Hier 18 juin, premier jour de grève des agents du ministère de l’Economie, des finances et du développement (MINEFID), la bourse du travail grouille de monde. En groupes, les agents discutent, pendant que les responsables syndicats se prêtent volontiers aux questions des journalistes, conscients qu’en matière de communication, le gouvernement a pris une longueur sur eux.
C’est un agent qui nous conduits vers la table où sont regroupés les responsables syndicats. A chaque sollicitation de média, un responsable est désigné pour répondre aux questions. Notre interlocuteur s’appelle Seini Kouanda, Secrétaire général du Syndicat autonome des agents du trésor du Burkina. Il connait le sujet et les éléments de langage qui vont avec. Le vocabulaire syndical et la phraséologie révolutionnaire aussi. C’est donc sans difficulté qu’il s’est prêté aux à kaceto.net sur les différents points contenus dans leur plateforme revendicative.

La semaine dernière, vous aviez levé le mot d’ordre de sit-in ; et aujourd’hui, vous partez en grève Qu’’est-ce qui bloque dans les négociations et quelle est le point sur les négociations ?

La mobilisation est bonne en dépit de la répression et de l’intimidation du gouvernement contre les travailleurs. Depuis le début, le taux de participation atteint 90%. Tout le monde n’est pas ici à la bourse du travail, mais ils ne sont pas au bureau.
Nous avons décidé d’observer cette grève parce que les discussions menées les 28, 29 et 30, et conduite par le ministre de la Fonction publique avaient permis des avancées sur cinq des sept points de note plateforme. Les deux autres points, c’est-à-dire, les réformes non consensuelles et le statut sécurisant devaient être discutés après.
Malheureusement, le gouvernement a suspendu les négociations et le ministre a dit qu’il allait se référer au premier ministre pour avoir un avis. A la veille du préavis de grève des 4 et 5 avril, nous pensions que le gouvernement allait revenir à la table des négociations. Il n’est pas venu ; nous avons alors observé 48 heures de grève et jusqu’à l’heure où je vous parle, il n’y a pas eu d’avancées. Au contraire, quand le gouvernement est revenu vers nous, c’était pour reculer sur l’avancée obtenue sur le chek-off, c’est-à-dire, les retenus pour les cotisations syndicales.

Vous souhaitez qu’on prélève directement sur les salaires des travailleurs pour alimenter les caisses du syndicat ?

Non, ce n’est pas comme ça que la chose se présente. Il faut rappeler que les retenues pour les cotisations est une demande des syndicats au gouvernement ; sous Blaise Compaoré, un décret avait été pris en 2012 mais, mais il faisait allusion plus au salaire qu’aux cotisations. Nous avions demandé que les travailleurs remplissent une fiche pour dire qu’ils acceptaient qu’on prélève directement sur leur salaire. A la douane, il y avait ce chek-off depuis longtemps et c’est au niveau des finances (trésor et impôts) qu’il fallait agir surtout avec la bancarisation des fonds communs. Avant, on remettait la liste des militants aux billeteurs et quand le salarié se présente pour toucher son fonds commun, on lui indique qu’il faut payer les cotisations. Il n’y voyait aucune objection. C’était par consentement volontaire et ceux qui disaient qu’ils n’étaient pas syndiqués étaient épargnés. On a même remboursé certains qui avaient été coupés sans leur accord.
Sous Roch Kaboré aussi, ça fonctionnait aussi cette manière et à notre surprise, à l’échéance de janvier 2018, de façon unilatérale, on nous dit que ce n’est plus possible, sans même nous prévenir à l’avance.

Quelle est la situation sur les autres points de votre plateforme, notamment le carburant, COTECNA, statut sécurisant, etc. ?

