Nous devons apprendre à nous intéresser plus sérieusement aux facteurs endogènes et exogènes qui influencent nos sociétés si nous voulons véritablement être au fait des mutations qui s’opèrent en leurs seins. En effet, nos communautés se transforment sans que nous puissions comprendre les dynamiques qui sont à l’origine de ces évolutions. Ce qui explique aujourd’hui bien de difficultés rencontrées dans la compréhension et l’explication du phénomène extrémiste. (1)

La cécité stratégique est collective au Burkina Faso.

Depuis des décennies, l’avenir du pays a relevé d’emblée de la prérogative de l’« État profond ». Des domaines de souveraineté tels la défense, la diplomatie et l’administration échappaient en grande partie aux institutions régaliennes dédiées.
Tout se passe aussi comme si nous ne voyons jamais venir les choses. Pour les dirigeants du pays et la majorité des Burkinabè, les bouleversements, les ruptures et les crises relèvent de l’ « accélération de l’Histoire » plutôt que l’ « effet papillon ».
L’intérêt pour la prospective s’accentue à la fin de la décennie 90. Cette volonté a abouti à partir de 1999, à la réalisation d’une étude nationale prospective dénommée
« Burkina 2025 ». Elle a eu pour objectif principal, de renforcer les capacités nationales d’anticipation et de gestion concertée du développement par la création d’un cadre prospectif de référence en vue de définir une vision consensuelle du futur du pays. En fin de compte, aujourd’hui encore, on se demande si cette étude a connu une appropriation véritable par les décideurs politiques de l’époque.
Tous les observateurs avertis de la société burkinabè vous diront que depuis bien longtemps, toutes les religions dites révélées sans exception aucune ont entamé un glissement vers les tendances dures. Et au nom de la laïcité, de l’ « extrême sensibilité de la question religieuse » et même du déni, nous fermons les yeux sur des phénomènes qui structurent durablement nos communautés et qui vont impacter fortement le devenir collectif. La gravité des enjeux de l’heure recommande que notre société soit protégée de l’ « anarchie religieuse » au sein de l’espace public et de
l’ « arrogance spirituelle » d’individus tourmentés.
La problématique que je veux traiter dans cette publication est assez sensible. C’est pourquoi, je souhaite qu’au-delà de la polémique, elle puisse éclairer les réflexions d’aujourd’hui et de demain. Qui nous attaque ? Qui sont les terroristes ? On ne peut faire l’économie de l’Histoire si on veut répondre à de telles questions.
Des Burkinabè, depuis des périodes immémoriales, se sont toujours rendus au Mali pour perfectionner leur connaissance du Coran. De grands érudits partageaient leur connaissance de l’islam avec des étudiants venus de toute la sous-région. Cet enseignement était dispensé dans des centres religieux aussi réputés que Tombouctou, Hamdallaye, Gao, Mopti, Djenné… Cependant, les spécialistes de l’extrémisme violent soulignent que l’enseignement dispensé a considérablement évolué au fil du temps. Deux tendances vont fortement l’impacter. Le wahhabisme et la Dawa.

I. Le wahhabisme

D’après les recherches de Laurence-Aïda Ammour , dont les travaux ont été largement repris dans cet article, et de Bernard Lugan , le wahhabisme a commencé à s’établir en Afrique de l’ouest dès les années 1930 et s’est implanté plus massivement au tournant de 1950, notamment par le biais des grands commerçants de retour de la Mecque. Avec près de 350 millions de musulmans, l’Afrique représente un morceau de choix pour l’hégémonie saoudienne mais aussi qatarienne. Depuis plusieurs décennies, Riyad a entrepris de diffuser son modèle wahhabite de croyance selon le principe du prosélytisme et de la propagation de la foi (da’wa wal irchad) pour contrecarrer les obédiences musulmanes et les pratiques populaires de l’islam présentes sur le continent : soufisme, ibadisme, culte des saints, etc. Selon plusieurs auteurs dont Christian Chesnot et Georges Malbrunot , parmi les objectifs poursuivis par Qatar Charity, une des ONG les plus puissantes du Moyen-Orient, figurent le renforcement de l’identité islamique ainsi que la contribution à l’expansion et l’enracinement de l’islam politique dans les communautés musulmanes partout où elles se trouvent.
Sur le continent africain, la lame de fond wahhabite a eu selon Laurence-Aïda Ammour trois conséquences majeures :
­- une sur-confessionnalisation de l’identité musulmane ;
­-l’instauration d’un conformisme intégriste croissant dans les mœurs quotidiennes ;
­-la fragmentation de l’islam en différents groupes, sous-groupes et sectes se réclamant tous d’un islam des origines.

