Le thème ainsi formulé exprime un des grands défis de cette contrée qui en a tant d’autres. Parmi les défis de cette partie de l’Afrique, qui va de la Mauritanie au Tchad, en enrobant au passage le Mali, le Burkina, le Niger, on peut aussi citer : l’éradication de la pauvreté endémique, l’enracinement de l’État moderne et de la démocratie, le progrès multiforme pour le développement, l’intégration des micro-nations dans un ensemble plus viable et plus fort.

Il est évident qu’aucun de ces nombreux défis ne pourra être relevé, si le vivre-ensemble lui-même est remis en cause par des incompatibilités de croyances religieuses qui s’expriment, plus ou moins violemment, dans les villes et les campagnes de ce territoire qu’on peut aussi nommer le Grand Soudan. Pendant longtemps, nous avons bien cru que ce qui faisait notre grandeur dans le dénuement, c’était notre humanité, nos valeurs de fraternité, de solidarité et d’hospitalité. Mais, nous voilà face à cette nouvelle situation qui remet en cause la cohésion séculaire des peuples du Sahel et qui ajoute des conflits de valeurs à nos malheurs. Il est vrai que le Sahel n’est plus en marge du monde, et que le village planétaire, en bien et en mal, l’a englobé. Il peut paraître donc naturel que ce regain de l’intolérance religieuse dans le monde, qui a été l’objet de nos réflexions antérieures, ait des répercutions pernicieuses sur la communauté de vie des femmes et des hommes du Sahel. Les sociétés Sahéliennes ne sont certainement pas touchées par des fractures confessionnelles endogènes de nature radicale ; mais des signes de radicalisation y sont manifestes dans les prêches de certains leaders religieux et dans les comportements de croyants extrémistes. La réalité du terrorisme religieux est là, au quotidien, et il se déploie, régulièrement, à partir de ses foyers d’Azaouad et d’Azaouak. Le mal est bien présent, dans nos murs, et il est urgent d’envisager toutes les perspectives qui peuvent contribuer à le circonscrire, puis à l’éradiquer définitivement.
Toute action à moyen et long terme, pour contenir le mal de l’intolérance au Sahel, passe nécessairement par l’action sécuritaire urgente, telle qu’envisagée par les pays du G5. Dans cette direction, il faut arriver à prévenir et à entraver les manifestations violentes de l’intolérance d’origine religieuse. Puisque les groupes qui les commanditent sont de nature transnationale, les structures et les stratégies opératoires, doivent aussi aller dans le sens de la forme multinationale ; autant dire que nous devons nous acheminer vers la mise en place d’un centre sahélien du renseignement anti-terroriste et d’une force sahélienne d’intervention rapide.
Cette perspective des nations sahéliennes qui se serrent les coudes pour protéger les peuples libres, s’enracine dans un contexte social assez ambigu. En effet, la grande partie des États du Sahel est dominée, à plus de quatre-vingt pour cent, par l’islam ; il n’y a que le Burkina-Faso qui est en dessous des cinquante pour cent. Cette pesanteur sociale rend la communication et l’action sur le terrorisme très délicates. Mais, le Sahel, malgré les chiffres, est un terreau de toutes les religions du monde qui côtoient les croyances et les pratiques ancestrales. De surcroît, l’islam qui nous est venu de l’Afrique de nos pères, est un islam pacifique et tolérant. Pour des raisons électorales, des calculs de positionnement politique, il n’y a donc pas lieu de louvoyer avec le principe de la laïcité des États du Sahel. Ces États, nonobstant la suprématie d’une croyance dans les nations, sont et doivent demeurer laïcs. Il est alors indispensable que le politique renforce la laïcité dans les législations, dans les systèmes éducatifs, les espaces communautaires et dans tous les compartiments des administrations publiques. Les peuples du Sahel comprennent parfaitement qu’il n’y pas d’amalgame possible entre l’extrémisme violent et l’islam authentique. Le terrorisme n’est pas seulement orienté contre les intérêts occidentaux au Sahel, comme certains le laissent croire ; il est aussi contre l’islam pacifique de nos pères, contre nos démocraties, contre nos traditions séculaires, contre notre patrimoine culturel, contre les libertés et les droits du citoyen sahélien.

