Devenu festival itinérant, le gala « Sans Visa » revient avec une sélection de talents inconnus en France mais stars dans les pays francophones du continent.
Jérémy Ferrari et Mamane, coproducteurs de « Sans Visa ».*

« Si on a appelé le festival CFA, c’est vraiment par hasard », assure avec mauvaise foi le maître de cérémonie Mamane, sous les applaudissements hilares de la salle. Pour sa troisième édition, le gala « Sans Visa », qui réunit chaque année une sélection d’humoristes venus d’Afrique - Côte-d’Ivoire, Gabon, république démocratique du Congo (RDC) - a pris du galon.

Pour la première fois, la soirée inaugure au Casino de Paris un festival au cours duquel huit comédiens se produiront collectivement et en solo, avant de partir à la conquête de cinq villes de France : le Comédie Festival Africain, dont l’acronyme évoque avec impertinence le sigle de la controversée « Communauté financière africaine », héritée de la colonisation.

« Diaspora ».
C’est au comédien Mamane, satiriste régulier sur RFI et producteur du programme le Parlement du rire sur Canal+ Afrique, qu’on doit ce sacre. Epaulé par son coproducteur Jérémy Ferrari, issu comme lui de l’écurie Ruquier, l’humoriste nigérien travaille à l’émergence en France des talents de la scène africaine. Digbeu Cravate, Omar Defunzu, ou encore Michel Gohou, le « Louis de Funès ivoirien », objet de culte transnational. Des stars formées à l’humour dans leur pays devant les VHS, les DVD et YouTube plutôt que dans les théâtres, à qui Mamane est ravi d’offrir le prestige de grandes salles de spectacle. Rutilants dans leurs costumes, les comédiens ont mis le dress code au diapason de leur verve. Sans lisser leur accent ou leur africanité, ils livrent des performances au débit fou, sans trêve. La gouaille de Magnific et d’Ambassadeur Agalawal, pétrie d’inépuisables calembours et dominée par la jouissance du bon mot, fait miroiter toutes les facettes d’une faconde étourdissante. Idiomatismes et accents se mêlent dans l’alambic d’une parlure élastique, chaque saillie venant bruyamment rencontrer le vécu d’un public survolté.

« Le premier objectif, explique Jérémy Ferrari, est d’apporter à la diaspora quelque chose qui manque en France : on y trouve de la nourriture africaine, de la musique, mais aucun humoriste du cru. Le deuxième est de sensibiliser le reste du public, toutes origines confondues, à ces artistes. » Le duo le répète à raison : l’humour de la troupe du CFA est tout à fait « exportable ».

Sauf, peut-être, lorsque le ressort comique repose sur l’aptitude à reconnaître un accent local, ou qu’une joviale allusion aux violences conjugales rappelle que la bâtonnade, dans la tradition du vaudeville à l’africaine, est un élément cocasse du registre.

Mœurs.
Pour le reste : relations hommes-femmes, gilets jaunes, polémique sur la nationalité de l’équipe de France, incapacité congénitale des Français à prononcer correctement le nom de Mbappé… Le tout serti d’un vannage en règle des mœurs des différents pays d’Afrique - rappelant sans cesse, s’il le fallait, que la culture africaine n’est pas réductible à un continent homogène. Ici ou là, la politique se fraie un chemin et n’emprunte pas le plus bienséant, notamment quand il s’agit de l’histoire coloniale (« Les Congolais ont quand même réalisé l’exploit de se faire coloniser par les Belges ! »).

Toujours plus nombreux, le public a su donner à « Sans Visa » ses honneurs. Mamane et Jérémy Ferrari assurent n’avoir rencontré aucun obstacle dans la réalisation du projet, hormis ceux que leur opposent certains gouvernements : le duo féminin les Nyota, programmé cette année, s’est ainsi vu refuser l’obtention d’un visa par la RDC.

Sandra Onana
Libération.fr

* Festival CFA du 16 au 25 avril à Paris (Casino de Paris, Comédie de Paris, Cigale). Tournée « Sans Visa 3 » du 17 au 27 avril en France (Marseille, Nantes, Lille, Cenon, Lyon) et en Belgique (Auderghem).