Le week-end prochain, plus précisément les 5 et 6 mai, l’ex parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), tient son 7è congrès ordinaire dans l’enceinte du palais des sports de Ouaga2000.
Un rendez-vous crucial qui pourrait être le point d’un nouveau départ vers la reconquête du pouvoir brutalement perdu les 30 et 31 octobre 2014, mais qui pourrait aussi déboucher sur son implosion. L’enjeu de congrès étant bien entendu de réaliser l’unité du parti et de trouver un consensus sur les hommes et les femmes qui vont présider aux destinées du parti dans la perspectives des échéances de 2020.
C’est tout le sens de cette tribune de Jacques Batieno parvenue à la rédaction de Kaceto.net. Militant de la section France du CDP, il appelle ses camarades à "avoir l’intelligence de transcender nos divergences"

Du kantisme, Charles Péguy disait qu’il « avait les mains pures, mais qu’il n’avait pas de mains ». Ce que l’on peut aussi interpréter de la façon suivante : ne peuvent se salir les mains que ceux qui osent les mettre dans la « merde », car ceux qui n’agissent pas ne sauraient avoir les mains sales. De même en politique, ne peuvent subir les foudres de la critique (facile ou pertinente) que ceux qui ont exercé le pouvoir ou qui l’exercent, tout comme, de façon générale, c’est à propos de celui qui agit, qui pose des actes que l’on peut porter un jugement. Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) ne doit donc pas rougir de sa gouvernance passée, il ne doit pas bouder ce temps là, pour des raisons évidentes qui tiennent à la réalité sociopolitique qui prévaut aujourd’hui dans le Pays des hommes intègres. Par ailleurs, lorsque l’on a exercé le pouvoir politique, l’on doit savoir en tirer les leçons qui s’imposent. Cette évaluation, déjà engagée, nous a permis de mettre en exergue les bonnes décisions prises, les bons choix effectués, et les distinguer des mauvaises décisions, des mauvais choix ; en somme, des erreurs politiques commises.
Ce 7è congrès ordinaire doit permettre de poursuivre et d’achever cet inventaire tout en envisageant les perspectives pour l’avenir. Si, en réalité, le bilan peut être globalement jugé positif, il n’en demeure pas moins que nous avons aussi connu des échecs. Toutefois, l’exercice du pouvoir est une œuvre humaine qui doit aussi s’instruire de ses échecs, car, disait Henri Ford, « Echouer, c’est avoir la possibilité de recommencer de manière plus intelligente ». Or, serons-nous à la hauteur de cette intelligence ? Telle est la question préjudicielle qui donne à ce congrès d’être crucial, et en fait un tournant décisif pour notre parti.

Etre à la hauteur de cette intelligence, c’est tenter de réaliser cette alliance qui, pour certains, sonne comme un oxymore ou un idéalisme, c’est-à-dire avoir une pratique morale de la politique. J’entends par là un principe tellement répandu qu’il n’est plus nécessaire de l’évoquer. Hélas, la réalité de la pratique politique à laquelle nous avons été habituée nous somme de rappeler encore et toujours ce principe de base de ce qui nous permet de faire société et, partant, politique au sens noble du terme, savoir mettre le peuple au centre des préoccupations politiques. Il ne s’agit point ici de politique politicienne, ce qui n’aurait d’autre objet que le bien personnel ou individuel, mais de politique dont le principal objet est la justice et le bien commun. Tel est le truisme, s’il en était, qui désormais doit constituer le fondement de notre projet politique, et que ce 7è congrès ordinaire doit affirmer avec force et conviction.
Le peuple n’est pas une entité qu’il faut manipuler ou utiliser à sa guise ; qu’il faut considérer comme une réalité concrète lorsqu’on en a besoin pour se faire élire, et que l’on considère comme une abstraction après coup. Sans le peuple, point de politique. C’est pourquoi la nécessité de tenir un discours de vérité au peuple devient une exigence, nous imposant de rompre avec le pharisaïsme, le superficiel, l’accessoire, toutes sortes d’artifices ou de contingences qui n’ont d’autre objectif que de le divertir et d’anesthésier sa capacité critique de discernement. Il faut en finir avec cette politique d’approximation qui est l’expression d’une incompétence.
Etre à la hauteur de cette intelligence, c’est adopter pour notre parti l’attitude qui sied aux grands partis politiques. Un parti politique digne de ce nom (il en est de même pour un homme ou une femme politique, et encore plus pour celui ou celle qui dirige ou qui aspire à la direction d’un parti politique), est un parti politique qui fait reposer son fonctionnement sur des idées. Ce sont les idées qui font avancer une société, et un parti politique sans idées est une coquille vide. On n’avance pas à vue dans le gouvernement d’un pays, en sacrifiant son destin à la fortune. On commence d’abord par penser l’action que l’on va mener, par construire les idées qui vont constituer la substance de son action politique. Ces idées ne tombant pas du ciel, elles doivent être élaborées par des hommes et des femmes qui en ont la licence. L’une des erreurs fatales au CDP dans le passé, est de s’être laissé sclérosé par le pouvoir à tel point que la pensée objective, non pas celle du pouvoir pour le pouvoir, mais celle du pouvoir pour faire avancer la société et pour le bien-être du peuple avait déserté la raison. Il faut garder à l’esprit que la pensée progressiste n’a jamais de répit, qu’elle doit être permanente tout en s’adaptant à l’évolution de la société.