Bien que dès sa naissance au XVIIIe siècle, le wahhabisme ait été condamné et rejeté comme une dissidence par les plus hautes autorités sunnites de l’islam et de nombreux intellectuels arabes, il a fini par devenir la norme sunnite grâce à la manne pétrolière et à l’offensive idéologique que la dynastie des Al Saoud a déployées depuis plusieurs décennies et continue de mener partout dans le monde. Matrice du salafisme et du takfirisme (doctrine qui justifie le meurtre des infidèles et des musulmans qui ne suivent pas à la lettre les préceptes salafistes), le salafisme wahhabite aurait depuis lors engendré le djihadisme armé.
Présentement, les groupes armés terroristes qui sévissent au Mali, au Niger, au Tchad, au Burkina Faso, au Nigeria et au Cameroun, bénéficient d’un environnement de plus en plus pétri de l’idéologie wahhabite, où le conservatisme religieux s’est banalisé par des décennies d’une insidieuse pénétration doctrinaire.
La longue progression du fondamentalisme islamiste sur le continent africain et son enracinement bien réel dans certaines franges sociales, permet aujourd’hui aux terroristes de justifier leurs actions par des arguments à la fois théologiques et historiques, et de recruter une jeunesse désenchantée, issue de communautés appauvries et marginalisées, qui ne fait plus confiance à l’État pour construire l’avenir.

