Durant les mois de mars, avril et mai 2019, j’ai fait de courts séjours au Burkina Faso. Et lors de ces séjours, il m’a été donné d’entendre, de lire et de constater que « ça ne va pas ». Dans ces conditions, il est du devoir de chaque fille et de chaque fils de la nation d’apporter sa contribution à la recherche collective d’une solution. Pour ma part, je crois de toutes les fibres de mon âme que le dialogue national est devenu indispensable.

Devant un patient, un médecin ne peut pas se limiter à dire que « ça ne va pas ». Si on a conduit le malade dans son établissement, c’est justement parce qu’on a constaté cet état des choses. Et c’est précisément parce qu’on fait confiance à son savoir pour trouver le remède qui sied. Toute personne qui est passée entre les mains des médecins sait d’expérience que ceux-ci commencent par identifier le mal qui tourmente son corps. Ce bref détour, pour dire qu’il nous faut avoir le courage et la lucidité pour nommer les choses. Et une fois encore, je suis d’accord avec le professeur Laurent Bado qui n’hésite pas à prononcer les mots qu’il faut quand il le faut. Quitte à choquer celle ou celui qui voudra bien l’être !

Nommer les choses

Quand je dis baobab, ce simple énoncé signifie qu’il y a dans la savane un végétal géant que l’on désigne par ce mot. En disant cheval, j’accepte et je reconnais du même coup qu’il y a dans nos cours un quadrupède qui nous sert de monture. Dans la même démarche, il nous faut reconnaître que nous souffrons ensemble d’une forme étrange de léthargie politique. Et la genèse de ce mal n’est pas inconnue. Nous choisissons volontairement de rester dans une époque récente. Un étouffement politique et social de 27 ans a conduit à l’insurrection populaire. A la manière du gibier qui a lutté pour s’extirper des enroulements d’un boa constrictor. Et une Transition mal conduite a donné ce pouvoir sans repère. Cette Transition a fonctionné comme une causerie familiale qui a échoué, sans que personne ne trouve le courage de le dire. Et on a laissé couler. Donc, si ça continue de couler, cela ne doit pas étonner les plombiers volontairement maladroits que nous sommes. Alors, que faire ? Nous savons tous qu’un bout de ruban autocollant ne suffira pas à arrêter la fuite d’eau. Un doigt pour boucher là où ça coule, c’est évidemment l’imbécillité suprême. Quel homme pourra rester là avec son doigt fixé au même point toutes les secondes de toutes les heures de tous les jours et de toutes les nuits ? Même Iron Biby finira par se lasser.

Vaincre notre paresse congénitale

Il y a un préalable fort dans cette affaire. Avant de dire ou d’entreprendre quoi que ce soit, il nous faut, tous ensemble et dans le même élan, surpasser notre paresse devant les textes. Je parle d’expérience. Il est arrivé qu’un frère Burkinabè me prenne violemment à partie pour un écrit que j’ai publié dans la presse nationale. Par la suite, quand j’ai l’occasion de discuter plus avant avec lui, je me rends compte qu’il n’a pas lu le texte. Lui-même finit par confesser qu’il a lu quelques commentaires des autres lecteurs. Et c’est sur une base aussi légère qu’il se lance dans des débats véhéments. De même, j’ai souvent entendu des propos désobligeants à propos d’un discours ou d’un article d’opinion de tel ou tel leader politique. Et quand on poursuit la discussion, on se rend compte que l’auteur du propos n’a pas pris le temps de lire la publication concernée. C’est à se demander pourquoi nos mamans et nos papas ont accepté de souffrir financièrement pour nous scolariser. Construire et émettre une opinion parce que celui qui parle est de l’UPC. Ou bien parce que c’est une femme leader du Faso Autrement. Ou bien parce qu’on a entendu dire que « Roch même quoi ! ». Sans plus ! Victime soi-même de son propre comportement farfelu, on a ensuite l’outrecuidance de se dire citoyen. « Cet homme-là, vraiment je l’adore quoi ! ». Donner son suffrage avec de tels arguments, n’est-ce pas fou ? Le mot folie ne suffit pas à qualifier de telles attitudes.
« Guéssé fguifin ». Il faut regarder dans sa poche avant d’aller au marché. Cette sagesse, nous la tenons de nos parents. C’est le lieu de l’appliquer. Avant de critiquer ou d’acclamer autrui, réviser son propre comportement. Pour être sûr, il faut lire le texte que l’on vous soumet. Il s’agit de notre devenir collectif, quand même !

