C’est incontestablement le premier événement spécialement dédié à la musique au Burkina. En 18 éditions, les Kundé sont devenus un rendez-vous incontournable pour les professionnels de la musique et du show-business : musiciens, producteurs, distributeurs de produits culturels,organisateurs d’événement.
Pour les musiciens burkinabè, remporter le Kundé d’or, c’est non seulement une consécration, mais c’est surtout une opportunité pour eux de booster leur carrière et d’être sollicités pour des prestations aussi bien au Burkina qu’à l’international.
Le promoteur de cet événement que la sous-région ouest-africaine nous envie n’est autre que Salfo Soré, alias Jah Press, un animateur formé à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) à Brys sur Marne en France sur le management et gestion des radios de proximité, passé par Radio Energie et Ouaga FM. 
La dernière édition des Kundé d’or, qui s’est tenue le 27 avril et qui a consacré Hawa Boussim Kundé d’or a été un succès malgré le contexte sécuritaire anxiogène.
Plus d’un mois après, le promoteur de cette cérémonie à paillettes revient sur les critères de récompense des artistes, répond à ses détracteurs et exprime ses inquiétudes quant à l’avenir des Kundé d’or.

Comment sélectionne-t-on les trois finalistes ?

Comme on le fait dans ce type de manifestation ! Nous observons les artistes en compétition sur une période qui va du 1er mars de l’année écoulée au 28 février de l’année en cours. Leurs œuvres doivent être sorties durant cette période.
Le Kundé 2019 qui aura lieu le dernier vendredi du mois d’avril prendra en compte les albums sortis à partir du 1er mars 2018 jusqu’au 28 février 2019, et c’est un critère valable dans toutes les catégories. Pour le Kundé d’or, l’artiste qui n’a sorti qu’un album ne peut pas participer à la compétition. Il en faut au moins deux, preuve qu’il n’est pas là par hasard, mais le dernier doit avoir été publié sur la période indiquée plus haut.
Nous faisons ensuite un cheeking pour vérifier le temps de diffusion de l’album sur les radios, les télés, la qualité du clip qui l’accompagne. Nous calculons aussi le nombre de spectacles animés par l’artiste durant cette période, examinons la qualité de son entourage et regardons s’il a un site web ou une page Facebook bien animé.
Vous l’aurez remarqué, on ne tient pas vraiment compte des supports physiques parce qu’il y a trop de piraterie et les artistes les plus populaires sont les plus piratés. En revanche, il est impossible de pirater un concert live ou en playback et les tournées effectuées par un artiste.
Une fois qu’on a fait ce tamis, on met en place trois comités qui ne se connaissent pas, et chaque comité propose 5 artistes par catégorie et par ordre de mérite. Ensuite, le Commissariat général centralise leurs propositions et les croise avec ses propres choix. A ce stade, des noms apparaissent et sur lesquels il y a l’unanimité. Ce n’est pas terminé. Les choix par catégorie sont envoyés aux radios, télés et aux institutions partenaires dans les 45 provinces, sauf au Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA). Parallèlement, nous mettons en place un autre jury composé d’un homme de média, un mélomane, un producteur qui n’a pas d’artiste en compétition. Ce jury qui est professionnel et autonome, centralise les votes et peut changer l’ordre des nominés issu des résultats de provinces.

Quelle est le poids du vote du public dans le résultat final dans l’attribution du Kundé d’Or ?

Le public vote pour le partenaire et non pour l’attribution du Kundé d’or ; le vote ne compte que pour 25% par rapport au vote du jury. Sauf dans le cas où c’est très serré, le vote du public ne peut pas changer le choix du jury qui est composé de professionnels et qui travaille sur des critères.
Je le rappelle, le vote du public, c’est pour le partenaire qui veut rentabiliser son investissement. Une personne peut voter pour le même artiste plusieurs fois tant qu’il a des unités sur son téléphone et à condition qu’il soit un abonné de l’opérateur. Donc, c’est le jury qui décide du Kundé d’or et non le public même s’il a massivement voté pour un artiste donné.

