À la suite de notre regard sur les rapports entre la république et les forces religieuses et coutumières africaines, nous analysons ici le mental des acteurs qui ont la charge de bâtir et d’animer les institutions républicaines sur le continent.

Une vision d’ensemble des entraves à l’épanouissement de la forme républicaine du pouvoir en Afrique, exige, en effet, ce regard critique sur le facteur humain, et donc sur le niveau de conscience de cette élite politico-administrative qui clame, au quotidien, sa foi républicaine, et qui a la lourde charge de faire émerger cette Afrique nouvelle de liberté, d’égalité et de justice. Bien sûr, le facteur subjectif lié au mental des hommes, ne suffit pas pour faire tenir des institutions républicaines fortes dans une société. Il faut aussi que des conditions matérielles et historiques soient réunies. On voit, par exemple, l’idée de république naître et se faire colporter par les philosophes de l’antiquité et ceux du moyen-âge, sans que cela ne se traduise, dans les faits, par des cités véritablement républicaines ! Dans l’histoire, chaque chose à son temps, et il ne suffit pas de quelques esprits prophétiquement illuminés pour que le monde change. Mais, sans aussi ces esprits téméraires et visionnaires, dont beaucoup, dans le passé, périrent pour leurs nobles convictions, rien ne peut bouger en ce monde. C’est bien dans ce sens que nous soutenons, constamment, cette opinion pour laquelle la république est le produit de l’histoire, tout en étant le fruit du rêve des républicains. Cela signifie concrètement qu’il ne peut y avoir de république sans femmes et hommes aux convictions fortes, et aux pratiques quotidiennement républicaines dans tous les maillons de l’État.
Les républiques d’Afrique bénéficient-elles vraiment de cette base subjective ? La question est cruciale et cruelle, parce qu’elle nous bouscule nous-mêmes Africains de ces temps contemporains, qui nous sommes idéologiquement autoproclamés républicains de conviction. Pourtant, il nous faut bien poser, à nos consciences, cette dérangeante question qui, dans sa forme primitive brute, peut s’énoncer ainsi : au-delà de nos mots et de nos proclamations de foi, sommes-nous vraiment républicains dans nos pratiques politiques ?
La question ainsi posée ne vise pas à déstabiliser nos pères et nos aînés qui se sont battus pour l’identité des peuples et la souveraineté politique du continent. Leur problème à eux ne fut pas de bâtir des républiques de type libéral en Afrique. Tous furent, bien sûr, des adeptes fortement imprégnés des grandes valeurs républicaines, comme la liberté, l’égalité, la souveraineté populaire. Mais le contexte socio-historique les poussa tous, de Sékou Touré, Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, Julius Nyerere, à la génération de Thomas Sankara, vers des convictions de gauche patriotique qui occultèrent les questions politico-juridiques relatives à la forme et fonctionnement de l’État de droit.
Pour l’essentiel d’ailleurs, on peut penser que leurs limites se trouvèrent là. Mais, tous ces patriotes, avec des destins divers et plus ou moins heureux, ont accompli leur mission historique. Dès lors, notre question touche davantage la nouvelle génération qui a revendiqué et obtenu, de l’histoire, la république de type libéral et inclusive du multipartisme, de la séparation des pouvoirs et de l’alternance démocratique par les urnes.
Cette nouvelle génération a-t-elle les convictions politiques indispensables à l’édification d’institutions républicaines fortes, stables et crédibles ? Là encore, nous mettons hors de cause, les derniers rejetons politiques de l’époque des engagements de gauche. Ceux-là ont été formés, encadrés, et produits donc, par des cellules idéologiques ouvertes ou clandestines, des associations estudiantines ; ils ont subi l’influence d’ainés qui ont eux-mêmes hérité des vielles organisations communistes, socialistes, anti-impérialistes ; il ont reçu l’onction d’intellectuels engagés pour la république et la démocratie. Si certains, comme l’ivoirien Guillaume Kigbafori Soro, sont encore jeunes, la majorité de cette génération n’est cependant pas loin de la porte de sortie des scènes politiques africaines. Que deviendra alors l’Afrique politique, sans cette génération qui rassemble des hommes, pour ne citer que quelques-uns, comme Alpha Omar Konaré, Alpha Kondé, Roch Marc Christian Kaboré, Macky Sall, Salif Diallo, Arba Diallo, Etienne Traoré ? La relève politique est-elle vraiment assurée ? L’Afrique ne courent-elle pas le grand risque de tomber dans une sorte de marché politique, où les idéaux républicains portés par des partis républicains crédibles et des leaders-militants engagés, seront noyés par les agitations fébriles, populistes et démagogiques d’aventuriers politiques sans convictions, sans projets de société et sans capacités pertinentes à tenir la gouvernance des institutions démocratiques ?
Au bilan transitoire, il faut préciser que notre opinion ici ne consiste pas à dire que les hommes qui s’apprêtent à quitter la scène politique, au plus tard dans les termes de la prochaine décennie, ont bien géré le débat républicain ou qu’ils tiennent bien les institutions républicaines ! Nous disons seulement qu’ils ont reçu les armes idéologiques nécessaires à l’accomplissement de leur mission de leaders républicains. Si cette génération échoue dans cette mission, ce ne serait point pour des raisons subjectives liées à son mental et à ses convictions idéologiques, mais ce serait pour des raisons objectives imposées par les contextes politiques et économiques des pays, dans un environnement mondial qui, en fait, donne peu de chance à l’émergence des micro républiques d’Afrique. En tout état de cause, sur ce point précis d’assurer la relève républicaine au sein des générations montantes, nous pensons que les acteurs qui ont pris les rênes de l’Afrique, sous le beau soleil de la renaissance démocratique, ont largement failli en confinant la jeunesse dans des stratégies de protestations, d’insurrection, de rebellions, ou de conquêtes électoralistes du pouvoir, au lieu de la former, de l’informer, sans l’endoctriner. Les résultats de cet échec nous paraissent déjà visibles, à travers l’allure du nouveau et jeune cadre politique africain qui ne laisse rien voir de républicain dans son engagement au service publique et au sein de son parti. Notre prochaine publication sera d’ailleurs consacrée à une sorte de lecture critique du profil de ces nouveaux acteurs politiques du continent.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de Philosophie
Kaceto.net