II. La Dawa

Selon Abdoulaye Diarra et Moussa Sidibé , la Dawa est l’invitation faite aux hommes à adhérer à l’islam. Il s’agissait pour le prophète Mohamed et ses disciples d’appeler les fidèles sur la voie de Dieu en toute sagesse et humilité, sans extravagance et sans recours à la violence. Dans la Dawa originelle, seuls les lettrés, les personnes ayant une profonde maitrise du Coran étaient autorisées à répandre l’islam. Des connaisseurs du Coran expliquent que dans plusieurs versets, le livre saint de l’islam ordonne au Prophète d’assurer la mission de la Dawa en faisant appel au dialogue et à la persuasion.
En effet, après la disparition du Prophète et à travers l’histoire, la Dawa a pris certaines ramifications. C’est ainsi qu’apparaitra au Pakistan, l’un des plus grands foyers de la Dawa, ce qu’on a appelé la « Dawa Tabligh ». Ses membres dédient leur vie au voyage et à la transmission du message de l’islam à travers le monde. La « Dawa Tabligh » a fini par s’étendre dans d’autres pays dont l’Afghanistan, l’Inde et le Qatar. Elle a regagné l’Afrique à travers des pays comme l’Algérie, la Mauritanie, la Libye, le Mali, etc.
Les premiers missionnaires de la Dawa au Mali (prédicateurs pakistanais) se sont fait connaitre du grand public comme de véritables mécènes investissant dans la réalisation des mosquées et des medersas. Et c’est à partir des années 2000 que la prédication pakistanaise a véritablement pris corps au Mali à travers l’envoi d’émissaires dans toutes les villes de l’intérieur principalement celles du nord. Invoquant des arguments humanistes, ils parviennent à convaincre leurs nouveaux adeptes à renoncer à leur vie ancienne. Une situation qui a conduit beaucoup d’entre eux à abandonner leurs familles ou leurs emplois. Lorsque les nouveaux adeptes acquièrent la confiance de leurs formateurs, ils étaient pour les plus brillants d’entre eux envoyés au Pakistan, au Qatar ou dans d’autres foyers religieux versés dans le radicalisme pour parfaire leur connaissance (endoctrinement).
La secte doit sa consolidation au Mali à Iyad Ag Ghaly, responsable de l’organisation terroriste Ansar Eddine. Il en est même devenu sa figure emblématique. Iyad Ag Ghaly va poursuivre l’expansion de la secte dans toutes les localités du Mali. Amadou Koufa, le fondateur du Front de Libération du Macina est alors l’un de ses plus fidèles lieutenants et va l’aider dans la propagande pour l’instauration de la Charia. Ces deux personnalités influentes bien que restant toujours dans la Dawa vont créer leurs propres organisations terroristes pour mener à bien leurs sombres desseins. Iyad Ag Ghaly s’est attribué comme objectif l’instauration de la Charia dans les régions nord du Mali alors qu’Amadou Kouffa se devait de l’étendre à celles du sud.
Toutefois, il faut être extrêmement prudent pour ne pas faire l’amalgame entre l’islam et le terrorisme. La formule mal comprise de Olivier Roy : « Il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité » mérite d’être explorée pour sa pertinence. Le politologue et spécialiste de l’islam politique insiste qu’ : « Il faut distinguer violence politique et violence religieuse », précisant que les parcours de radicalisation ne sont jamais linéaires. Selon le chercheur, l’étude des profils des terroristes recrutés en Occident montre que peu d’entre eux ont une véritable formation religieuse.
Cependant, le 17 janvier 2012 les irrédentistes touaregs et les obscurantistes salafistes déclenchent une guerre contre le Mali, conflit aux conséquences qui se prolongent encore à nos jours. Un nombre important de Burkinabè se trouvaient au nord du Mali à cette époque. À cette population qui a rejoint les mouvements radicaux dès les premières heures, s’est ajoutée une autre vague constituée des anciens étudiants déjà rentrés au Burkina Faso ainsi que des néophytes du Djihad répondant à l’appel
des « fous de Dieu » par pur opportunisme. Des chiffres ne sont pas disponibles sur les effectifs.
Ces Burkinabè qui avaient rejoint le septentrion malien se rendront vite compte de leurs rôles de seconds couteaux. Un racisme auquel ils ne s’attendaient pas, prévaut au sein des mouvements terroristes. Ils comprendront aussi très vite que les moudjahidines à « peaux blanches » ne sont ni des musulmans convaincus, ni des érudits du Coran. Ils seraient plutôt des sociopathes à l’égo surdimensionné, des narco trafiquants animés davantage par l’appât du gain que la foi. La suite réservée à la gestion des rançons perçues après les libérations d’otages aurait également contribué à convaincre les combattants de race noire que leur place se trouvait ailleurs. Beaucoup se sont alors retrouvés dans leur terroir d’origine pour poursuivre un « djihad » en conformité avec leurs croyances, un combat qu’ils mèneraient eux-mêmes, dans des terroirs qu’ils connaissent bien.