Est-ce que le public sait que son vote compte presque pour du beurre dans le choix final ?

Ecoutez, ça fait longtemps que les Kundé existent et en tant qu’acteur économique privé, je ne vais pas passer mon temps à répéter ce que j’ai déjà dit. Au Burkina, les gens attendent le jour de la cérémonie des Kundé pour chercher à comprendre comment ça fonctionne. Ce n’est pas mon problème parce que nous organisons au moins trois conférences de presse et tout est écrit dans les journaux. Mon problème à moi, c’est organiser une belle cérémonie. Point !

Sur les réseaux sociaux et les radios, les gens sont convaincus que c’est Abibou Sawadogo qui a eu plus de voix et au final, c’est Awa Boussim qui a été consacrée Kundé d’Or…

Oui, c’est une polémique qui est courante partout dans le monde, même dans les concours Miss où il le vote du public et le vote du jury sont deux choses distinctes. Je le répète, le vote du public est limité aux abonnés du partenaire et nous n’allons pas trahir l’esprit de notre événement pour lui faire plaisir.
Vous savez, j’ai commencé la radio depuis 1992 et j’ai formé pas mal d’animateurs. Je suis connu dans le milieu et je sais de quoi je parle. Pratiquement à chaque édition des Kundé, le vote du public a souvent coïncidé avec le vote du jury, sauf en trois éditions, et la polémique nait toujours lorsqu’un artiste est en compétition avec un Mossi. Quand Smockey était en compétition avec Alif Naba, les Mossi ont estimé que Smokey ne peut pas gagner devant Alif Naba. Cette année encore, dans leur tête, Abibou Sawadogo devait absolument gagner. On a même introduit de la politique dans les Kundé en collant des étiquettes aux trois finalistes : Awa Boussim serait de l’UPC, Abibou Sawadogo du MPP et Don Charp de Batoro de la NAFA. Je n’entre pas dans ce jeu et m’en tiens aux décisions du jury.

Le montant des trophées a été aussi critiqué comme étant dérisoire…

Oui, au Burkina, les gens sont incultes, y compris les journalistes culturels !
Nous ne sommes pas une cérémonie destinée à détecter des nouveaux talents, mais pour récompenser des talents confirmés. Les artistes sont connus, ont déjà vendu des albums, assuré des spectacles et nous les consacrons. On ne les récompense pas avec de l’argent. Aux Grammy Awards, aux Victoires de la musique ou aux Oscars, on ne donne pas d’argent, mais des trophées. Mais comme nous savons qu’au Burkina les gens attendent qu’on donne de l’argent, nous allouons une somme qui se veut symbolique aux lauréats. N’oubliez pas que je suis un privé qui fait avec les moyens du bord. J’estime que la cérémonie sphérique que sont les Kundé permet de mettre les artistes en valeur. Il appartient ensuite au staff de l’artiste consacré de savoir valoriser son statut en refusant par exemple de le faire jouer à 75 000 F CFA !
Il y a des artistes comme Sana Bob, Dicko Fils, qui n’étaient pas très connus et grâce aux Kundé d’or, ils ont pu organiser des concerts et autres spectacles pour gagner de l’argent. C’est la raison d’être des Kundé, et nous n’avons pas la prétention de sortir les gens de la pauvreté. Voilà ce que le public doit comprendre, y compris certains journalistes qui publient parfois des choses tendancieuses.

Lors des Kundé d’or 2018, vous avez émis des inquiétudes quant à l’avenir de la manifestation. Cela signifie-t-il que votre modèle économique a échoué ?