Sur le carburant qui a été coupé en janvier, le gouvernement s’est engagé à le rétablir et il suffit d’un arrêté pour remettre les choses à l’endroit. Pour le bâtiment, c’est réglé ; pareil pour la rupture du contrat avec COTECNA puisque nous avons bien vu la notification qui lui a été envoyée.
Quant aux réformes que nous considérons comme étant contre les intérêts des travailleurs et qui ne sont pas consensuelles, rien n’a bougé. C’est le cas sur la volonté du gouvernement de transformer la Direction général des impôts (DGI) en Etablissement public d’Etat (EPE). Pour nous, c’est un service qui touche à la souveraineté du Burkina. Dans les discussions, nous entendons parfois évoquer l’exemple togolais qu’est l’Office togolais des recettes (OTR). Ce n’est pas acceptable pour nous. La France, de qui nous avons hérités les textes financiers, c’est écrit que les services financiers ne peuvent pas être confiés aux privés. On parle de confier le recouvrement des dettes de l’Etat à des sociétés privées, mais si l’Etat ne peut pas menacer ceux qui lui doivent, quel privé pourra le faire ?

Qu’est-ce que vous entendez par « Statut sécurisant », puisque les fonctionnaires ont un emploi stable et garanti ?

Le gouvernement nous a demandés d’apporter une précision sur la question et nous avons dit qu’il faut des textes pour encadrer notre situation, ceux qui existent étant insuffisants. Un simple arrêté ministériel ne peut pas suffire à garantir les fonds communs actuels ; nous voulons au minimum un décret, sinon, c’est une loi qu’il faut voter pour sécuriser les fonds communs.

Avez-vous peur qu’on les supprime un jour ?

Nous n’avons peur de rien et cette éventualité n’est pas d’actualité. Si le gouvernement estime que compte tenu de l’état des finances publiques et de la situation économique, il faut objectivement supprimer les fonds communs, qu’il le fasse. Mais si on veut les supprimer parce qu’on estime que ce n’est pas normal, nous disons non parce que ça ne date pas d’aujourd’hui !

La conférence sur le système de rémunération des agents de la fonction publique a proposé que les fonds communs ne dépassent pas 25% du salaire annuel du bénéficiaire. Quelle est votre position dessus ?
Nous avions dit que nous ne participerions pas à cette conférence qui ressemblait plus à une foire qu’à autre chose. S’il y a un problème de soutenabilité par rapport aux salaires, qu’il faut faire des économies pour investir dans les secteurs sociaux et rétablir l’équité, on peut en discuter. Et dans ce cas, pourquoi ne pas diminuer carrément le salaire des fonctionnaires ! Si vraiment, c’est un problème de soutenabilité, il faut dans ce cas agir sur les recettes et parlons donc de la richesse nationale ; on verra bien que le problème aujourd’hui n’est pas lié aux rémunérations, mais à la mal gouvernance. Il y a des gens dans ce pays qui doivent à l’Etat et qui ne paient pas. Pis, ces mêmes personnes, qui sont dans le régime actuel détournent à longueur de journée et ne sont pas inquiétées. Nous savons que des membres du gouvernement actuel doivent de l’argent à l’Etat mais on les laisse tranquilles. On a crié sous le régime de Blaise Compaoré en disant que les dignitaires faisaient des locations de bail parce que c’est eux qui louaient, mais c’est pire qu’avant ! On veut diminuer la masse salariale alors qu’il faut augmenter les recettes ! Sur la recommandation de financer les fonds communs sur les pénalités et les amendes et qu’ils ne dépassent pas 25% de la masse salariale annuelle du bénéficiaire, nous n’avons pas de commentaire à faire !
J’insiste, si le problème du Burkina, c’est vraiment le fond commun, nous accepterons qu’on le supprime. Mais qu’on ne tente pas d’opposer les travailleurs entre eux et à la population parce que c’est dangereux, d’autant que pour nous, le problème n’est pas là ! Le premier ministre et notre ministre de l’Economie et des finances ne peuvent pas nous donner des leçons sur la bonne gouvernance. D’ailleurs, quand nous avons sorti les chiffres sur eux, est-ce que quelqu’un a démenti ? Et puis, les fonds communs sont un acquis qu’on a obtenus de haute lutte et on n’acceptera pas qu’on le remette en cause.
Je rappelle que sous Lucien Vebamba, les fonds communs étaient financés par les pénalités et les amendes, mais à l’épreuve, ce n’était pas efficace parce que les travailleurs mettaient l’accent sur leur propre mérite que sur le budget de l’Etat. Raison pour laquelle, on a adopté la formule actuelle qui est appliquée dans les pays membres de l’UEMOA, c’est-à-dire le financement des fonds communs sur le budget de l’Etat.

