La folie meurtrière au Sri Lanka ne doit pas nous faire perdre de vue la situation sécuritaire en Afrique et spécifiquement en Afrique de l’Ouest. Les récents attentats au Burkina Faso et au Mali les 25 et 26 avril nous rappellent à l’ordre.

Un melting pot de mouvements terrorismes

L’Afrique de l’Ouest est le terrain de prédilection d’Al-Qaida au Maghreb islamique. Doté de moyens financiers et d’une organisation sophistiquée, ce groupe, qui menace également les voisins du Maghreb, a désormais trouvé une nouvelle base au Burkina Faso.

Dans cette même zone, ces groupes ont uni leurs forces avec al-Murabitoun, Ansar al-Dine et le Front de libération de Macina pour former le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM).

Cette organisation cible la région des trois frontières avec le Niger et le Burkina Faso.

Boko Haram n’est pas en reste et apparaît comme la présence la plus menaçante émergée dans le nord du Nigéria.

Les Shebab ont contrôlé pendant des années la capitale et des villes de la Somalie. Son influence mortifère se répand dans toute la région.

Bien entendu le Nigéria, le Cameroun, le Tchad sont les plus exposés à ces risques, les autres voisins n’étant pas épargnés.

Ainsi, plusieurs groupes djihadistes, sorte de multinationale disséminée en Afrique du Nord, ont rejoint les rangs de Daech, localisés en Libye, en Algérie, en Egypte, en Tunisie et ont développé leurs réseaux.

Sans dresser un inventaire des mesures régionales et internationales prises pour tenter d’endiguer le terrorisme, ce billet voudrait faire un point sur les enjeux sécuritaires.

De retour de mission avec le groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso, des constats s’imposent.

Le G5 Sahel est une réponse innovante mais insuffisante

Le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad, ont initié le G5 Sahel, créé en décembre 2014 à Nouakchott sous l’impulsion du Président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz.

Cette coalition a pour objectif de coordonner les politiques de développement et de sécurité des pays membres.

Ces Etats ont identifié de manière précise les besoins et des projets essentiels pour la région, comme le désensablement du fleuve Niger, le bitumage de routes régionales, la création d’interconnections électriques entre le Mali et la Mauritanie, le Burkina et le Niger.

Un Comité d’Etat-major Opérationnel Conjoint (CEMOC) entre les pays du champ regroupant Algérie, Mali, Mauritanie et Niger et un centre de renseignement contre le terrorisme dans le Sahel (unité de fusion et de liaison), ont vu le jour en 2010.

Ces structures sont chargées de collecter et d’échanger des informations sur les groupes terroristes qui présentent un risque pour leur espace, 5 ans après la mise en place de ces structures, l’heure est au bilan.

Le G5 Sahel, sur l’efficacité duquel beaucoup d’experts avait émis des doutes, est loin de tenir ses promesses, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Des mots contre des maux, disent certains observateurs

L’incapacité du G5 Sahel à endiguer la vague de terrorisme, notamment au Burkina Faso, est emblématique !

La question du financement est cruciale.

La Conférence des partenaires et bailleurs de fonds du G5 Sahel s’est tenue le 6 décembre 2018 à Nouakchott. Son Programme d’investissements prioritaires (PIP) atteint un montant de 2.4 milliards d’euros sur un besoin de financement initial estimé à 1.7 milliards d’euros. Or les promesses de financement n’ont pas été tenues. Sur ce montant annoncé, la part des membres de l’Alliance Sahel (AS) se chiffre globalement à 1.3 milliard d’euros, dont 266 millions d’euros sont destinés au financement du Programme de développement d’urgence (PDU), axé sur trois secteurs prioritaires : l’accès à l’eau, le renforcement de la résilience et l’appui à la cohésion sociale.

L’ONU n’a envoyé que la moitié de son engagement initial de 470 millions de dollars, et le gouvernement Trump continue de traîner les pieds dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, ne contribuant que pour 111 millions de dollars.

Comme disent certains experts locaux, comment concevoir qu’en moins d’une semaine plus d’un milliard d’euros ait été collecté, alors que quelques centaines de millions seraient suffisants pour sécuriser des programmes envisagés par le G5 Sahel ? Mais c’est pour sauver Notre-Dame de Paris.

Le Conseil de sécurité vient d’apporter son soutien au G5 Sahel, c’est bien mais c’est peu !

Tous ces acteurs appellent plus de cohérence et de coordination, beaucoup de chercheurs ont publié sur ces questions, je vous y renvoie.

