Cette semaine, exit les expérience avec les chimpanzés, les bonobos et les capucins.
Avec la loi de futilité de Parkinson, je vais tenter d’expliquer comment et pourquoi le débat public et l’animation démocratique sont si pauvres, vains, et inutilement polémiques au Burkina.

Plus c’est simple, plus c’est compliqué selon la loi de futilité de Parkinson, une loi empirique qui explique que plus le sujet d’un débat est simple, plus le débat sera long, âpre et fastidieux. En effet, un sujet simple autorise n’importe qui à s’exprimer sur des détails futiles, là où un sujet complexe ne peut être commenté que par un expert.
Parkinson confronte deux exemples en illustration.
Un débat municipal visant à mettre en place un garage à vélo, chacun débat sur la position, la capacité voire même la couleur de l’abri, galvanisé par l’envie de servir à quelque chose et d’apporter sa touche personnelle au projet. Au final, le débat porte sur des futilités plutôt que la vraie question : est-il bon de construire un abri à vélo ?
Alors qu’un débat visant à la construction d’un réacteur nucléaire coûteux demande des connaissances, chacun ne peut s’exprimer et même un expert ayant un avis un peu arrêté n’ose exprimer son détail de peur de paraître lourd ou incompétent.

Henri Lopes dans son recueil de nouvelles Tribaliques, fait dire en boucle à l’un de ses personnages, le député Ngouakou-Ngouakou, que "la politique c’est l’art de la ruse et de l’hypocrisie." Ngouakou-Ngouakou est en effet un député très influent et populaire. Invité au congrès de la Fédération nationale des femmes avant-gardistes, il prononça un discours très pompeux, très apprécié et très applaudi, faisant l’éloge de la femme. Cependant, dans son ménage, c’est tout à fait le contraire. Grand phallocrate, il traite sa femme comme une bonne, ses filles comme des serveuses. Il n’a aucune considération pour les efforts que ces dernières font pour évoluer dans leurs études. Expert en infidélité, il en atteindra le summum en enceintant Marie-Thérèse, sa maîtresse. Il refusa de surcroît d’assumer la paternité de la grossesse.
Bref, "Faites ce que je dis, et non ce que je fais" …

Il est assez frappant de constater que malgré la multitude de polémiques passionnées, il y a au Burkina Faso une absence de vie démocratique véritable.
Alors journaliste à Africa24, Thierry Hot avait posé cette question au professeur Laurent Bado : "Quel regard portez-vous sur la vie politique au Burkina ?"
Réponse : "Dans les pays africains en général, au Burkina Faso en particulier, je ne pense pas qu’on puisse parler de vie politique interne. Y a rien ! C’est à dire, non, c’est la gestion QUOTIDIENNE du pouvoir, loin du peuple ! Entre deux élections, vous avez une majorité et une opposition, qui se font des coups bas ! C’est tout !
Pour le reste, le peuple n’est pas informé, il n’est pas éduqué, il n’est pas conscientisé, il n’est pas responsabilisé (.....) Il n’y a pas de démocratie. Le peuple n’est pas mûr ! (...) Parce que tout simplement la forme du pouvoir que les Européens, les Occidentaux nous imposent.... ça n’a rien à voir avec la conception traditionnelle du pouvoir ! Je résumerais toute ma pensée à un seul exemple que j’ai vécu.
Je m’en vais dans un village. On me dit, il faut aller saluer le chef de village... Pendant les élections présidentielles passées ! (2005)...
Alors je salue proprement (il joint le geste à la parole), je dis que je suis candidat à l’élection présidentielle ! Bon moi aussi je voudrais prendre la place de ... de Blaise Compaoré, parce que je trouve que ses résultats ne sont pas beaux, on ... on tourne en rond ! Mais le chef de village a pris un air sérieux, il dit : "Ah bon ? Mais j’étais pas au courant ! Il est mort non ? ... Parce qu’on ne remplace pas un chef dans la
tradition !"

