La diffusion des conversations téléphoniques qu’auraient attribuées aux Généraux Diendéré et Bassolé lors du putsch de septembre 2015 suscitent des commentaires passionnés sur les radios et les réseaux sociaux.
Au fil des jours, l’authenticité de leurs contenues ne fait plus de doute pour beaucoup de Burkinabè, ce que contestent les partisans des mis en cause. Mais au-delà de cette polémique, quelle leçon peut-on tirer de l’usage des moyens techniques dans l’espace public ? Les dirigeants ont-ils suffisamment pris la mesure de l’importance de s’approprier les nouvelles technologies de la communication dans la gestion de l’Etat ?
Eléments de réponse avec le chroniqueur de Kaceto.net

Tout le monde se souvient de l’affaire des fameuses tablettes Huawai “offertes” à nos honorables députés en 2016. A l’époque, avec l’expert en cybersécurité Younoussa Sanfo en vedette en ce moment au procès du putsch du CND, nous avions attiré l’attention sur le fait qu’au delà des suspicions légitimes de corruption qui planaient sur ce don, le plus inquiétant était l’inconscience de notre représentation nationale en matière d’espionnage et de cybercriminalité.
Par la suite, tous les sites institutionnels du Faso ont été mis hors service par un Dos attak denial of service, c’est à dire, une simple attaque par déni de service. Une telle opération a pour but de rendre indisponible un service, d’empêcher les utilisateurs légitimes d’un service de l’utiliser. À l’heure actuelle, la grande majorité de ces attaques se font à partir de plusieurs sources ; on parle alors d’attaque par déni de service distribuée (DDoS attack : Distributed Denial of Service attack).
L’attaquant n’a pas forcément besoin de matériel sophistiqué. Ainsi, certaines attaques DoS peuvent être exécutées avec des ressources limitées contre un réseau de taille plus importante et plus moderne. On appelle parfois ce type d’attaque « attaque asymétrique » en raison de la différence de ressources entre les protagonistes.
Avec la forte augmentation du nombre d’échanges commerciaux sur Internet, le nombre de chantages au déni de service a très fortement progressé.

Puis il y a eu l’affaire du siège de l’Union africaine offert par la Chine, système d’écoutes et d’espionnage inclus, ensuite l’attaque des centrifugeuses nucléaires iraniennes par les services israéliens. Tout de monde sait également les accusations de manipulation de vote et des opinions publiques occidentales par les usines à Trolls de Poutine...

Mais malgré cela, nos états, nos dirigeants, nos administrations, nos entreprises n’ont visiblement pas encore pris conscience de ce risque. Récemment de passage à Ouaga, j’ai encore pu mesurer à quel point il est facile de s’introduire numériquement à peu près partout. Des smartphones et ordinateurs personnels, au systèmes informatiques des entreprises et des administrations ! C’est Open Bar !

C’est la première leçon à tirer des bandes audios d’interception qui font le buzz en ce moment au procès du putsch du Conseil national pour la démocratie (CND).
Au pays des aveugles, le borgne est roi. Le Général Bassolé n’a pu créer le doute sur l’authenticité de ces bandes que parce que nous sommes dans un pays où la culture technologique très faible malgré l’usage généralisé des smartphones et des réseaux sociaux. L’ignorance sur le fonctionnement réel de ces outils est abyssale, même parfois au plus haut sommet de l’état.
Car comment expliquer que ces deux Généraux qui avaient la haute main sur nos systèmes de sécurité et de renseignement se soient fait prendre comme des bleus ? Leurs hommes contrôlaient certes les systèmes d’écoutes qui existaient au Burkina depuis l’époque Compaoré. Mais comment ont-ils pu imaginer que malgré la menace permanente du RSP, Zida n’allait pas se doter d’un système d’interception opéré par ses hommes de confiance à lui dans le plus grand secret ? Il était premier ministre, et disposait à ce titre des attributs de l’état pour acquérir ce type de matériel !