Ils appellent aussi à ce que les promesses soient tenues, ce qui est loin d’être le cas.

Mais les défis ne se régleront pas uniquement par la voie militaire, surtout au vu des très nombreuses failles structurelles.

Ce sont ces failles sur lesquelles j’aimerais revenir.

Chacun le sait, la paix se gagnera grâce à l’éducation et au développement. C’est sur ces éléments qu’il faut construire une politique commune de lutte contre le terrorisme. L’illettrisme, la pauvreté, les natalités exponentielles sont autant de handicaps à la lutte contre le terrorisme que d’atouts pour son ancrage.

Il faut souligner quelques carences endogènes. Sécuriser les frontières et les états civils. La notion d’intangibilité des frontières s’applique difficilement dans la région pour ces populations. La faible présence de l’Etat dans la bande sahélo-saharienne due à l’immensité de la zone de contrôle constitue un sérieux handicap dans la lutte contre le terrorisme. Il faut y remédier.

Il faut aussi, c’est indispensable, rétablir, ou établir les bases de l’Etat, à commencer par l’état civil, pour des questions liées à la protection sociale, mais aussi à la gestion de l’éducation et de la santé.

La question de l’état civil étant évidemment cruciale en terme de politique sécuritaire !

Au Ghana, au Burkina Faso, au Tchad, et plus récemment en Centrafrique, la question de l’état civil devient prégnante.

Au Ghana, c’est un officier qui passe d’un village à l’autre pour enregistrer les naissances avec une régularité variable.

Au Burkina Faso, le Parlement a conclu avec le groupe d’amitié une feuille de route et nous nous sommes engagés à coopérer pour sécuriser l’état civil.

Au Tchad, 14,9 millions d’habitants avec 450.000 naissances par an. Un rapport de l’UNICEF évaluait à 1 enfant sur 10 le nombre d’enfants enregistrés... ils doivent être enregistrés à 12 ans pour des questions liées à leur entrée en 6ème, on imagine facilement la fiabilité du système.

Le Niger, 21,4 millions d habitants, s’est doté lundi 29 avril d’une nouvelle loi portant régime de l’état civil et d’un document de la politique nationale de l’état civil, apprend-on dans un communiqué du conseil des ministres. Le gouvernement explique que le nouveau texte tient compte de l’évolution du contexte national et international liée aux enjeux de l’identification des personnes, de la sécurité, de la planification du développement, de l’évolution des technologies de l’information et de la communication, de l’établissement des listes électorales biométriques, de la maîtrise des flux démographiques et migratoires.

Cette révision vise à aligner le système de l’état civil nigérien sur les normes internationales à travers : l’informatisation du système de l’état civil, l’institution d’un registre national de la population, l’institution d’un numéro d’identifiant unique des personnes, l’harmonisation des délais de déclaration des faits de l’état civil, l’enregistrement des divorces/ répudiations comme 4ème fait de l’état civil.

La situation en Centrafrique a également attiré l’attention tant les services sont inexistants, corrompus ou ont disparu. Peu de mairies sont en mesure de fournir des documents légaux.

Il est facile d’imaginer les conséquences de ces manquements, non seulement en termes de gestion d’une population nombreuse et jeune, issue de familles souvent polygames dont le taux d’illettrisme peut dépasser les 70%, mais aussi en termes de sécurité.

Cette absence, ou ces carences, dans les états civils sont du pain béni pour les réseaux terroristes qui passent ainsi à travers les mailles de nos radars et de nos fichiers !

Sur une telle question, et puisque nous sommes à la veille d’élections européennes, la sécurité et la lutte contre le terrorisme étant légitiment au cœur de nos préoccupations, il serait sans doute opportun d’utiliser le Fonds européen pour la sécurité et les politiques de coopération pour sécuriser les états civils de nos partenaires d’Afrique de l’Ouest.

Enfin, le dernier sujet sur lequel la communauté internationale doit se pencher est l’application du #no money for terror.

En effet la faiblesse du système et la faiblesse des contrôles permettent tous les trafics, y compris par les systèmes tels que Orange money.

Là aussi, il faut passer des intentions aux actes.

On a l’habitude de dire que l’Afrique est notre avenir, si nous n’y prenons garde et si nous ne faisons pas de la coopération une priorité, cet avenir s’annonce bien sombre.

Nathalie Goulet Sénatrice de l’Orne (UDI), Présidente de la commission d’enquête sénatoriale sur la lutte contre les réseaux djihadistes

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