"Qui sommes-nous ?" "Où sommes-nous ?" "Que voulons-nous ?"
Questions éminemment philosophique auxquelles il n’est pas facile d’apporter une réponse toute faite. Questions politiques aussi puisqu’elles nous interpellent sur ce que nous faisons et voulons en tant que sujets libres.
Tentative d’éclairage de de notre chroniqueur.

Un ami, diplomate de carrière de notre pays a récemment fait la publication suivante sur le réseau social Facebook. “ De passage à l’aéroport de Istanbul, j’ai vu une photo géante d’un homme qui trônait sur un poste de policier. Après m’être soumis au contrôle, je me suis adressé aux policiers :
 Who is this guy ?
 Attatürk, me répondirent en chœur les 5 agents présents.
 The Turkish heroe, précisa l’un d’eux.
 Mustafa Kemal Attatürk ok, thank you guys, leur dis-je avant de les quitter.
En posant la question, je savais qui était sur la photo (l’aéroport de Istanbul porte d’ailleurs son nom). La question m’a permis de constater le lien qu’il y a entre cet homme et les Turcs. La même chose se reproduisit quelques heures plus tard avec le personnel d’un hôtel".

Que vient faire Atatürk dans le centenaire du Burkina Faso ?

Attatürk est le père de la Turquie qu’il fonda en 1924, sur les cendres de l’empire ottoman. Nationaliste assumé, il dénonça les accords issus de la Grande guerre qui n’arrangeaient pas les Turcs (les Ottomans n’existant plus). Visionnaire et lucide, il prit conscience très vite du caractère stratégique de son pays : passage obligé entre l’Europe et l’Asie et de la Mer noire et de la Méditerranée.

À quelques exceptions près, les territoires turc et burkinabè se ressemblent. Ils sont des carrefours et comme tels, ils sont soumis à des pressions. Puisque c’est étant au carrefour qu’on peut voir passer tout le monde et la direction empruntée.
L’actualité sous régionale devrait nous inspirer des réflexions sur certaines thématiques non encore explorées. N’est-il pas surprenant que le présent de la République démocratique du Congo (RDC) éclaire mieux le Congrès de Berlin ?
La situation géographique d’un territoire formule des problématiques. C’est à ceux qui l’occupent de les entendre et de chercher à les comprendre. Et surtout de les assumer... Au risque d’en faire les frais.

Attatürk a, semble-t-il, compris pour la Turquie. Pour le Burkina Faso, je ne sais pas si quelqu’un l’a déjà essayé.
Vivement que le colloque prévu le 1er mars 2019 à l’université Ouaga 1 Joseph Ki Zerbo sur le le Plateau spécial de BF1 TV contribuent à éveiller des problématiques nouvelles.
En rappel le 1er mars 2019, le Burkina Faso aura 100 ans.” Sans le savoir, cet ami cité plus haut ne m’a pas seulement fait épargner du temps sur la rédaction de ma tribune de la semaine. Il m’a fourni un excellent angle d’attaque pour donner une suite logique aux précédentes.

Nous devons en effet commencer par le commencement :
Qui sommes-nous ?
Où sommes-nous ?
Que voulons-nous ?
À partir de là, quelles sont nos forces et faiblesses internes, et quels sont les opportunités et les risques externes ? (Matrice SWOT).

Il est vain de courir dans tous les sens pour colmater inlassablement et indéfiniment les brèches avant d’avoir répondu à ces questions. Or, c’est exactement ce que nous faisons depuis 1960, y compris pendant la parenthèse du Conseil national de la révolution (CNR) qui a eu le mérite de regarder la partie interne de notre matrice SWO, mais a oublié sa partie externe, et n’a pas commencé sa réflexion par les trois (3) premières questions...
Nos politiques publiques se font pour une large part au gré des financements extérieurs et manquent de cohérence d’ensemble, mais également parfois de continuité. Dans la même veine, nous débattons des avantages (pour ceux qui osent en énumérer) et inconvénients du Franc CFA sans nous poser au préalable une question simple : le FCFA est-il une monnaie à part entière ? En remplit-il tous les critères ?
Depuis quelques années, les publications se multiplient sur l’anachronisme que constitue le FCFA, seule monnaie coloniale au monde encore en circulation.
Jusque là, c’était le fait d’universitaires isolés. Mais l’entrée dans ce débat de Carlos Lopes, aujourd’hui membre de l’association Innovations et Réseaux pour le Développement (IRED.ORG) basée à Genève, le sujet a enfin quitté les cercles universitaires.