La désorganisation des groupes armés terroristes après le déclenchement des opérations menées par les Forces internationales dès janvier 2013, a contraint les autres Burkinabè qui étaient toujours restés avec les organisations terroristes, à retourner chez eux. L’objectif était désormais de créer des Katibas qui seront opérationnels dès la montée en puissance achevée. Pour ceux qui n’avaient pas prévu de rompre les liens avec les chefs terroristes du nord Mali, ils recevront pour mission de servir de relais (logistique et information) ou de constituer des cellules dormantes attendant d’être activés le moment venu. Le souci d’élargir leur théâtre d’opération afin d’internationaliser le radicalisme violent a toujours été un objectif très important pour les obscurantistes. Ces mouvements cherchent toujours à conquérir d’autres territoires, à toujours s’implanter dans la profondeur pour pourvoir frapper plus loin. Un autre front s’ouvre à l’Est du Burkina Faso d’abord en décembre 2015, puis en février 2018.
Dans des camps d’entrainement de fortune créés dans les régions de forêt de part et d’autre les frontières Burkina-Mali et Burkina-Niger, de nouvelles recrues sont entrainées au métier des armes pour les professionnaliser et accroitre les effectifs des moudjahidines. Des expertises extérieures assurent les formations notamment sur la fabrication des engins explosifs improvisés et l’utilisation des armes collectives.
Les premières attaques terroristes à partir de 2015 plongent le Burkina Faso dans une spirale de violence sans précédent. Au stade actuel, ce qui se déroule dans notre pays n’est ni plus ni moins qu’une insurrection obscurantiste. Des populations entières ont été méticuleusement radicalisées. S’appuyant sur une connaissance approfondie des enjeux locaux, les extrémistes ont réussi à instrumentaliser les rancœurs et à imposer leurs utopies machiavéliques à des populations vulnérables et crédules. Il faut également souligner que les extrémistes ont eu recours à la coercition pour obliger un nombre important de jeunes en âge de combattre à rejoindre leurs rangs. Les populations qui ont tenté de résister à l’idéologie sanglante et de la dénoncer sont froidement assassinées pour servir d’exemple et aussi pour installer l’omerta afin d’anéantir toute volonté de dénonciation.
Des familles qui ont vu leurs membres rejoindre les groupes armés terroristes vivent également dans la peur. Elles se retrouvent elles-mêmes prises en otages par une situation où la seule alternative, c’est de tout mettre en œuvre afin que les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) ne mettent pas la main sur leurs proches radicalisés. Pour ces familles, si un individu prend les armes contre son pays, c’est parce que l’État n’a rien fait en amont pour l’en empêcher.
Nous assistons à une endogénéisation du phénomène terroriste au Burkina Faso. Elle ne s’explique pas uniquement par l’extrémisme religieux. L’absence et le déficit
de « bonne gouvernance », les conflits non résolus, la remise en cause des légitimités traditionnelles et l’exacerbation de la compétition pour l’accès à des ressources qui se raréfient sont également à l’origine de la situation actuelle. Il y a aussi la révolte des cadets sociaux face à une République et une Nation qui n’ont pas réussi à accorder espérance et dignité à toutes et à tous.
Une autre dimension du terrorisme, très importante d’ailleurs, c’est le discours de toutes les personnes qui prétendent avoir pris les armes pour venger des proches disparus ou qui sont à la disposition de la justice dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il s’agit donc d’un cercle vicieux qui n’a pas fini de s’autoalimenter. « La quête de vengeance est consubstantielle à l’ensemble du djihadisme contemporain » affirme Myriam Benraad. Selon la professeure en science politique, la vengeance permet aux terroristes de justifier leurs actes et de se fabriquer un ennemi.
La notion de terroriste renferme encore d’autres réalités . D’abord, la frontière entre le crime organisé et le terrorisme étant flou, beaucoup de grands bandits se revendiquent « djihadistes » pour mieux légitimer leurs méfaits. Aussi, des faibles d’esprit en mal de reconnaissance, pour résoudre une profonde crise existentielle, sombrent malheureusement dans la folie meurtrière.
L’ubiquité et la furtivité sont d’autres caractéristiques de la terreur obscurantiste. Notre ennemi est également protéiforme, agile, transnational ou infra-national . Sa perfidie n’a aucune limite. Par-dessus tout, « notre ennemi ne se bat pas à la loyale » comme le dit si bien Marwan Bishara.
Les Burkinabè doivent se rendre à l’évidence que ce ne sont pas des étrangers qui ont décidé de s’en prendre à notre patrie, à ses institutions, à des Burkinabè et à des amis du Burkina Faso. Lors des opérations qui se mènent, il faut savoir que les gens en face sont en majorité des Burkinabè. Ce sont des Burkinabè que les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) combattent. Ce sont surtout des Burkinabè qui sont tués dans cette guerre insensée.
En même temps, la stigmatisation communautaire accentue ce fléau qu’est le radicalisme violent. C’est toute cette complexité que tentent d’expliquer les spécialistes de la radicalisation quand ils évoquent le « paradoxe du terrorisme ».
