Alors que la polémique sur la statue du défunt président Thomas Sankara n’est pas encore totalement retombée, qu’au de-là de la qualité de l’ouvrage, une autre polémique sourde oppose les pro et anti-sankara, Sayouba Traoré propose l’édification d’un Mémorial de la Nation, dans lequel tout Burkinabè pourrait s’y reconnaitre !

Tentons d’être bref. Ce qui ne s’annonce pas aisé, tant le sujet comporte des déviations. Déjà, il semble impératif de s’entendre sur une dénomination. Mémorial de la Nation, Monument de la Patrie, l’imagination de tout est chacun est sollicitée ici. Le tout c’est de penser et de bâtir ensemble un endroit où chaque Burkinabè se sentira appelé à l’introspection. Nous entendons l’introspection comme l’instant privilégié où la femme ou l’homme, bref l’être humain, omet volontairement ses instincts pour parcourir les nécessités du vivre ensemble. C’est-à-dire arpenter notre histoire commune, en commençant par sa propre personne.
Deux événements récents prescrivent cette introspection. Le premier, une affaire ratée de statue. Le second, le centenaire de notre nation, anniversaire qui a donné l’occasion au Président KABORE d’appeler à reprendre en main notre histoire.
Souvent, les faits parlent. Arrêtons-nous un instant sur cette affaire de statue. L’historiographie d’une nation, l’imaginaire collectif d’un peuple, tous ces acteurs invisibles ont besoin de bornes. Et la statuaire constitue une série d’étapes marquantes. Voilà pourquoi l’œil humain scrute sans cesse les monuments. Toutefois, un père ou une mère de famille, un chef de village, un responsable d’une communauté, tous nous avons constamment cette question en tête : Et demain ? Pour dire que l’homme ne peut penser une nation seulement au niveau de sa génération. Complétons la question ! « Et demain, comment nos enfants, comment nos petits enfants pourront-ils vivre ensemble dans la cohésion sociale ? » Y’a-t-il une responsabilité plus sévère que celle-là ?
Faisons des statues pour marquer les temps forts de notre vécu ! Édifions des monuments ! Nos mains et notre esprit doivent dire le ciel et la terre ! Mais, est-ce une raison pour bâtir ce qui divise ? N’ayons pas peur des mots. Un groupe où chacun se bat bec et ongles pour édifier la statuaire qui convient à ses intérêts et à ses impensés, une telle nation peut-elle raisonnablement continuer à faire des grands discours sur son unité nationale ?
On me dira que ce long argumentaire demande explication. Et je conviendrai humblement que c’est juste. Eh bien soit ! L’histoire de la colonie de Haute-Volta, puis de la République de Haute-volta, et enfin du Burkina Faso est jalonnée de morts aussi emblématiques qu’elles sont restées mystérieuses. Chacun de nous peut invoquer son martyr de proximité. La difficulté ici, la tâche primordiale pourrait-on dire, c’est de faire de tout cela un passé commun. Tout esprit bien disposé verra que hiérarchiser les morts divise les cœurs. C’est l’esprit humain qui est comme ça. J’ai la faiblesse de penser que ce qui me touche directement surclasse tout le reste. Faiblesse qui m’interdit de faire le moindre reproche à quiconque aura le même penchant que moi. Alors ? Alors, je dois comprendre mon voisin, mon autre moi-même. C’est le premier pas pour une marche collective vers demain. Des gens sont morts entre 1960 et 1983. Des gens sont morts entre 1983 et 1987. Des gens sont morts entre 1983 et 2014. Des gens sont morts pendant et après l’Insurrection populaire. Devant une veuve ou devant un orphelin, l’idéologie n’est d’aucun secours. On dira tout ce qu’on voudra à une veuve, on fera toutes les analyses que l’on voudra devant un orphelin, son cœur restera meurtri. Et ce qu’un cœur éprouvé tait est même plus important que le maigre soupir qu’il laisse échapper. Je mets au défi une sœur, un frère ou un ami de me prouver le contraire. Si tu veux me démontrer que ton mort est plus important que mon mort, il nous sera difficile de nous entendre. Tu occupes le devant de la scène. C’est toi qui est tous les jours sur le podium. Ta voix porte plus loin et plus haut que la mienne. Mais si tu sais entendre, tu verras que mon silence contraint est plus intense et plus corrosif que tes mots. Donc, que je ne saurais te louper dès que j’en aurai la possibilité. En ce sens, toi et moi savons que les discours enflammés invoquant l’unité nationale et la paix des cœurs ne disent pas la vérité.
Pourquoi invoquer l’histoire ? Eh bien le coup d’œil par-dessus l’épaule, c’est le réflexe qui me permet de mesurer le chemin parcouru. L’histoire, c’est ce qui me donne des réponses cruciales. Parce que je dois faire face à des questions tout aussi cruciales. C’est quoi le Burkina Faso ? C’est quoi être Burkinabè aujourd’hui ? Comment faire pour préserver ce que nos anciens ont bâti à grand peine ? Que dire à nos descendants pour qu’ils envisagent un avenir serein ? Parce que je ne suis qu’un homme, j’ai besoin de faire le point aux moments importants de mon voyage sur terre. De la même façon, je ne peux ignorer qu’un groupe d’hommes est susceptible de commettre des erreurs fatales.
Certes, regarder en arrière ne me met pas vraiment à l’abri des bourdes. Mais je peux ajouter des assurances aux assurances, multiplier les garanties. Réfléchir ensemble, discuter, échanger des idées, voilà qui nous aidera certainement à baliser le chemin. Les nécessités du moment interdisent de hiérarchiser les morts. Pour ma part, si je devais trouver une figure qui puisse rassembler tous les Burkinabè, je pencherais pour le Sergent-Chef Djilou Koussoubé. Problème de génération sans doute. On me demandera qui est cet homme ? Et là, il est difficile de donner tort au Président KABORE. La majorité des Burkinabè ne savent pas qui est Djilou Koussoubé, et ce n’est guère leur faute : personne n’a trouvé judicieux de leur en parler. A ma connaissance, cet homme est le premier Voltaïque tombé sur un champ de bataille pour la défense de notre pays. S’il y a d’autres hommes qui l’ont précédé, prière me corriger. Se porter au combat en sachant qu’on y engage son sort et sans aucune autre récompense que la défense de sa patrie, celui qui pourra me trouver un sacrifice plus grandiose, un sacrifice plus désintéressé, là également je suis preneur.
Donc, à mon sens, une statue du Sergent-Chef Djilou Koussoubé pour accueillir le visiteur aux portes d’un gigantesque Mémorial de la Nation, cela ne saurait déranger qui que ce soit. Les évolutions technologiques, que les jeunes maîtrisent mieux que nous, autorisent à imaginer un monument rassemblant des fragments représentatifs toutes les richesses culturelles, sociales et historiques de notre nation.
Explications : le big data dispense des bibliothèques aux rayonnages interminables, et des discothèques aux casiers sans fin. Il n’est pas besoin non plus de banques d’images volumineuses. Nous avons des architectes à même de nous imaginer et concevoir un tel monument national. Les talents ne manquent pas.
Il nous faut conclure. Et en ce lundi matin, je ne vois pas meilleure conclusion que ce proverbe peul cité par un vieux sage de l’Adamaoua aux tréfonds du Cameroun : Quand le cœur accepte, le corps suit !

Sayouba TRAORE
Journaliste, Ecrivain
(Chevalier de la Légion d’Honneur)