En Afrique, il n’y a pas de modèle économique viable pour ce type de manifestation qui tient la route ; nous sommes la seule cérémonie qui se déroule depuis 18 ans sans discontinuer. Les « Kora awards » qui ont commencé en Afrique du Sud ont disparu ; les Tamani au Mali, les Djembé d’or en Guinée, ne se tiennent pas à des dates précises. Nous, bon an mal an, on tient la route et toute modestie mise à part, on a la plus belle cérémonie de la sous-région ouest-africaine et les Burkinabè doivent en être fiers. Il y a des pays qui ont plus d’artistes bien connus à l’international que le Burkina, mais qui n’ont pas une cérémonie pareille ! Nous voulons à travers les Kundé, promouvoir nos artistes et c’est la raison pour laquelle ils ne compétissent pas avec les artistes étrangers alors qu’on n’aurait pu les mettre ensemble.
Ce qui me fait mal, c’est que nous organisons les Kundé pratiquement tout seuls, alors qu’il y a eu des cérémonies ici où l’Etat a mis des milliards dedans. Par exemple, l’organisateur des Kora n’a jamais demandé de sponsoring à qui que ce soit ; à l’époque, c’était le président de la chambre de commerce, Oumarou Kanazoé, -paix à son âme-, qui a écrit aux sociétés pour leur demander de soutenir la cérémonie, ce qu’elles ont fait en contribuant énormément. Mais nous, on nous donne des miettes. Pourquoi ? Etre burkinabè, est-ce une tare ?
Les étrangers font la même chose que nous et on leur déroule le tapis rouge, mais pas aux nationaux ! Si on considère que les Kundé valent leur pesant d’or, il faut qu’on nous aide. Pendant les Kora, il y a eu des ministres qui étaient dans le comité d’organisation, mais pourquoi ils ne nous soutiennent pas ? C’est vrai, Dieu merci, nous ne sommes pas des mendiants, et en tant que promoteur des Kundé, je fais partie des Burkinabè les plus célèbres. Mon nom est connu dans des contrées où je n’ai jamais mis les pieds. Mais ça ne me suffit pas. J’ai aussi une famille à nourrir !
Ce qui me sauve, c’est que je ne fais pas que les Kundé. Ceux qui pensent que j’organise la cérémonie, ramasse l’argent et le mange tranquillement se trompent.
Je travaille toute l’année en tant que privé, ce qui me permet d’avoir un niveau de vie convenable. J’estime qu’en 18 ans, j’ai fait mes preuves et qu’on peut me considérer comme un monsieur sérieux qui fait des choses pour le pays. Je me donne un Deadline, qui est la 20ème édition. Si ça continue comme ça, sans aide, je dis Basta ! Quelqu’un reprendra le flambeau ou les Kundé mourront de leur belle mort ! J’ai mis les Kundé à un niveau très élevé et je ne veux pas redescendre par manque de moyens. C’est aussi simple que ça !

Que demandez-vous exactement ?

Nous avons un budget de 150 à 200 millions de F CFA ; je demande à ce que l’Etat contribue pour 50% et le reste, on va chercher dans le sponsoring. Tout le monde sait que le niveau de vie est bas au Burkina et que les entreprises n’ont pas beaucoup d’argent. Ailleurs, les gens mettent 350 millions dans les manifestations ! Mais si l’Etat considère que les Kundé jouent un rôle dans la promotion culturelle et aident les artistes burkinabè, il faut faire quelque chose pour nous.
Cette année, nous avons organisé les Kundé dans des conditions sécuritaires difficiles parce que des pays occidentaux ont placé le Burkina dans une zone rouge. Mais les étrangers sont venus, ont fait la fête et sont repartis sans problème. Nous avons montré au monde entier que la vie continue au Burkina.
Reste que nous sommes à un niveau de financement où on ne peut pas se contenter de 5 ou 10 millions de F CFA ! Si l’Etat peut supporter 50% du budget, nous serons à l’aise pour combler le gap avec les privés. Il faut savoir que les artistes sont de plus en plus capricieux et coûtent cher. Ils voyagent en classe business, dorment dans des suites et se déplacent dans des limousines. C’est leur vie qui est comme ça et c’est le traitement qu’on leur réserve dans d’autres pays africains.

Combien coûtent les caprices des artistes célèbres ?