Si les États doivent œuvrer à la sauvegarde de la laïcité, il revient à chaque citoyen de se prescrire les règles de vie qui vont dans le sens de la tolérance de l’autre dans sa différence, du dialogue des consciences, de la coexistence pacifique des pratiques religieuses. Dans ce processus d’éducation des consciences à la paix, les leaders religieux ont leur partition à jouer ; c’est à eux de porter, publiquement, la contradiction contre les prêcheurs d’idées religieuses sectaires et violentes, qui parfois n’ont lu qu’un seul livre et qui sont incapables de comprendre la dynamique du monde contemporain. Nous devons tous comprendre que le Sahel, c’est plus, et c’est mieux aussi, que ce choc de principes religieux venus de si loin ! Le Sahel d’Afrique, c’est aussi et surtout, ce vaste patrimoine fait de syncrétisme, d’alliances multiformes pour la cohésion sociale, de traditions d’hospitalité et de complémentarité des voies.
La résolution politique des questions identitaires des peuples de l’ancien Macina, nous paraît également être une des conditions de l’éloignement du Sahel de toute violence planifiée sur des fondements religieux. Cette zone tampon entre le Maghreb et l’Afrique, dont les peuples sont visiblement issus du métissage entre les deux mondes, est le terrain le plus favorable au développement d’un islam radical et sectaire. L’explication de cette triste réalité est toute simple : ces peuples, historiquement d’identité arabo-berbère, ont été greffés, par le colonisateur, à des nations de culture négro-africaine, sans que la greffe ne prenne vraiment ! Élargie à la grande entité Peul-Foulani, l’arabo-berbère du Sahel a l’identité la plus hostile aux valeurs d’Occident que véhicule l’école du blanc. Ces peuples, séculairement esclavagistes, remplis de complexes à l’égard du négro-africain, et qui n’ont d’autres repères que les normes coraniques, sont en quête d’une nouvelle visibilité dans l’histoire, face à des peuples négro-africains qui, eux-mêmes et du fait des séquelles du passé, sont pleins de préjugés défavorables à l’arabo-berbère-peul. On comprend pourquoi, cette longue bande de terre aride, qui s’étale sous le Sahara, et qui va de la Mauritanie jusqu’au sud de la Lybie, est en proie à des convulsions graves depuis les indépendances africaines. L’extrémisme religieux, poussé par ses déboires au Maghreb et à la faveur de l’implosion de la Libye de Mouammar Kadhafi, n’a fait que trouver, sur ce terrain, une niche propice pour ses projets d’État arabo-islamique. Pourtant, depuis soixante ans, la communauté internationale et les États concernés ont accompli d’énormes efforts pour l’intégration de cette zone dans les réalités modernes. Il nous paraît, dans tous les cas, nécessaire de reposer ce dossier, celui de l’identité arabo-berbère et ses dérivées au Sahel, sur la table ronde qui donnera largement la parole aux mouvements nationalistes laïcs de l’Azaouad et de l’Azaouak. Il s’agit, pour cette table ronde, de redonner aux peuples de l’ancien Macina, des horizons honorables de vie, dans ce monde qui les a trop souvent considérés comme de simples objets touristiques. Seul un tel regain d’espoir pourra durablement empêcher les consciences de se tourner vers ces lueurs éteintes du passé plus ou moins lointain, et d’être à la merci des marchands d’illusions de la terre.

Au bilan, on peut retenir que le Sahel ne vit pas une crise inter-religions particulièrement profonde. Le socle historique, sur lequel les religions importées ont été implantées, est un terrain de tolérance, de fraternité et d’hospitalité légendaire. Bien sûr, les sociétés négro-africaines se sont vus greffer, par le colonisateur, des peuples d’identité singulièrement enracinée dans les valeurs coraniques. Mais, l’identité arabo-berbère n’est pas non plus synonyme d’extrémisme religieux. Au fond, la crise en l’Azaouad, qui a finalement contaminé le nord du Burkina Faso, le pays le moins islamisé du Sahel, n’est pas fondamentalement une fracture religieuse ; elle exprime plutôt un conflit de civilisation entre l’arabo- berbère et l’occident. Sous cet angle, et si les forces du G5 arrivent à éradiquer l’infiltration de groupes islamiques exogènes à l’Afrique noire, il y a tout espoir qu’un dialogue politique franc, puisse ramener la quiétude entre les peuples du Sahel.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net