Après le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, puis du président Emmanuel Macron, c’était au tour de la Chancelière allemande, Angela Merkel de faire sa tournée des pays du G5 Sahel. Tous affirment vouloir aider les pays membres du G Sahel à lutter contre le terrorisme
Le chroniqueur de Kaceto.net veut bien y croire, mais appelle les Africains à la vigilance et à ne pas se tromper de combat

Au 19è siècle, le chancelier Otto Von Bismarck n’a pas entraîné son pays dans la concurrence coloniale, préférant laisser la France et l’Angleterre aller se battre en Afrique plutôt que sur le continent européen.
L’Allemagne depuis 1945 est l’allié le plus docile des USA au sein de l’OTAN. Elle a renoncé à toute puissance militaire et empêche l’émergence de toute politique de défense européenne autonome. Elle a choisi d’être un géant économique mais un nain politique.

Or que vend l’Allemagne ?

Principalement des machines-outils, des grosses berlines de luxe, et des produits de sa puissante industrie chimique et médicale.
Le Sahel n’est ni industrialisé, ni même en voie d’industrialisation. Donc la conquête de parts de marchés est certes présente dans son esprit, mais je ne pense pas que ce soit sa première préoccupation dans cette mini tournée.
Et justement, de quoi a t-elle parlé à Ouaga ? De la nécessité pour l’UE de soutenir encore plus le G5 Sahel dans sa lutte contre le terrorisme. Lutte à laquelle l’Allemagne n’a jamais participé en tant que puissance militaire qu’elle n’est pas.
Il faut donc se rendre à l’évidence : c’est en leader de l’UE qu’elle est venue au Sahel, pour y porter la politique africaine.

Quelle est donc la politique africaine de l’UE, pour (contre) l’Afrique ? La réponse tient en un seul mot : CONTAINMENT.
Cette politique d’endiguement de l’autre rive de la Méditerranée est clairement exprimée dans les textes des politiques migratoires et sécuritaires de l’UE.
Elle est inscrite dans les accords multilatéraux UE/Afrique et dans les accords bilatéraux entre pays européens et pays africains et maghrébins.
Elle est désormais érigée en CONDITIONALITÉ de l’Aide économique de l’UE.
Que disent les dirigeants français à leur opinion publique pour justifier leurs aventures militaires en Afrique ? Que "notre sécurité se joue au Sahel" !

Revenons au concept du Containment. Une notion apparue juste après la fin de la Seconde guerre mondiale notamment aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, et ce jusqu’à la fin de la guerre froide avec l’URSS. Pour signifier la nécessité de contenir l’avancée de la puissance des pays dit "communistes", Chine et Union Soviétique, au plan militaire et culturel.

L’endiguement visait à stopper l’extension de la zone d’influence soviétique au-delà de ses limites atteintes de 1947 et à soutenir tous les États non communistes
(dits « peuples libres »).
L’endiguement est une part importante de la “Doctrine Truman” (mars 1947), qui vise à intervenir activement dans le soutien à des régimes politiques étrangers, y compris les pires dictatures, en vue de combattre le communisme.
Après la chute de l’Empire soviétique, cette stratégie a été poursuivie par l’extension de l’UE, mais surtout de l’Otan à l’Est. Ce qui a abouti aux crises géorgienne puis ukrainienne avec la Russie de Poutine.

Depuis les printemps arabes, cette politique de Containment est recyclée dans le cantonnement à demeure des populations africaines au nom de la lutte contre les migrations illégales et de la “Guerre globale contre le terrorisme”. Notamment par l’UE et son bras armé, la France en ce qui concerne les pays du Sahel.

Et qu’est-ce donc que leur “Guerre globale contre le terrorisme” ?

En septembre 2001, l’administration Bush a lancé la « guerre mondiale contre le terrorisme ». Bien que l’adjectif « mondiale » ait depuis longtemps été retiré du nom, il s’avère qu’elle ne plaisantait pas. Les principaux documents américains sont la National Security Strategy (2002), la National Strategy for Victory in Irak (2006) et le National Military Strategic Plan for the War on Terrorism (NMSPWT) (2006), trois textes qui misent sur les moyens militaires.
Le premier souligne, dans son chapitre IX, « le rôle essentiel des forces militaires américaines [...] qui doivent être capables de vaincre n’importe quel ennemi si la dissuasion faillit ». Il met l’accent sur la présence des forces américaines outre-mer.
Le second document déclare que « l’Irak est le front central dans la guerre globale contre le terrorisme », ce qui signifie que, dans le court terme, le but central est
de « battre les terroristes et neutraliser les insurgés ». Et le NMSPWT insiste « sur la gestion stratégique des activités militaires et des opérations dans le cadre de la guerre globale contre le terrorisme ».

