Sociologue de formation, Suzanne Sidibé, née Larou est à la tête du Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le Sida et les infections sexuellement transmissibles (SP/CNLS-IST) de la région des Hauts-Bassins depuis 2006. Elle a d’abord travaillé dans le développement rural avant de s’intéresser aux problèmes de santé à travers quelques recherches au Centre Muraz, notamment sur le paludisme, les maladies infantiles, puis dans la lutte contre le Sida.
A l’occasion de la 19ème édition de la semaine nationale de la Culture qui s’est tenue du 24 au 31 mars dernier à Bobo, nous avons rencontré celle qui coordonne les activités de lutte contre le mal du siècle et les maladies sexuellement transmissibles dans la deuxième ville du Burkina. De la sensibilisation à la prise en charge des personnes infectées en passant par les opérations de dépistage, elle explique comment le SP/CNLST-IST accomplit sa mission en adaptant des méthodes de lutte à l’évolution des mœurs. Elle explique pourquoi Bobo est l’une des villes où le taux de prévalence est le plus élevé au plan national, et révèle que, contrairement à ce qui apparait comme évident, les personnes les plus exposées aux infections ne sont pas les prostitué (es).

Parlez-nous un peu de l’organisation de la lutte contre le sida au BF

Il faut rappeler que les premiers cas de SIDA ont été signalés au Burkina Faso en 1986, avec 10 cas recensés par les services de santé. Depuis le début de l’épidémie, le pays a mis en place une stratégie de riposte nationale à travers :
  L’élaboration de plans à court terme (PCT), puis des plans à moyen terme (PMT I & II).
  La mise en place d’un Comité national de lutte contre le SIDA rattaché au ministère de la Santé ;
  En 1998, ce fut le début du processus de planification stratégique, par approche multisectorielle qui aboutira à l’adoption du premier Cadre stratégique de lutte contre le SIDA et les IST pour la période 2001-2005. Le Comité national devient alors le Conseil national rattaché à la présidence du Faso.
  En 2006, ce fut l’adoption d’un deuxième Cadre stratégique pour la période 2006-2010. Et s’en suivront deux (02) autres cadres stratégiques quinquennaux 2011-2015 et 2016-2020 pour consolider les acquis engrangés depuis 30 ans.
En tant que Conseil national de lutte contre le sida et ayant adopté une approche multisectorielle et décentralisée, il fallait qu’il soit plus proche des populations parce que le Sida n’était plus perçu comme une question de santé, mais de développement. Dans le dispositif organisationnel, il y a plusieurs secteurs : le secteur santé, le secteur non santé et celui de la coordination scindée en coordination centrale et décentralisée.
Le premier assure la prise en charge médicale et fournit des informations sur les dispositifs de la prise en charge par les ARV et les infections opportunistes. Le second est chargé des activités de prévention, de la prise en charge psycho-sociale et socio-économique, c’est-à-dire, tout ce que le Sida engendre en termes de paupérisation de la cellule familiale et des populations. Enfin, le secteur de la coordination s’occupe du suivi-évaluation, la planification, la diffusion de l’information stratégique sur le VIH et surtout la mobilisation des ressources pour la lutte contre le sida.
L’approche multisectorielle et décentralisée a donc conduit au rattachement du SP à la présidence pour plus d’efficacité dans la mobilisation des ressources, plus de leadership au niveau central et décentralisé avec l’implication des gouverneurs, des communautés, autorités coutumières et religieuses et les maires des communes dans la lutte contre le VIH/SIDA. Ainsi donc, le Secrétariat permanent du CLNS-IST qui était seulement basé à Ouagadougou, dispose désormais d’antennes régionales sur l’ensemble des 13 régions administratives du pays.

Quelles sont les missions confiées à votre institution ?

L’antenne régionale des Hauts-Bassins est un service déconcentré du SP-CNLS/IST et non une structure décentralisée. Je suis à la tête de l’Antenne des Hauts-Bassins depuis 2006 qui comprend trois provinces : le Tuy (zone de Houndé), le Houët (Bobo) et le Kénédougou (Orodara) avec une population de plus d’un million d’habitants. La province du Houet qui abrite Bobo-Dioulasso est un carrefour, tandis que la province du Tuy, la zone de Houndé est une région cotonnière par excellence et d’orpaillage, donc de forte migration, à la différence de la province du Kénédougou qui est une zone de cultures fruitières et attire peu de populations

Quelles sont vos principales activités dans l’année ?