Depuis le début, il est évident à mes yeux que l’on peut discuter de certains aspects des écoutes :
1) la légalité de ses écoutes téléphoniques. Sur quelles bases légales ont-elles été effectuées ? Mais cette question est-elle pertinente pendant un putsch qui a suspendu toutes les institutions du pays ?

2) l’intégrité des supports (absence d’altération, de manipulation, de coupes, d’ajouts, de montage, etc.).
La double expertise allemande nous a fixés sur ce deuxième point.

Mais prétendre comme Guillaume Soro, Djibril Bossolé et leurs supporters le font que ces conversations téléphoniques n’ont jamais existé et que ce sont de pures fabrications avec même le concours de comédiens, il faut avoir énormément d’imagination pour cela !
Ce niveau d’ignorance au sommet est d’autant plus grave que nos pays sont en proie aux attaques terroristes elles-mêmes impossibles de nos jours sans l’utilisations des télécommunications. Dans quelle mesure les outils de surveillances électroniques sont-ils efficacement mis en oeuvre pour les traquer ?
De même, nos Forces de défense et de sécurité (FDS) comme toutes les FDS du monde, communiquent énormément, y compris pour coordonner leurs opérations sur le terrain. Quel est le niveau de sécurisation de leurs communications ?
Enfin, les terroristes, mais également des criminels de toute sortes et des extrémistes violents utilisent de nos jours les réseaux sociaux, et notamment WhatsApp pour se livrer à leurs activités criminelles. Comment cela est-il traité ?

L’année dernière, la justice ivoirienne a condamné, un homme de 31 ans à 12 mois de prison ferme avec une amende de 5 millions FCFA, pour dérive sur les réseaux sociaux, une première dans le pays. Yao Kouadio Philippe, c’est son nom, était poursuivi pour avoir appelé au meurtre et à la violence contre les familles de gendarmes sur le réseau social facebook, alors que de violentes émeutes avaient cours dans la ville de M’bahiakro dans le Centre du pays suite à l’assassinat d’une adolescente de 13 ans. « Il faut commencer à égorger les enfants des gendarmes et nous sommes en train de nous organiser ici à M’Bahiakro. Restez à l’écoute », avait-il écrit sur Facebook. Des violences survenues quelques jours plus tôt avaient fait plusieurs dégâts dont le saccage et l’incendie de la brigade de gendarmerie de la ville.
« Ces faits sont extrêmement graves. Il était question pour nous de démontrer à tous ceux qui font des dérives sur les réseaux sociaux que, d’abord, nous avons l’arsenal juridique qui permet de les rechercher, de les traquer et de les appréhender.
« Nous avons les moyens techniques et technologiques pour aboutir à eux, et enfin, que plus jamais nous n’allons tolérer cela parce que c’est inacceptable qu’on puisse livrer à la vindicte populaire des enfants. C’est ça l’objectif de ce procès », a commenté le procureur après le procès, précisant que Yao Kouadio Philippe « a été identifié dans la même soirée après son post sur facebook, et appréhendé le
lendemain ».

Les solutions techniques existent donc. Le savoir-faire également. Manque la compréhension des enjeux par les décideurs.
La deuxième leçon de ces bandes audios, c’est précisément le niveau d’inculture et d’incurie de certains de nos dirigeants.
En effet, ce n’est pas pour nos deux Généraux que ces bandes audios sont le plus terribles. C’est pour les régimes ivoirien, sénégalais et togolais ; et partant, beaucoup de dirigeants de l’ex l’AOF qu’elles sont dévastatrices !

Ce que seuls les initiés savaient mais se gardaient en général d’aborder en dehors des cercles restreints est désormais sur la place publique. Les populations peuvent à présent jauger le niveau réel de leurs dirigeants et se rendre compte que ce sont des tigres en papier qui ne valent rien sans les attributs du pouvoir et les moyens financiers colossaux dont ils disposent.
Les effets de cette situation nouvelle, nous les verrons dans les cinq ans à venir.
Il ne faut pas oublier que les révélations de WikiLeaks ont précipité la chute de Ben Ali et les "Printemps Arabes". Une chose est de savoir les dirigeants incapables et corrompus, une autre est de mesurer précisément à quel point et comment. Je suis absolument persuadé que nous allons enfin tourner la page de ces régimes hérités de la colonisation pour enfin entrer dans le 21è siècle comme certains de nos voisins anglophones !
Au-delà des aspects anecdotiques sur les sacrifices rituels de combats prescrits par Guillaume Soro, que penser de l’attitudes de nos deux Généraux ?

