La grève lancée le 6 mai par le Syndicat des travailleurs de la poste et qui a culminé le 8 mai avec l’expulsion du Directeur général de son bureau a pris une tournant décisif.
Le Conseil d’administration tenu hier a adopté le statut du personnel, la principale revendication des salariés. Mais pour ces derniers, le divorce avec leur patron est irrémédiable

Voilà une déclaration d’amour pour le moins inattendue que le directeur de "La Poste Burkina Faso", Nabi Issa Coulibaly vient de faire aux salariés de la boite au moment où ces derniers réclament son départ sans conditions de son poste. "Je vous aime", écrit-il sur sa page Facebook.
Faut-il croire en la sincérité de cette déclaration d’amour ? Les destinataires apprécieront. Mais en tout cas, le patron de la Poste sait qu’en la matière, il faut plus qu’une simple déclaration pour conserver le cœur de l’autre moitié, après deux ans de vie commune. Nabi Coulibaly sort alors un argument béton, qu’il espère irrésistible : l’adoption du statut des agents de la poste, une revendication qui est au cœur du divorce entre lui et ses administrés. Le miracle s’est opportunément produit hier 14 mai lors du Conseil d’administration de l’entreprise, boycotté par le représentant des salariés qui s’y est rendu juste pour remettre le mémorandum de ses collègues.
Nabi Issa Coulibaly parviendra-t-il ainsi à sauver son poste, ramener la confiance, et tourner la page de la discorde pour regarder « vers l’avenir » comme il l’appelle de ses vœux ? Le syndicat, qui exigeait son départ, va-t-il réexaminer sa position ? On le saura dans les heures à venir.
Mais à l’évidence, comme on dit ici couramment, « ce n’est pas simple ». Hier, au moment où le conseil d’administration faisait le bilan de santé de l’entreprise, les salariés et leur syndicat avaient convié les journalistes à une conférence de presse à la bourse du travail.
Dans une salle bondée qui faisait penser à une assemblée générale, les membres du bureau du Syndicat des travailleurs de la poste (Syntrapost) ont décidé de laver le linge sale en public. Les oreilles de Nabi Coulibaly ont dû siffler ! Son bilan depuis deux ans à la tête de cette société d’Etat stratégique a été jugé globalement négatif.
« Dès sa prise de fonction en août 2017, monsieur Nabi Issa Coulibaly a immédiatement suspendu tous les chantiers de construction de nouvelles agences dont le but est d’étendre le réseau postal afin de satisfaire à l’exigence de service public et de désenclavement du territoire par l’Etat burkinabè », écrivent-ils d’entrée de jeu dans un texte remis aux journalistes.
S’en suit une longue liste de récriminations contre le mode de management du DG, décrit comme autoritaire, allergique à la contradiction, ne pensant qu’on son propre confort au détriment des salariés, etc. On apprend ainsi que Nabi Coulibaly « a laissé deux véhicules en très bon état à sa disposition pour engager des dépenses inutiles afin de s’octroyer un nouveau véhicule, acquis par crédit-bail qu’il juge à sa taille, ce que ses prédécesseurs n’ont pas fait ». En matière de gestion, il est accusé d’abus d’utilisation de bon de caisse, pour « un montant de 100 millions de F CFA depuis 2018, non encore régularisé ».

Pendant qu’il refuse d’augmenter les salaires des travailleurs, lui s’octroie « une indemnité de transport de 200 000 F CFA par mois alors qu’il dispose d’un véhicule de fonction dont la dotation en carburant est de l’ordre de 110 litres par semaine à la pompe d’essence de l’entreprise », à quoi s’ajoute « une carte TOMCARD créditée mensuellement à hauteur de 300 000 F CFA ».
Quant à son salaire, « il touche officiellement 1500 000 F CFA par mois, mais de fait, c’est plus de 3 000 000 F CFA ! ».
Le Syntrapost dénonce également les dépenses inutiles engendrées pour le rebranding de la Sonapost, début décembre 2018, devenue « La Poste Burkina Faso » pour un montant de 300 000 000 millions F CFA, un changement de visuel « qui n’apporte aucune valeur ajoutée » à l’entreprise.
A en croire le secrétaire général du Syntrapost, Gilbert Goh, principal orateur lors de la conférence de presse, Nabi Coulibaly change sans cesse les membres de son équipe de direction. En 20 mois de gestion, il a ainsi changé « trois secrétaires généraux, trois directeurs du patrimoine, sans compter les directeurs remplacés à la moindre divergence d’idées ». Pis, il s’entoure de personne « à la moralité douteuse, comme son secrétaire général actuel, impliqué dans la perte de 9 milliards de F CFA dans l’affaire « Money Express » et le directeur du patrimoine, reconnu coupable de plusieurs cas de malversations ».
Aux yeux de Nabi Issa Coulibaly, les diplômes délivrés par l’Ecole nationale des postes et l’Ecole multinationale supérieure des postes d’Abidjan ne seraient que de « simples attestations de stages ». Et pendant qu’il prône la formation continue sur place ou en ligne, lui, s’accorde « une semaine de formation au Canada pour un coût de plus de 10 000 000 F CFA délivrée par un cabinet dont le siège est à Ouaga ».
Certes, le syndicat reconnait que 37 formations ont été organisées au profit de 825 agents, un chiffre qu’un cadre de l’entreprise a nuancé, expliquant à Kaceto.net qu’une seule personne « a pu bénéficier de plusieurs formations, en plus dans un domaine qui n’a rien à voir avec son poste ».
Après une heure de réquisitoire contre la gestion de Nabi Issa Coulibaly, le Syntrapost demande « à celui qui l’a envoyé à ce poste de le rappeler pour un lendemain meilleur de « La Poste Burkina Faso ». Et prévient : "Tant qu’il sera là, nous aussi, nous serons ici"

Joachim Vokouma
Kaceto.net