Après quoi, il faut, pour emprunter la formule à Pascal, que « l’esprit s’ajuste au geste », c’est-à-dire, passer de l’idée à la réalité de telle sorte que ce passage satisfasse bien les aspirations du peuple. Il ne s’agit donc pas de penser pour soi, car la politique ne doit pas être un tremplin pour la réalisation d’ambitions personnelles. En revanche, il s’agit de penser pour le peuple et agir de même, ce qui est le creuset de toute moralité politique. C’est ce dont le CDP doit se convaincre, et c’est ce que ce congrès doit permettre au CDP d’ancrer dans les mentalités.
Etre à la hauteur de cette intelligence enfin, et c’est a fortiori le moment capital de ce 7è congrès ordinaire, c’est faire le choix d’un président du parti qui soit à la hauteur des enjeux futurs. Certes, il peut arriver, parce que les circonstances nous l’imposent, de faire avec le président que l’on a. Mais, il ne s’agit pas aujourd’hui d’avoir le président que l’on a, mais d’avoir le président qu’il nous faut. C’est dire que la désignation de ce président ne doit pas se faire sur la base de considérations matérielles, artificielles ou arbitraires. Au contraire, cela doit se faire sans complaisance, sur la base de considérations objectives, essentielles et démocratiques. Ce président doit être un homme ou une femme de confiance, loyal au parti, respectueux des militants, ouvert à la discussion, disponible et, surtout, rassembleur. Il ne doit, en aucun cas, être source de clivage ou faire l’objet d’un désaccord profond pouvant conduire à la division du parti. Un président de paille qui serait à la solde d’objectifs étrangers aux aspirations du parti, n’est pas celui qu’il faut pour le parti. Un président qui se sert du parti comme un moyen pour des fins personnelles, ne convient pas au parti. En revanche, un président qui œuvre pour la cohésion et l’unité du parti, qui pense avec les autres la voie qu’il veut tracer et qu’il trace pour le parti, celle qui mène à la victoire pour le bien-être du peuple burkinabè, est celui dont le parti a besoin. In fine, la désignation du président, par voie démocratique, doit se situer au-delà de toutes opinions subjectives pour n’envisager que des questions objectives. Il y a de nombreuses victoires à venir et il ne faut pas les manquer. Tout dépendra aussi, dans une grande mesure, du président que l’on se donnera. Ce virage du choix du président du parti, c’est présentement la pomme de discorde, est un virage qu’il ne faut pas rater, car l’avenir et l’unité du parti en dépendent entièrement. Ce congrès doit permettre de dépasser ce point d’achoppement. Aussi, ne nous y trompons pas.

L’atmosphère de lourdeur (sans doute précisément à cause de ce choix déterminant du président du parti, et qui n’est pas sans rappeler le 5è congrès ordinaire de 2012) qui sous-tend ce 7è congrès ordinaire très attendu montre bien que le CDP est à la croisée des chemins. C’est le congrès de tous les espoirs, espoirs permis, c’est le congrès des décisions importantes et des choix décisifs. Mais ce congrès peut aussi être celui de la dislocation du parti, de sa scission peut-être, qu’il faut surtout éviter. De fait, l’avenir de notre parti dépend des orientations qui lui seront données lors et au sortir de ce congrès. Pour cela, il est nécessaire, sans flagornerie ni langue de bois, de tenir à chaque instant un discours de vérité, de faire les bons choix et de prendre les meilleures décisions pour le parti. Nul intérêt personnel ne doit prendre le pas sur l’intérêt du parti, c’est-à-dire l’intérêt commun. Les contradictions internes à un parti ne sont pas négatives en soi, elles sont le signe de son vitalité. En revanche, ces contradictions ne doivent pas avoir pour objet des personnes, mais des idées. Il faut avoir l’intelligence de transcender nos divergences. Il faut surtout que de la contradiction naisse une position commune suivant la logique dialectique. Dès lors que cette position commune existe, en toute objectivité, chacun doit s’y plier, car il faut penser et jouer collectif. Assurément, « il y a un temps pour toute chose sous le soleil », un temps pour la contradiction, et un temps pour le consensus. Ce congrès, en effet, est l’instance qui doit permettre au CDP, sur le plan politique et collectif, de sortir définitivement du purgatoire dans lequel on l’y a mis de force et de facto. A quelque chose malheur étant bon, cette mauvaise passe lui aura permis de faire sa mue, de se renforcer, de prendre conscience de ses forces et faiblesses, de connaître ses véritables partisans et de repartir de plus belle. Pour toutes ces raisons, et pour que cet aggiornamento soit total, ce congrès doit être une réussite. Alors, bon congrès !

Paris le 1er mai 2018
* Le titre est de la rédaction

Jacques Batieno, professeur de Philosophie
Conseiller spécial, CDP-FRANCE

Kaceto.net