Dans l’année, nous coordonnons l’ensemble des interventions de lutte contre le Sida dans la région. Nous mettons ensuite cette information à la disposition des acteurs qui élaborent les micro-plans sur le VIH et les maladies sexuellement transmissibles. Nous centralisons les plans d’action des acteurs et les examinons en fonction des orientations et priorités de l’année et les cibles à couvrir.
Les ressources sont affectées aux acteurs qui amènent leur programmation et nous les suivons dans leur mise en œuvre, sachant que d’autres aspects de la lutte contre le VIH et les IST sont confiés au ministère de la Santé. Avec la direction régionale de la santé, nous suivons les inclusions des PVVIH sur les files actives, la mise sous traitement ARV, conformément à la recommandation qui dit qu’il faut mettre les personnes infectées très tôt sous traitement. Sans oublier les dépistages en milieu de soins, c’est-à-dire, toute porte d’entrée dans un centre santé. Le soignant peut demander au malade de faire le dépistage du VIH et tout cela est notifié, et nous examinons les niveaux/ c’est-à-dire le nombre de PVVIH inscrites sur les files actives et ceux qui sont sous ARV. En fin d’année, il faut capitaliser tout cela pour faire un bilan multisectoriel régional qui présente la situation de la région en matière de prévention, de prise en charge médicale, de dépistage et de coordination.

Combien de personnes travaillent dans l’antenne ?

Il y a trois postes stables et quatre ou six personnes de soutien. Nous travaillons beaucoup avec les associations et c’est la région qui regorge d’associations par excellence et qui font du bon travail. Nous avons une maison des associations de lutte contre le sida, qui organise souvent des cadres de concertations pour échanger sur des thématiques d’actualité, faire le bilan de leurs activités et se donner des orientations. Nous travaillons aussi avec la direction régionale de la Santé, pour collecter les données sanitaire à la PTME, les IST, le TARV et aussi avec l’action sociale pour la prise en charge communautaire des orphelins et autres personnes vulnérables. Le comité régional de lutte contre le SIDA est présidé par le gouverneur de la région, avec les représentants des diverses couches des corps constitués. L’objectif est de les mettre au courant de la situation épidémiologique, leur soumettre le bilan annuel à valider et les mettre ainsi au parfum de ce qui est fait dans la lutte contre le VIH/SIDA et les IST dans la région.

A Bobo, le taux de prévalence du VHI/SIDA est de 2,2% contre 0.8% au plan
national ? Qu’est-ce qui explique que Bobo soit à la traine ?