Je ne le dirai pas ; c’est comme dévoiler le salaire de quelqu’un. Mais il faut savoir que les P-Square sont les plus chers en Afrique : 75 millions de F CFA contre moins 50 pour Alpha Blondy. Et il y a des gens qui paient ces prix sans broncher. Pourquoi voulez-vous qu’ils demandent moins pour venir au Burkina ? Quand on nous reproche de donner beaucoup d’argent aux artistes étrangers et des broutilles aux Burkinabè, je dis que ce ne sont pas des broutilles. Nous n’avons jamais donné des broutilles à Bil Aka Kora ou à Alif Naba. Mais si des artistes acceptent jouer à 150 000 F, pourquoi veut-on que nous les payons 1 million ? Ils valent ce qu’ils valent. Nos artistes doivent se battre pour être exportés. Quand Floby joue en Côte d’Ivoire, il est mieux payé qu’au Burkina. Dans la fonction publique, à diplôme égal, il y a une différence de traitement. Pourquoi ? Quand un fonctionnaire est à l’étranger, on corrige son salaire pour tenir compte du niveau de vie. Pour les artistes, c’est pareil. Quand ils viennent chez nous, on les paie en tenant compte de ce qu’ils gagnent chez eux. C’est leur métier et ils vivent de ça !

Financièrement, les Kundé d’or ne sont pas donc pas en équilibre…

Nous sommes endettés cher ami ! Je travaille durant toute l’année avec beaucoup d’institutions de la place et je ne peux prendre ça pour boucher en permanence le trou des Kundé pour une question d’orgueil. Celui qui est dans le domaine sait ça. Faly Ipupa, c’est 40 000 euros avec 26 personnes !

Si les Kundé devaient s’arrêter, ce serait un gros échec pour vous !

Moi, jamais ! Ce serait la preuve que le Burkina ne mérite pas une telle manifestation ; c’est que je rêve trop grand pour mon pays. Le Burkinabè, c’est le nivellement par le bas, les petites choses, des arrangements entre nous. Je ne suis pas dans ça. Aujourd’hui, nous sommes sur le satellite et les Kundé sont vus dans le monde et il faut que la cérémonie réponde à des normes internationales.

Vous parlez de l’éventuelle mort des Kundé avec un détachement surprenant…

Ça vous étonne pourquoi ? Moi, je ne vis pas des Kundé ! Quand vous êtes arrivés, n’avez-vous pas vu des motos garées et des gens qui travaillent ? Ils ne travaillent pas tous pour les Kundé ; j’ai d’autres activités que je mène.

Lesquelles ?

Je fais du marketing opérationnel en travaillant avec beaucoup de marques et heureusement, ça me permet de vivre. Les Kundé sont mon activité le plus médiatique. C’est moi qui ai fait venir Alpha Blondy à Ouaga et à Bobo-Dioulasso l’année dernière alors qu’on disait qu’un Burkinabè ne pouvait pas le faire venir ici. Je suis un professionnel du milieu, et j’essaie de faire les choses avec professionnalisme. Je fais du spectacle et du marketing opérationnel avec une vingtaine de salariés à Ouaga comme à Bobo, mais parfois, en période de forte activité, on peut aller jusqu’à 300 employés. Je crée donc de l’emploi et donne de l’expérience aux étudiants avec qui je travaille principalement.
Vous le savez bien, la culture au Burkina ne nourrit pas vraiment son homme et je ne veux pas vivre misérablement. J’ai encore mon père et ma mère qui sont Zitenga. Mon père est chef de village et je dois les mettre à l’aise.

« After Kundé », c’est vous aussi ?

Bien sûr que c’est moi. Pour faire venir Faly Ipupa, c’est 26 millions de FCFA ! Il faut bien que je rentabilise un peu parce qu’il n’y a pas de sponsors dessus. Quand les stars sont en tournée, il faut profiter pour caler ton événement, sinon, c’est très cher de les faire venir spécialement. Quand j’ai la chance d’avoir en même temps Faly Ipupa, Magic System et autres, il ne faut pas rater l’occasion ; After Kundé s’inscrit dans cette logique.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
kaceto.net