Ancien secrétaire exécutif de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique, Carlos Lopes est une des voix les plus en vue sur le continent africain. Depuis sa démission fracassante de la Commission en 2016, le Bissau-Guinéen consacre son temps à l’enseignement à l’Université de Cap et au Conseil à quelques dirigeants africains, dont le Rwandais Paul Kagamé. Actuellement, il enseigne à Paris à Sciences-Po. Il est le premier fonctionnaire international de ce niveau à s’aventurer sur ce sujet. Et cela change la donne.
La société civile africaine s’est également emparée du sujet. Le FCFA est d’abord perçu comme ravivant les plaies de l’esclavage et de la colonisation. Le rejet des classes dirigeantes locales est largement transféré sur la France, ennemi plus diffus, plus lointain, et plus confortable à combattre verbalement et dans des manifestations !

Les récentes déclarations incendiaires des autorités populistes italiennes sur l’impact du FCFA sur les flux migratoires, bien qu’à l’évidence à usage domestique, ont finit d’alerter l’opinion publique française et européenne sur la question. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, le peuple français ne sait pratiquement rien du FCFA, comme du reste de “la politique africaine de la France”, mais plus que le reste.
La déclaration maladroite du président ivoirien depuis la cour de l’Elysée a immédiatement enflammé la toile et les média africains le week-end dernier.
Rappelant en détail son parcours complet de parfait apparatchik de la BCEAO et du FMI, et sans autre forme de procès, il a intimé aux Africains, après avoir égrené les avantages du FCFA à ses yeux, l’ordre de cesser je cite, “ce faux débat !”.
Stupeur et indignation en Afrique et dans les diaspora africaines à travers le monde !
Il aurait voulu se faire détester, y compris par les Africains qui restent circonspects sur Laurent Gbagbo malgré que ce dernier ait été bouté hors du palais présidentiel ivoirien à coups de canon par Nicolas Sarkozy pour l’y installer, qu’il ne s’y serait pas pris autrement.
Pour la première fois, le Quai d’Orsay s’est fendu sur son site web de ce qui est sensé être une fiche signalétique factuelle sur le FCFA. https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/afrique/le-franc-cfa/)....
Seulement, cette fiche non plus ne commence pas par répondre à cette question simple : le F CFA est-il une monnaie à part entière ? En remplit-il tous les critères ?
Nous avons épuisé les ressources des raccourcis. Essayons autre chose !
Espérons que ce centenaire sera enfin l’occasion d’un grand débat national sur ces questions fondamentales.
À voir les actualités, y compris celles de ce week-end encore à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou, il y a peu de chances. Mais ne sait-on jamais ?
Outre le colloque organisé par un collectif d’enseignants et de chercheurs prévu le 1er au mars 2019 à l’université Ouaga 1 et le Plateau spécial de BF1 TV le même jour, de nombreuses autres initiatives sont prévues, principalement par des universitaires, en dehors de tout cadre institutionnel. Entre autres :
  l’Institut FREE AFRIK a lancé une série de conférences - débats dont vous trouverez le programme sur leur site (https://free-afrik.org/) et leur page Facebook.
  L’IJEDD (Initiative Jeune pour l’État de Droit et la Démocratie) fait une conférence publique le 23/02/2019 à IAM Ouaga sur le thème “Projet de constitution pour la Vème République : Force et Faiblesses.”
  etc.

Le Fespaco lui aussi fête son cinquantenaire cette année.
L’actuel ministre de la Culture et son équipe s’efforcent par ailleurs de ressusciter de ses cendres l’IPN (Institut des Peuples Noirs) cher à Thomas Sankara que nous avons laissé mourir, cédant notre leadership sur ce sujet au Sénégal qui ne s’est pas fait prier.
Autant d’occasions pour nous mobiliser sur ces questions centrales puisque visiblement, les partis politiques et les médias dont l’activité est calquée sur celle des premiers, malgré les sommes importantes qui leur sont distribuées en subventions publiques, semblent avoir d’autres préoccupations. C’est précisément en tenant compte de leurs agendas que nous pouvons les contraindre à y intégrer nos préoccupations.
C’est le lieu pour moi de renouveler mon appel à vous inscrire sur le fichier électoral et à obtenir vos cartes d’électeurs.
Dans le contexte actuel, à défaut de pouvoir prendre directement le pouvoir, notre carte d’électeur peut au moins nous servir à mettre nos idées au pouvoir.
On peut certes acquérir des droits par les mouvements sociaux. Mais il faut être au pouvoir pour les mettre en œuvre et les défendre, les sauvegarder. Et cela passe désormais chez nous aussi, par les urnes. Déserter les urnes est donc une erreur tactique sinon stratégique.
Ceux qui se lamentent sur la perte des acquis et des espérances de l’insurrection populaire doivent méditer cela. Combien sont-ils à s’être inscrits et à avoir voté en 2015 ?

Maixent SOME
Analyste politique