Y a-t-il encore un dialogue avec le gouvernement ?
Non, en dehors du médiateur du Faso, le reste, ce sont des contacts informels.

Combien de membres compte votre syndicat ?

En 2017, nous étions environ 2050. Nous sommes dans le collectif syndical CGT-B, mais ne sommes pas dans la centrale CGT-B qui regroupe des syndicats professionnels et d’autres organisations. Le collectif CGT-B est un regroupement de syndicats épousant la ligne du syndicalisme révolutionnaire de la lutte des classes. Nous sommes un syndicat autonome et quand un débat est posé, on se réunit pour l’analyser froidement et nos analysent sont rarement démenties par les faits.

Vous exigez aussi que vos camarades relevés de leur poste soient rétablis dans leur fonction. Le gouvernement ne peut-il pas nommer et dénommer qui il veut un poste ?

Oui, les gens disent que les nominations reposent sur le pouvoir discrétionnaire de l’autorité ; mais c’est de nous aussi qu’elle détient ce pouvoir discrétionnaire ! Et dans les décisions, il faut tenir compte du contexte ! En l’espèce, nos camardes ont été relevés de leur fonction parce qu’ils ont suivi le mot d’ordre de grève et non parce qu’ils sont incompétents. Je rappelle que nous avons toujours dit que les nominations doivent être fondées sur la compétence et le mérite ; raison pour laquelle, nous voulons qu’il y ait des appels à candidatures pour certains postes comme ça se fait dans certains secteurs afin d’éviter qu’ils soient sanctionnés arbitrairement.

Il manque d’instituts de sondage, mais on a le net sentiment que l’opinion n’est pas favorable à votre lutte. Avez-vous manqué de pédagogie dans vos revendications ?

Il faut faire attention à la notion d’opinion ! Des gens qui ne maitrisent pas le sujet peuvent ne pas être d’accord avec le fond commun parce qu’ils estiment que c’est l’argent indu qu’on donne à des gens. Mais ce qui se passe actuellement est le résultat de la campagne d’intoxication menée par le gouvernement et la volonté de diaboliser les travailleurs que le problème a été ainsi posé. Et dans notre pays, les médias c’est qui ? Majoritairement, ils sont dans le pouvoir ! Nous avons des informations qui font état de ce que le gouvernement finance des activistes du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) pour occuper les réseaux sociaux, les émissions interactives sur les radios où on fait passer des appels même quand c’est saturé. Mais, malgré tout, nous savons que des gens nous soutiennent aussi

Si vous n’aviez pas d’engagements envers les banques que vous remboursez grâce aux fonds, seriez-vous aussi radical dans vos revendications ?

C’est une question que certaines personnes peuvent poser, pas nous parce que c’est un avantage que nous avons acquis et on n’est pas d’accord qu’on le remette en cause ; c’est comme une indemnité. Même s’il n’y avait pas d’engagement, les gens ne vont pas accepter qu’on supprime leur acquis ; c’est un engagement syndical. On a des indemnités et personne n’acceptera qu’on les supprime. Pour cela, nous allons poursuivre la grève cette semaine, puis la reconduire la semaine prochaine s’il n’y a pas d’accord.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kacetonet