Pour Diendéré, je ne vois rien dans ces écoutes qui l’incrimine plus que ses actes et ses propres déclarations en mondovision pendant le putsch.
Bien au contraire, ces audios montrent qu’avec ses proches en tout cas, il a des relations empreintes de simplicité et de sincérité. Ce qui le rend très humain contrairement à l’idée que l’on se faisait de lui. Il écoute attentivement ses interlocuteurs sans les interrompre, pose des questions pour avoir des précisions, et leur dresse un tableau factuel de la situation tactique des putschistes.
Quant à savoir ce qu’il pense réellement des élucubrations de Guillaume Soro, bien malin qui pourra le dire !
Rien de surprenant donc à ce que pendant l’instruction comme pendant le procès, lui et sa défense n’aient pas mis toute leur énergie à faire écarter ces bandes audios.
Il vient d’ailleurs de réclamer la diffusion d’autres bandes sonores qui seraient à décharge.
Plus on en apprend avec ces bandes audios, plus il devient évident que Diendéré ayant très rapidement compris qu’il avait perdu son coup de poker, cherchait à limiter la casse, à arrêter les frais. Mais il y avait les jusqu’au boutistes avec à leur tête, sa femme, Fatou, puis Bassolé et Soro.
Seulement voilà. Peu de gens veulent voir cela car dans leur esprit, Diendéré n’est pas uniquement jugé dans ce procès pour ses actes pendant ce putsch, mais pour l’ensemble des crimes de sang imputés au RSP et à son ancêtre le CNEC de Pô.

Idem pour Djibril Bassolé qui lui aussi ne fait qu’écouter Soro, si bien qu’il est difficile de savoir ce qu’il pense de ses "conseils en stratégie".
Par contre, avec Rebecca la togolaise, Diendéré est beaucoup plus loquace et on peut comprendre par contre son acharnement à faire exclure ces bandes du dossier.
D’abord, ce sont les principales pièces à conviction contre lui. Ensuite et surtout, il ne faut pas oublier que Bassolé était le Grand Maître de la loge maçonnique des politiciens de la région. Or, ce que montrent ces bandes, c’est que beaucoup des puissants de la région n’ont pas le niveau que les populations leur prêtent. Ce qui est extrêmement dangereux pour tous ces pouvoirs.
Voilà pourquoi après avoir tout fait pour nier leur authenticité, Bassolé attaque à présent leur l’égalité devant la cour de justice de ses amis de la CEDEAO pour violation de sa vie privée.
Comment peut-on avoir violé sa vie privée si ces bandes sont de grossiers montages fabriqués pour nuire à ses ambitions présidentielles ? Soit elles sont authentiques et il peut poser la question de leur légalité, soit elles sont fausses et sa plainte n’a pas lieu d’être.
Mais les deux ne peuvent pas être vraies en même temps. Du reste, il a été débouté par la Haute Cour de Justice de la CEDEAO.

Par ailleurs, ces bandes prouvent que Bassolé a soutenu les putschistes à bout de bras une fois qu’ils étaient dans l’impasse. Mais rien dans ces bandes ne prouve qu’il a été une cheville ouvrière de la préparation initiale et de l’exécution de ce putsch.

Or en matière pénale, la commission des faits et la complicité, fut-elle importante au plan logistique et psychologique, sont deux choses différentes. Le principe au pénal, c’est l’individualisation des peines. D’où la nécessité d’établir avec soin les rôles et responsabilités de chacun.

Maixent Somé
Analyste politique
Kaceto.net