À l’inverse, l’European Security Strategy s’oriente vers des approches plutôt politiques et n’utilise jamais l’expression de guerre globale contre le terrorisme. Elle partage avec les États-Unis la conviction que le terrorisme global est la menace la plus grave du monde contemporain. Mais, elle souligne aussi que cette menace a, parallèlement à son aspect militaire, plusieurs autres dimensions nécessitant des réponses pluridimensionnelles qui ne se limitent pas uniquement aux opérations militaires. Il en résulte un accent mis sur les approches plus nuancées, orientées plutôt vers la prévention politique, économique et sociale, plus à même de déraciner le terrorisme que les opérations militaires.

Après les attentats du 11 septembre 2001, la France – solidaire de son allié américain – a déployé quelques centaines de militaires en Afghanistan mais a officiellement refusé d’inscrire son action dans le cadre intellectuel et stratégique de la "guerre globale contre le terrorisme".

Dans le Livre Blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme de 2006, le gouvernement français a réaffirmé cette posture.
En septembre 2014, la France s’est engagée militairement contre Daech en Irak. En 2015, cette logique de guerre a atteint le territoire national : après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le président de la République, chef des armées, François Hollande, a décidé le déploiement de 10 000 militaires sur le territoire national, actant le début de l’opération Sentinelle. Le 13 janvier, à la tribune de l’Assemblée nationale, Manuel Valls, alors Premier ministre, a déclaré : "la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical".

Quid du Sahel ?

Depuis plusieurs années, les actes terroristes se multiplient dans la région du Sahel. Attentats, enlèvements et assassinats font partie du quotidien des forces de sécurité et des populations civiles. Alors que l’armée française est déployée dans la région depuis 2013 et que les forces du G5 Sahel s’organisent pour contenir cette menace, comment s’explique cette recrudescence du terrorisme ?
Quels sont les mouvements djihadistes impliqués dans la crise sécuritaire au Sahel ? D’ailleurs, faut-il vraiment parler de « djihadisme » ? La nature des conflictualités de la région est-elle comparable avec celle qu’on trouve dans d’autres contextes – comme au Moyen-Orient par exemple ?
Et pourquoi les états peinent-ils à apaiser les tensions ? En ont-ils réellement l’intention ou, aussi fragiles soient-ils, pourraient-ils eux aussi profiter de la situation en maintenant des régimes qui profitent à une minorité au détriment de la majorité ? Le Sahel serait-il pris en otage par la lutte contre le djihadisme ?

"Quand on globalise la menace terroriste, on occulte les racines locales du problème" , a écrit Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’IRD, spécialiste du Nigéria.
L’Afrique, nouvelle frontière du djihad ? Ed. La découverte, 2018

Quand on dit que la menace est globale, l’idée, c’est que ces groupes menacent l’intérêt national en France, en Europe, aux USA. Si on déroule ce narratif, on donne l’idée selon laquelle Boko Haram, les Al Shebabs, AQMI, etc, vont organiser un jour un attentat sur le territoire Européen, aux USA ou à l’autre bout du monde.
Mais aucun de ces groupes n’a jamais organisé un attentat en Amérique, en France ou en Europe ! Parler de menace globale permet d’utiliser le Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies qui autorise des déploiements militaires à l’étranger parce qu’il y a menace contre la paix mondiale.
Cette erreur d’analyse explique pour une grande part l’échec des états à faire reculer ces violences, à combattre les producteurs de cette conflictualité.
L’inefficacité des réponses militaires au terrorisme en Afrique est essentiellement due à cette erreur de diagnostic.
En effet, lorsqu’on globalise la menace, et que l’on dit que le problème c’est la radicalisation de l’islam, Al Qaïda ou Daech y compris en Somalie, en Algérie, au Mali, au Burkina ou au Nigeria, on occulte les racines locales du problème. De plus, on a tendance à surdimensionner la réponse militaire qui est apportée, et qui finalement va elle-même contribuer à alimenter le conflit parce que les abus des armées africaines sur le terrain alimentent ces conflits.
Donc on n’en sort pas. On est dans une espèce de piège.
Il y a eu le bourbier afghan, et maintenant ce bourbier malien, avec des configurations très différentes. Mais il n’empêche que cela pose des questions sur la réponse à apporter à ce type de menace qui renvoient à des dynamiques extrêmement locales.
Est-ce que Boko Haram serait devenu ce qu’il est aujourd’hui, qui est absolument abominable, s’il n’y avait pas eu l’exécution extrajudiciaire de son fondateur Mohamed Yusuf par l’armée nigériane en 2009 ?
Est-ce que AQMI serait allé s’installer au Mali s’il n’y avait pas eu l’annulation des résultats de la victoire électorale du FIS (Front Islamique du Salut) en Algérie au début des années 90 ?

