Après le renoncement au cinquième mandat, les Algériens maintiennent le cap des mobilisations pour un changement de système.

Près d’une demi-heure après l’annonce du président Bouteflika de renoncer à briguer un cinquième mandat, les premiers klaxons résonnent déjà dans les rues d’Alger centre. Parfois munis de drapeaux, les Algérois dévalent en petits groupes les grands boulevards, les cortèges de voitures défilent, vitres ouvertes et autoradio à fond. Assis sur la portière d’une voiture, un jeune secoue un drapeau, des scènes de liesse qui se renouvellent depuis plusieurs semaines, à travers tout le pays. Il ne fait pas encore nuit quand la foule se forme sur la place Audin, cœur de la contestation contre le régime dans la capitale.

Si la joie explose un peu partout spontanément, la décision de la présidence est loin de faire l’unanimité. Pour Louise, trentenaire mobilisée depuis le début des manifestations : « C’est la même annonce qui a été faite il y a une semaine. Il se retire et dit qu’il prolonge son mandat et supervisera le changement de système. Tout ça n’est qu’une façade. » Elle confie sa crainte de voir la nouvelle diviser le mouvement de contestation qui s’organise.

Des dizaines de jeunes se concentrent sur le rond-point autour duquel se croisent les plus importantes artères du centre-ville, certains hissés sur des lampadaires. Ils entonnent alors le chant antisystème des supporters du club de foot de l’USMA d’Alger, La Casa del Mouradia, repris en chœur par la foule. El Mouradia, nom du palais présidentiel, symbolise aux yeux des Algériens l’opacité et de la corruption.

« Une nouvelle étape »

Légèrement en retrait des démonstrations de fougue, Zohor sort manifester pour la première fois. « Ce n’est qu’un début ! », lance-t-elle en même temps qu’elle lève le pouce en l’air et dévoile un large sourire sur son visage entouré d’un foulard rouge vif. « C’est une nouvelle étape. Maintenant il nous faut du changement », ajoute-elle. Son mari Youcef est dubitatif : « Ce n’est pas ce que les gens attendent. Il nous dit qu’il reste pour mieux partir. C’est un changement sans changement au final. Nous avons encore des raisons d’être dans la rue. » Le jeune couple attend comme beaucoup de voir le déroulement de la prochaine manifestation nationale prévue vendredi 15 mars.

Sur les réseaux sociaux également, des appels à maintenir la mobilisation circulent massivement, rejetant de fait la proposition de réformes politiques que le président Abdelaziz Bouteflika compte mener lui-même, à travers l’instauration d’une « Conférence nationale inclusive et indépendante ».

« On peut dire que c’est la première réaction du président par rapport aux revendications du peuple », indique Hacen Kadi, membre de l’association Rassemblement Action Jeunesse (RAJ) qui coanimait en fin d’après-midi un débat public devant le Théâtre national. Réunissant plusieurs centaines de personnes autour d’une scène d’expression libre, les participants envisagent déjà l’après Bouteflika.

Les débats intenses menés sur les trottoirs de l’avenue Didouche-Mourad, encore très animée à la nuit tombée, confirment l’intransigeance des Algériens dans leurs revendications, à savoir le départ de l’ensemble du régime et l’instauration d’une véritable démocratie. « Si aujourd’hui le système s’est retrouvé seul face à la rue, qui le défie d’ailleurs, c’est parce qu’il a tout fait pour casser les ressorts de la société », déclarait plus tôt dans la journée Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), dans les colonnes du quotidien El Watan.

Une première victoire

Nommé Premier ministre, Noureddine Bedoui, alors ministre de l’Intérieur, vient remplacer Ahmed Ouyahia, très critiqué lors des rassemblements pour ses déclarations qui font référence au basculement dans la violence du soulèvement populaire syrien.

Style dandy et cheveux retenus par une queue-de-cheval, Anis, jeune entrepreneur web annonce la couleur : « C’était un message fort qui a découlé des manifestations, une réaction en chaîne qui n’attendait qu’un catalyseur. Aujourd’hui c’est une victoire pour nous mais ce n’est pas encore la fin, il faudra garder cette même fraternité pour les années et actions à venir. Quoi qu’il en soit, le message est clair, les Algériens ne se laisseront plus faire. »

Le recul entamé par le pouvoir, encore en deçà des revendications populaires, est révélateur pour beaucoup d’un changement très attendu. Autre signe d’optimisme notable, selon l’association RAJ, aucune embarcation clandestine de Harragas, les « brûleurs de frontières », n’a été recensée au départ des côtes algériennes depuis le début des mobilisations le 22 février dernier.

Rafika Bendermel à Alger
Libération.fr