. Il n’est pas rare qu’un garçon séduise une fille comme "sa copine" et la partage ensuite avec ses copains. Ces derniers sont avertis du moment propice et arrivent de façon impromptue pour se relayer comme s’il s’agissait d’un repas partagé entre amis. Pour quelles raisons les filles acceptent-elles une telle situation ? Ont-elles le pouvoir de dire non et de s’échapper de l’emprise du "gang" ? Peut-on parler de consentement dans ces cas qui constituent ni plus ni moins des viols collectifs présentés comme un défoulement et un divertissement entre camarades ?

C’est effrayant et hallucinant que la générosité entre copains dans une société respectable se fasse au détriment des droits les plus élémentaires de jeunes filles soumises à ces traitements dégradants. Cette banalisation des rapports sexuels et surtout la dévalorisation du corps des jeunes filles soulèvent des questionnements. Est-ce par amour ou par soumission aveugle ? Est-ce à cause de la précarité économique ? Ou bien un abus de la vulnérabilité de jeunes filles sans capacités pour se défendre face aux dérives violentes de jeunes prédateurs sexuels ? Certainement, la réponse serait donnée au cas par cas.

Quand moins de deux semaines après le fait divers de la jeune fille violée et filmée, le journal Sidwaya rapporte que dans la province de Banwa 4 personnes sont suspectées d’avoir enceinté une jeune fille de 12 ans malade mentale, physiquement diminuée, j’éprouve un sentiment de consternation. Parmi les prévenus figure un vieux de 62 ans, le beau-père de la victime (époux de sa maman) et deux autres hommes dont les âges n’ont pas été révélés. Ici, il n’est pas question de jeunes scolaires mais bien d’hommes âgés abusant d’une petite fille de 12 ans, sans défense et dans un état de vulnérabilité extrême. Apparemment, il n’y a que la mère de la fillette pour la protéger contre les viols des hommes qui les entourent, y compris son beau-père. Qu’est-ce qui arrive à ces hommes pour les pousser à une telle bassesse ? Pourquoi renoncent-ils au devoir de protéger les plus faibles de la société, préférant être les prédateurs acharnés à l’encontre de cette fillette déjà éprouvée par le sort ?

Aucune raison ne peut justifier que des hommes sains de corps et d’esprit se livrent à de tels actes ignominieux contre une fillette de 12 ans atteinte de démence et handicapée physique. A bien analyser, ces hommes sont plus handicapés mentalement que la fillette car ils ne semblent pas réfléchir avec la tête. Ils sont des adultes, mais leur comportement est pire que celui des jeunes garçons. Ils s’attaquent à une fillette malade et diminuée pour assouvir leurs penchants sexuels. Ils se sont habitués à abuser d’elle à plusieurs reprises et sans remords, et cela avec ou sans protection, au point de l’enceinter. Sous d’autres cieux, il s’agit ni plus ni moins d’acte de pédophilie et d’inceste. Quel exemple ces adultes donnent-ils à leurs propres garçons ? S’ils peuvent ainsi abuser d’une fillette malade et handicapée, que feront-ils de celles qui sont en bonne santé physique et mentale ? Ces hommes et tous ceux qui se comportent comme eux sont de vrais dangers pour leurs familles, leurs communautés et la société toute entière.

Face à la gravité des faits, je trouve que la peine proposée (5 ans d’emprisonnement) par la justice est faible pour dissuader et donner l’exemple. Le délibéré a été mis au 9 avril 2018. Il faut que les peines soient à la hauteur du mal fait à cette petite fille et dissuadent d’autres de commettre les mêmes crimes. En évoquant ce fait divers, je ne peux m’empêcher de constater que la compassion et l’indignation de l’opinion nationale paraissent sélectives comparées à l’affaire de la vidéo du viol collectif à Ouaga. Est-ce parce qu’il y a une honte collective de savoir que de tels comportements existent dans notre société ? Les faits ont été reconnus par les coupables eux-mêmes. Ils sont des adultes et ne peuvent en aucun alléguer d’une provocation ou d’un deal fait avec la fillette. Il reste à la société de dire plus jamais ça !!!

Ce dernier fait qui se déroule en milieu rural vient confirmer qu’il y a un besoin urgent de poser le débat social sur l’évolution des comportements sexuels dans la société burkinabè. Le milieu rural semble maintenant plus touché par la dépravation des moeurs que les villes. A l’allure où vont les choses, il y a urgence de discuter des normes et règles qui entourent la gestion de la sexualité afin d’inciter les adultes et les jeunes à des comportements responsables et sécurisés. Pour les violeurs et autres prédateurs, on ne peut que souhaiter une application stricte de la loi 061 sur les violences faites aux femmes et aux filles afin de dissuader les adeptes des comportements nocifs et délictueux. Merci à Sidwaya d’avoir publié le récit du procès de Dédougou. A travers le Projet Ecole de la Vie, le CRIGED entend contribuer au débat sur l’éducation sexuelle et la promotion de comportements sexuels responsables chez les jeunes dans notre pays.

Nestorine SANGARE/COMPAORE
Docteur en Sociologie du Développement