Aujourd’hui encore, je suis incapable
Pas cap de dire pourquoi et comment
Pourquoi, je ne sais dire
Comment, mes souvenirs malpolis peuvent s’y risquer

D’un coup, d’un seul, j’ai décidé de lâcher
Les urgences de temps et de lieu
D’un coup, d’un seul coup de folie
J’ai décidé de ralentir
Ralentir mes pas
Ralentir un souffle avare
Ralentir les courses et les fièvres
Et j’ai voulu attendre le prochain tramway

Et elle est apparue à l’angle de nos vies parallèles
Inondée de la lumière jeune du matin
Manquant soudain de courage
Apeuré de tout faire foirer
J’ai entrepris de l’aborder franco

Comme au volant d’un véhicule usé dans la pente
J’ai rétrogradé
Une fois, deux fois, trois fois
Jusqu’à la première agressive

Et mes lèvres ont hurlé ce murmure
« Mademoiselle, un pas de plus
Et vous marchez sur mon cœur »
Et elle m’a offert l’eau vive de son rire serein
Puis un sourire radieux
Avec au fond des yeux toute la tristesse du monde
Et elle ne se moquait pas de mes mots titubants

Et elle n’est pas partie
Et sa main a replié les serres, émoussé les griffures
Attendant d’accueillir la mienne
Sans un mot, quel besoin d’ailleurs
Nous avons laissé des rames s’en aller
Nous semblions deux êtres pris dans la banquise urbaine
Deux vies, deux toupies
Qui ne savent modérer les tournoiements

C’est ainsi que cela a commencé
Les matins calmes, répudiant les colères
Des nuits joufflues de paix torride sous les couvertures
Seulement occupés de nous-mêmes

Un couple où l’on ne parle pas beaucoup
Dire, savoir, expliquer, comprendre
Les grands mots et les idées savantes
C’était hier
Un hier imbibé de sincérités variables
C’était dehors
Un dehors lesté d’amitiés ténébreuses
C’était au lointain
Un lointain encombré de cruautés doucereuses

Nos âmes synchronisées, avant et ailleurs, ici et partout
Baigner dans la présence de l’autre
Aller et venir ensemble, selon nos joies et nos lubies
Ne plus rien souhaiter qui n’est pas l’autre
N’est-ce pas l’essentiel ?

Sayouba Traoré ; Journaliste, écrivain
Kaceto.net