Il suffit d’ailleurs d’analyser le discours des supporters (car ce sont bien des supporters et non des cadres et des militants politiques), des présidents de partis politiques. Ce n’est pas un leader visionnaire qui fixe un cap et constitue une équipe performante autour de lui, mais un demi-dieu omniscient.
Les slogans des candidats eux-mêmes sont assez éloquents en la matière : ADO Solution, Roch La Solution, etc.
L’exercice obligé de la rédaction d’un “projet de société” de chaque candidat est confié à un consortium d’experts en marketing politique et réalisé sans cohérence d’ensemble, et sans fixer un cap, un horizon, une ambition pour le pays. De toutes les manières, personne, à part quelques chercheurs, quelques grincheux, et peut-être les Partenaires techniques et financiers, (PTF), personne ne les lit. Ce n’est pas sur le programme que se joue l’élection, mais sur l’image déifiée du candidat, et sa déification est proportionnelle à sa prodigalité.
Une fois élu, on dispose d’un monarque républicain omnipotent, omniscient et infaillible dont on attend des miracles !

Or, comme le rappelait l’ancien premier ministre français Michel Rocard, "le métier politique ne consiste pas à inventer les solutions. C’est l’affaire d’experts, de chercheurs, de spécialistes en sciences exactes et plus encore en sciences humaines.
Le métier politique, explicitement et limitativement, consiste, devant un problème repéré, à faire l’inventaire des solutions proposées par la science ou la technique, puis à choisir celle qu’il pense pouvoir faire accepter à l’opinion et grâce à cela, la traduire dans les décisions législatives ou réglementaires."

Donc, non seulement les miracles attendus ne se produisent pas, mais en plus, la communication gouvernementale est en général calamiteuse, la gouvernance ignore royalement le droit et la logique des institutions, et le débat politique entre majorité et opposition ressemble à une bagarre de rue.
Dès lors, les politiques se mettent d’eux mêmes à la portée de tout venant et de la vindicte populaire. Avec la fin de la répression suite à l’affaire Norbert Zongo, en plus encore de nos jours avec l’arrivée massive des réseaux sociaux, en fait de débat public, nous avons un capharnaüm dans lequel les politiques et les médias font partie des premiers animateurs.

Les sujets les plus sérieux tels le danger terroriste, les conflits inter-communautaires, la crise du logement, l’inadéquation du système éducatif et le chômage massif subséquent, la panne de la justice, etc., sont soit évacués du débat public, soit traités au ras des pâquerettes, donnant ainsi voie au chapitre au vulgum pecus.
Chaque sujet d’intérêt national devient l’occasion de coups tordus entre camps politiques accompagnés des cris de rage des gouvernés dans les radios locales et sur les réseaux sociaux.
Et toute cette violence verbale dégénère bien souvent en violence tout court comme ce week-end encore à Bobo-Dioulasso lors d’une empoignade en pros et anti localisation du nouveau CHU de la ville dans la forêt classée de Kua.

Le débat sur la modification de l’article 37 s’est terminé dans une insurrection qui a donné lieu à des morts et à des saccages et incendies criminels de domiciles privés.
Cela n’a jamais été ni condamné dans les discours officiels, ni jugé dans les tribunaux.
Depuis, que ce soit à l’intérieur des partis politiques pour les places dans les structures locales, dans les administrations et les entreprises, les établissement scolaires, ou tout simplement dans la circulation, la virulence et la violence sont érigées en mode de résolution normale des conflits. Le droit a été évacué par l’opposition rhétorique légalité versus légitimité, chacun voyant la légitimité à son aune.
Et c’est un pays dans tel état qu’on se dirige vers des élections véritablement ouvertes pour la première fois de son histoire, avec en têtes d’affiches des frères-ennemis déterminés à en découdre…
Qui saura arrêter cet engrenage infernal, ce compte à rebours mortifère ? Qui a encore la lucidité nécessaire pour le faire ?
Une fois n’est pas coutume, que Dieu aide le Faso !

Maixent Somé
Analyste Politique
Kaceto.net