Comme je l’ai dit plus haut, Bobo est une ville carrefour, nous sommes sur le triangle du balafon : Bobo-Sikasso-Korogho. Les Maliens et les Ivoiriens passent par là et cela fait de Bobo une ville vulnérable. Ensuite, il y a le fait que c’est la deuxième ville du pays, la capitale économique, qui abrite de très grandes rencontres nationales et internationales : gouvernement secteur privé, Semaine nationale de la culture (SNC), séminaires, festivals etc., autant de rencontres et de brassages qui sont des facteurs de vulnérabilité des femmes et des hommes. Par exemple, nous sommes en pleine semaine nationale de la culture Bobo 2018 : ceux qui sont là pour la SNC sont arrivés une semaine avant, ils sont loin de leur foyer pour une dizaine de jours et pour nous, c’est un facteur de vulnérabilité.
Il y a aussi les brassages des populations, l’ouverture des grandes écoles de formation professionnelles (gendarmerie, Enep, l’école de santé, les Eaux et forêts, les universités publiques et privées, la deuxième région militaire et de gendarmerie, des centaines d’établissements secondaires etc.), tout cela crée des situations de vulnérabilité.
Tout récemment, nous avons organisé un diagnostic participatif sur les facteurs de vulnérabilité des différentes catégories de la population et nous leur avons demandé de nous dire quels étaient pour eux les facteurs de vulnérabilité des uns et des autres. Pour 90% d’entre eux, le premier facteur qui est ressorti est le multi partenariat des hommes, des femmes et mêmes des jeunes. Les hommes admettent découcher, mais les femmes aussi disent ne pas se limiter au seul mari. Chez les jeunes, il y a beaucoup de multi partenariats : des jeunes avec des adultes, des relations intergénérationnelles c’est-à-dire avec des hommes adultes (mariés) pour se faire entretenir, des jeunes garçons qui ont plusieurs copines etc.
L’autre facteur de vulnérabilité des jeunes est l’influence négative des médias sur leur éducation sexuelle. Jusque-là, dans nos contrées, parler de la sexualité est un tabou dans les ménages, mais avec les réseaux sociaux, les jeunes s’adonnent à toutes sortes de choses. Ils ne se contentent pas de regarder les films pornographiques, ils les appliquent. Lors du diagnostic, ils nous ont dit qu’il y a beaucoup de rapports sexuels en groupe et ils appellent cela « le Train ou partouze », des relations sexuelles en groupes. A l’occasion d’un anniversaire par exemple, chacun apporte à boire, puis ils cotisent pour louer une maison et passer ce qu’ils appellent « une soirée kiling ». Ils font des cocktails, boivent, se mettent nus et font des rapports comme ils veulent : filles comme garçons !
Le problème est donc là : d’un côté, les hommes sont dans le multi partenariat, de l’autre côté, les femmes ne sont pas non plus fidèles comme par le passé. Beaucoup de femmes disent qu’elles se sentent abandonnées par leur conjoint et que si quelqu’un s’intéresse à elles, elle ne peut qu’accepter, sachant que le mari a des aventures. D’ailleurs, l’étude sur les Modes de transmission « MOT » réalisée en 2014 a montré que les nouvelles infections résident plus dans les couples stables : 39% des nouvelles infections ont été enregistrées au sein des couples « dits » stables, normaux. Ce sont des hommes et des femmes mariés qui ont présenté plus de nouvelles infections. Les travailleuses du sexe par contre sont bien suivies par les structures communautaires et services de santé. En 2014, l’étude bio comportementale auprès des travailleuses de sexe a donné une prévalence de 16% à Bobo, mais avec le programme d’intensification de la couverture de cette cible soutenu par le Fond Mondial, la prévalence du VIH au sein des TS est à 5% en 2017 !
Une des explications des nouvelles infections chez les couples stables réside dans le fait que les hommes ne vont pas au dépistage du VIH. Quand les femmes qui y vont dans le cadre de la prévention de la transmission mère-enfant, en cas de test positif, elles doivent informer leurs conjoints de leur séropositivité et inviter ces derniers à se soumettre au test également. Mais, il se trouve que la plupart des femmes enceintes séropositives cachent les résultats au mari de peur de se faire renvoyer.
Tout ceci constitue une explication du taux de prévalence élevé à Bobo.
A cela, il faut ajouter les maisons closes un peu partout dans la ville. En 2015-2016 on en a dénombré 21 sites de prostitution à Bobo et le commerce du sexe ne s’est jamais autant bien porté que maintenant. L’autre problème de la prostitution est l’existence de beaucoup d’autres sites clandestins qui ne se font pas suivre par les structures communautaires. Prenez l’exemple d’une jeune fille : étudiante, élève, ou autre ; elle peut avoir deux ou trois copains, même si elle se défend d’être une prostituée. Le multi partenariat est une forme cachée de la prostitution.
Il y a aussi l’orpaillage sauvage dans la zone du Tuy et une partie du Houet qui est venu s’ajouter aux comportements à risque, et si on n’y prend pas garde, on risque d’avoir un rebond de l’épidémie car la prévalence dans la région évolue en dents de scie. La prévalence de la population générale dans la région des Hauts-Bassins est à 1,4%, mais dans le site sentinelle de Bobo, on est à 2.2%. Il y a aussi les résultats des enquêtes ponctuelles auprès des travailleuses du sexe, des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes et les détenus, parce qu’on a constaté qu’il y a une prévalence de VIH en milieu carcéral ; ce qui veut dire que soit on entre en prison en étant déjà infecté, soit on en ressort avec l’infection puisque les enquêtes nous montrent qu’il y a bel et bien des rapports sexuels homo en prison. Donc, s’il y a une prévalence, ça veut dire que quelqu’un y est entré avec et a contaminé les autres, et il faut trouver les dispositifs pour y conduire des activités de prévention et de prise en charge médicale.

Que fait-on pour les personnes infectées ?

Les personnes infectées sont inscrites sur les « files actives » des formations
sanitaires ; par exemple Bobo-Dioulasso dispose de cinq districts sanitaires répartis dans les quartiers ; celui de Dafra est dans le secteur 5 où il est possible de faire un bilan pour voir le taux de lymphocytes CD4 dans le sang. Si le taux est faible, on met la personne sous traitement ARV, qui est gratuit. Chaque district a une pharmacie où le SP-CNLS/IST par le biais du ministère de Santé, met à la disposition des malades des ARV par une dotation régulière de trois mois. Nous avons aussi un centre de traitement ambulatoire qu’on appelle hôpital de jour où on reçoit plus de 3000 personnes qui ne souhaitent pas aller dans le district du quartier pour des questions de stigmatisation. C’est donc le volet santé ou prise en charge médicale de la lutte contre le VIH et ce sont les associations qui travaillent à orienter les personnes dépistées séropositives vers les centres de prise en charge. Il y’a aussi le volet continuum des soins aux personnes vivant avec le VIH, assuré également par les associations et qui consiste à l’accompagnement psychosocial et socio- économique des personnes infectées pour une bonne observance du traitement ARV et un suivi des examens biologiques.