Si on renvoie tout à un problème de religion au lieu d’analyser cela, on occulte la racine du problème. Donc, on se trompe sur le type de réponse qu’on apporte.
Au Nigeria par exemple, les FDS tuent beaucoup plus de civiles que Boko Haram. Ce qui n’est jamais dit. Ils pratiquent la stratégie de la terre brûlée. On retrouve les mêmes problématiques au Mali et au Nord du Cameroun, où finalement la réponse militaire est excessive, extrêmement brutale. Puisque l’on considère qu’on se bat contre des groupes terroristes et non contre des mouvements insurrectionnels, on n’a pas une stratégie contre-insurrectionnelle qui vise à gagner les cœurs et les esprits de la population. Du coup, on permet n’importe quoi. C’est l’exceptionnalité, qui malheureusement, entretient le conflit parce qu’on légitime ces groupes qui deviennent alors des groupes de résistance face à des troupes qui sont considérées comme des troupes d’occupation impies.
C’est une erreur de globaliser la menace, et c’est également une erreur de globaliser la réponse.

On ne peut pas comprendre la réaction des populations locales si on n’étudie pas la corruption des forces armées qui est vraiment rampante en Afrique y compris leur implication dans les trafics d’armes, d’autant que, justement les groupes djihadistes comme on les appelle se ravitaillent essentiellement sur des prises de guerre et des trafics locaux. Ils n’ont pas besoin d’armes en provenance de Libye ou de l’Irak ou de Syrie pour combattre.
Par exemple, les éleveurs autour du Lac Tchad vous expliquent que ça leur coûte moins cher de payer la zakat ou impôt de guerre de Boko Haram dans les zones qu’ils tiennent pour faire passer leur bétail que dans les zones qui sont tenues par l’armée nigériane qui les rackettent à des tarifs beaucoup plus prohibitifs.
Il y a aussi toute une économie politique de ces conflits qui montre que le racket des forces de sécurité est aussi un frein au type de réponse. Mais tout ça est malheureusement trop passé sous silence.
Le G5 Sahel a également tout un volet développement en plus de son volet militaire. Des projets qui visent à développer les territoires, à sortir les gens de la pauvreté.
Aujourd’hui, l’aide au développement au Sahel est souvent formulée en termes d’accompagnement de la force. Il y a une utilisation politique de l’aide qui est vue comme un complément pour gagner les cœurs et les esprits de la population dans les zones où sévissent ces groupes dits djihadistes.
Or le développement et l’intervention militaire, ce sont deux choses différentes, qui ne vient pas les mêmes objectifs et il est très difficile de les combiner efficacement.
Croire que l’aide internationale peut acheter la paix sociale est une illusion. Parce qu’en réalité, l’aide apporte de nouvelles ressources, suscitant de la compétition pour mettre la main dessus. Que ce soit une compétition entre des groupes insurrectionnels et des armées gouvernementales pour mettre la main sur l’aide alimentaire par exemple, ou des médicaments ou toute autre ressource fournie de l’extérieur ; ou que ce soit une compétition au sein même des appareils d’état, entre différents ministères, entre différents secteurs, entre différentes régions ; l’aide peut aussi aggraver des différentiels régionaux, susciter des jalousies. Il y a de la compétition. Donc l’aide, ce n’est pas seulement un moyen pour acheter la paix sociale. Elle peut aussi créer des conflits et les prolonger.

Des conflits sont dus à l’incapacité des Etats à bien gérer les crises. Tant qu’il n’y a pas un effort sur ce point, l’aide au développement n’est pas la panacée qui permettra de sortir de ces crises.
Il faut conjuguer une aide au développement ou une aide d’urgence avec le combat contre les turpitudes des autorités africaines impliquées dans ces conflits.
C’est la corruption qui nourrit le ressentiment local contre l’état.

Accrocher les wagons de notre lutte anti terroriste à la locomotive de la guerre globale contre le terrorisme des Occidentaux est donc à l’évidence une grave erreur ; eux et nous, ne combattons pas le même ennemi, ne faisons pas face aux mêmes problèmes.
Le fait que les pays occidentaux financent largement notre notre lutte et même ont obligé l’Arabie Saoudite à financer le G5 Sahel, ne nous empêche nullement d’élaborer notre propre approche, notre propre analyse stratégique, notre propre stratégie pour mettre fin à ces conflictualités.
Certes, celui qui paie l’orchestre, choisit aussi la musique, mais il ne peut pas jouer à la place de l’orchestre !

Maixent Somé
Analyste politique
Kaceto.net