La publication de certains rapports par certaines ONG et organisations de la société civile par suite des violences intercommunautaires à Yirgou ainsi que le bilan de la riposte des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) en réponse à l’attaque terroriste à Kain-Ouro et environnants a donné lieu à des « passes d’armes », une opinion accusant les auteurs de ces enquêtes de faire dans le droit-de-l’hommisme. Le Droit protège le citoyen et nous devons avoir de la mesure dans nos propos et nos attitudes en ayant à l’esprit que les opinions contraires constituent un des piliers de la démocratie. Les Forces de Défense et de Sécurité qui se battent jours et nuits au péril de leur vie croient en la justice d’ici-bas et de l’au-delà. Les FDS n’ont pas de « permis de tuer ». Elles connaissent la rigueur de la loi en cas de manquement. Et par-dessus tout, elles montent en puissance dans la lutte contre la menace asymétrique et ont de ce fait compris qu’elles sont plus que jamais en première ligne dans la bataille pour gagner les cœurs et les esprits. Il s’agit donc d’une mission sans fin.
En même temps qu’il est légitime d’avoir un regard sur les actions menées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les Burkinabè doivent comprendre aussi que les fissures ne font que nous fragiliser davantage en tant que communauté de destin, dans ces moments difficiles qui exigent de toutes et tous, sursaut et unité.
Les groupes d’autodéfense sous leur forme actuelle sont apparus pour donner suite à l’inefficacité de la réponse sécuritaire apportée par l’État. Leurs succès ont légitimé leur existence et leurs exactions les ont fait disparaître de certaines localités. Certaines populations se sont carrément opposées à l’implantation de groupes d’autodéfense dans leurs régions. La communautarisation de la sécurité est un véritable problème qu’il faudra bien résoudre. Deux interrogations me viennent à l’esprit. L’État a-t-il encore le monopole de la violence physique légitime à l’heure de la prolifération et de l’hybridation de l’insécurité ? Quelle innovation politique pour régler la question des légitimités concurrentes (les institutions régaliennes face aux protagonistes que sont devenues les initiatives locales de sécurité) ? Il appartient aux Burkinabè de trouver les réponses, en allant au-delà de nos contradictions.
Cette guerre nous est imposée et la guerre est « sale ». « La guerre révèle ce qu’il y a de pire en l’Homme ». Il ne faut surtout pas que nous nous enfermons dans l’abstraction de nos analyses et nos colères. Les Forces de Défense et de Sécurité sont formées au Droit international humanitaire et à beaucoup d’autres disciplines des Droits humains, à l’instar des soldats des pays et des institutions qui veulent nous donner des leçons et qui ne sont pas eux-mêmes exempts de tout reproche sur certains théâtres.
Le tout-militaire ne viendra pas à bout du terrorisme surtout que « l’usage de la puissance ne produit plus systématiquement les effets attendus » selon Bertrand BADIE. Dans ce sens, je partage la conviction de Moussa MARA, ancien Premier ministre du Mali : « La religion reste l’arme la plus efficace contre l’extrémisme religieux. » De même, toutes les approches qui ne tiendront pas compte de l’action militaire cinétique ne pourront pas prospérer.
Pour venir à bout de la stigmatisation ou de la victimisation ethniques, il faut avoir le courage et l’honnêteté de dire que l’adhésion au fondamentalisme armé relève avant tout du choix individuel. Il faut éviter à tout prix de tomber dans le piège de l’essentialisation. Je l’ai dit plus haut que certains terroristes sont eux aussi des victimes. Mais en voulant coûte que coûte ethniciser un problème qui est suffisamment complexe voire inextricable, on court le risque de conduire le pays tout entier vers un avenir incertain.
Arrêté par les militaires français en septembre 2013 dans la région de Tessalit (extrême nord du Mali) avec une vingtaine de talibés et une importante somme en euros, Maalam Ibrahim Dicko précurseur du terrorisme au Burkina Faso a été détenu pendant deux ans à Bamako par la Sécurité d’État. À l’époque, il était suspecté de vouloir rejoindre Ansar Eddine. En 2015, des membres de son association, Al Irchad, financée par le Mouvement Dawa Tabligh au Burkina Faso et de sa famille s’étaient rendus à Bamako pour négocier sa libération. Ils obtiendront gain de cause. La suite de l’histoire, toutes les personnes qui s’intéressent à l’extrémisme violent la connaissent. Si ce parcours d’un de nos frères qui s’est égaré, et avec lui d’autres Burkinabè, j’en fais cas, c’est pour dire qu’il y a beaucoup d’autres histoires qui ne sont pas connues : celles de toutes ces personnes qui ont dit courageusement non aux idéologies rigoristes, toutes ces personnes qui refusent de s’exprimer par les armes et de soutenir des assassins qui versent le sang au moyen de l’inhumanité la plus abjecte.
Si on n’arrive pas à stabiliser et à pacifier toutes ces régions qui sont sous le joug des terroristes, il faut craindre que les populations victimes s’organisent pour se défendre elles-mêmes et pour se rendre justice. Il faut craindre les corollaires du conflit communautaire. Déjà au Mali, une certaine opinion qualifiait les conflits intercommunautaires dans le centre de nettoyage ethnique.
N.D.A : Mes sincères remerciements à M. Alcény S. BARRY pour son regard sur le texte. Des échanges constructifs et sincères avec l’un des plus grands critiques littéraires du pays m’ont permis de mieux intégrer d’autres considérations.

*Cet article est le premier d’une série de trois

SARA Alain
Auteur du livre : Stratégie de sécurité économique pour le Burkina Faso
saraalain.bf@gmail.com