Le regard social a-t-il changé sur les personnes malades du VIH ?

Pas vraiment ! C’est un problème que nous rencontrons toujours parce qu’il y a des gens qui pensent que manger avec une personne infectée, la saluer ou l’embrasser transmet le virus, ce qui est faux. Bien entendu, il y a des types de baisers comme tirer trop sur la langue qui peut comporter des risques car si le partenaire a des lésions buccales, ça peut être source de d’infection. Mais je le dis, donner des accolades ne donne pas le virus. Je dois aussi noter qu’il y a des pratiques qui exposent au VIH, comme par exemple le doigté ; si pendant les préliminaires, vous mettez votre doigt partout, en cas d’infection du partenaire, vous pouvez prendre des sécrétions au niveau des doigts et si vous avez des écorchures, ça peut être dangereux.
Les gens disent qu’il faut aller avec la langue, mais si vous venez de manger du poulet ou du poisson et que vous avez cassé les os, qu’il y ait eu de petites ouvertures, si vous commencez les préalables avec la bouche, vous vous exposez dans des cas de séropositivité du partenaire.
Sur la stigmatisation, j’avoue que nous-mêmes sommes un peu perdus parce qu’il y a des stigmatisations plus subtiles maintenant que par le passé. Avec les ARV, les personnes vivant avec le VIH ne meurent plus et on ne voit plus les signes extérieurs (amaigrissement, lèvres rouges, corps portant des plaies, etc.). Que se passe-t-il maintenant ? Souvent sur la base de soupçons, on refuse d’utiliser le même instrument ou outil que celui qu’on croit être malade. Pour éviter d’exposer les gens à la suspicion pendant les journées de dépistage de masse, nous leur demandons d’aller prendre leurs résultats directement dans le centre de dépistage, en tout anonymat.

Comment parvenez-vous à sensibiliser les homosexuels sur le VIH et les IST ?

Nous utilisons les mêmes méthodes que pour les hétérosexuels, en passant par les associations et des structures intervenant auprès des populations ou des groupes à hauts risques. Au début c’était difficile, mais quelques-uns ont eu le courage de s’assumer et avec l’accompagnement que nous leur apportons. Nous savons qu’ils sont environ 300 dans la ville de Bobo, regroupés dans deux grandes associations avec lesquelles nous travaillons. Ils bénéficient du soutien du Fond mondial pour mener leurs activités et ils participent à nos enquêtes. Il reste que l’environnent social ne leur est pas favorable et ils prennent des précautions pour ne pas attirer l’attention sur eux. En général, ceux qui sont efféminés sont souvent victimes de lynchage parce que les mentalités ne sont pas prêtes à accepter l’homosexualité.
Pour notre part, nous nous contentons de mettre à leur disposition ce qu’il faut pour se prémunir des infections, sans porter de jugement sur leurs pratiques sexuelles. Les homosexuels comme les travailleuses du sexe rencontrent beaucoup de problèmes dans notre ville.

Peut-on dire qu’il y a maintenant une prise de conscience sur le VIH et les IST ?

Nos messages passent, mais pour que les jeunes soient plus responsabilisés, il faut qu’ils soient occupés et ne soient pas frappés par la paupérisation ; cela éviterait qu’ils tombent dans la délinquance et toutes sortes de pratiques vulnérables.
En gros, il faut considérer la santé sous l’angle du développement et accorder plus d’attention aux différents groupes exposés aux infections.
Pour la prévention de la transmission mère-enfant, nous travaillons à éliminer tout risque de contamination et aboutir à une situation où l’enfant sera testé séronégatif à six semaines après sa naissance, et la science a prouvé que cela est bien possible. Reste les barrières socio-culturelles qui font que la femme enceinte séropositive ne veut pas partager sa sérologie avec son conjoint. En plus, si elle se soustrait du traitement ARV et qu’elle allaite, elle peut contaminer l’enfant peut être né séronégatif et c’est pour cela que toute la communauté doit se mobiliser et s’impliquer dans la lutte contre le SIDA.

Propos recueillis à Bobo-Dioulasso par Joachim Vokouma
Kaceto.net