Le dialogue national

« Goam nsate goama ». C’est la parole qui finit la parole. Nous voilà dans le vif du sujet. Je pense en toute sincérité que le Chef de l’État et son gouvernement devraient employer les 18 ou 17 mois qui nous séparent des élections pour impulser ce dialogue national. C’est-à-dire créer un cadre où l’on va réunir impitoyablement les acteurs publics, poser impitoyablement les problèmes, les discuter impitoyablement, et parvenir impitoyablement à un consensus, consensus qui sera soumis tout aussi impitoyablement au suffrage des Burkinabè par voie référendaire. Quand je dis impitoyablement, j’entends par là, sans perdre de temps à écouter les jérémiades ou à suivre les regards larmoyants. Nous sommes dans une sorte d’état d’urgence. Que direz-vous d’un parent qui regarde traîner son enfant ou son épouse malade et qui poursuit son chemin comme si de rien n’était ? Que penser de quelqu’un qui voit les signes d’une tornade prochaine, et qui choisit de ne prévenir personne ?
L’idéal, c’est de réunir tous les Burkinabè. Toutefois, même un cinglé total sait que l’idéal n’est pas de notre monde. Il faut donc agir à hauteur d’homme. Comme toujours, on commence par vouloir faire ce qu’on veut, puis on finit par faire ce qu’on doit. Pour ne pas gaspiller un temps précieux, entreprenons ce qui est faisable. On peut se limiter à rassembler dans un cénacle tous les leaders de partis politiques. On a dit un dialogue national. L’esprit, c’est de se parler en frère. Avec respect quand la situation le permet. Et en pointant le doigt quand il le faut. Les mécaniciens vous le diront, quand on met du dégrippant, ce n’est pas pour rigoler.

La substance vitale

Une ébauche de canevas. Ce qui pose problème, c’est le pouvoir. Tous nos malheurs viennent de là. La manière d’arriver au pouvoir, la manière d’exercer le pouvoir, comment quitter le pouvoir sans retour de bâton, c’est-à-dire sans avoir à rendre des comptes ? C’est ce qui tourmente.
Je propose un mandat unique de 7 ans, non renouvelable, quelque soit les circonstances. Même en cas d’attaque nucléaire, un élu fait 7 ans dans le fauteuil, puis il s’en va jouer avec ses petits-fils. On a suffisamment souffert comme cela, et on ne va pas continuer à souffrir à cause des appétits d’un individu.
La question de l’argent. Celui qui a l’argent a toutes les chances de gagner la bataille. Chacun connaît les rouages et les mécanismes de la corruption électorale. Mais on se garde de parler de ses effets pervers. Pourtant, il va falloir s’y résoudre. L’homme ou la femme qui arrive au pouvoir a en tête les prochains suffrages. Et pour s’y préparer, l’élu et les gens de son parti politique se doivent de mettre de côté l’argent nécessaire. Est-il vraiment nécessaire que je continue sur ce chapitre ? Voyez vous-mêmes ! L’insurrection a été menée par le parti politique qui avait les moyens de fédérer les autres mouvements et de financer là où il convient. Là également, je ne crois pas utile de continuer. Toutefois, je prends un petit temps pour dire que j’attends les arguments contraires de celui qui n’est pas d’accord avec cette analyse.
Je propose que l’État finance les campagnes électorales. L’idée peut scandaliser. Mais je souligne que c’est déjà le cas, en pire. Puisque c’est ce qui est mis de côté (loob likin : ce qui a été jeté dans le côté obscur), c’est ce qui a été soustrait nuitamment des caisses de l’État qui finance aujourd’hui. On fixe un quota. On étudie patiemment la chose. Les trésoriers des partis politiques ne me diront pas qu’ils n’ont pas une petite idée sur la question. Donc l’État finance la campagne. Le parti politique qui accepte un centime d’un donateur privé est éliminé immédiatement. Je répète pour que ça soit compris : on n’est pas là pour rigoler. Avantages multiples. Non seulement cela permet l’émergence de toutes les opinions, mais en plus on élimine les mains qui parlent dans le noir.

Une conclusion (provisoire)

Soyons logique ! L’homme qui appelle au dialogue national ne peut commencer en monopolisant la parole. Sans quoi, ce serait un monologue national. Ce n’est pas le but du jeu. Logique supplémentaire : vous ne pouvez pas attendre de moi que j’aborde toutes les questions. Le savoir d’un homme seul est trop petit. Un menuisier est fort dans son atelier. Un maçon voit d’un seul regard les défauts et les malfaçons d’une maison. Un comptable sorti de ses chiffres perd tous ses moyens. Le plus grand médecin de Yalgado, quand il est en panne de voiture espère le passage d’un modeste mécanicien. C’est la vie qui est comme cela. Et c’est pourquoi nous vivons ensemble. Chacun apporte son savoir.
J’ai tracé ces mots ce matin, parce que c’est ce qui me hante l’esprit. Je parle ici en toute sincérité. Je crois que, ce faisant, je remplis un devoir de fils, de petit-fils. Un devoir de père et de grand-père. Bref, une démarche citoyenne. J’attends et j’espère des autres sœurs et frères Burkinabè leurs mots aussi, leurs pensées aussi, pour nourrir et enrichir la discussion. Je dis bien nourrir et enrichir. Car un père, ce n’est pas seulement le mâle qui nourrit l’enfant. Un père nourrit et élève. C’est-à-dire qu’il fait monter son esprit, pour en faire un homme. En tout cas, c’est comme ça que moi je comprends le sens du mot élever.
Parler est risqué. Et l’esprit humain ne peut pas tout maîtriser. S’il se trouve que, par un mot ou une autre, par une idée ou une autre, quelqu’un a été froissé ou atteint dans son honneur, c’est par inattention. Le sujet est tellement sérieux à mes yeux, que l’on peut s’amuser à en faire une question de personne. Je ne crains pas de le redire, on n’est pas là pour rigoler.

Sayouba Traoré
Ecrivain-Journaliste