Les réformes monétaires annoncées le 20 décembre dernier à Abidjan sur le F CFA par les présidents ivoiriens et français, continuent de susciter des débats qui ne sont pas prêts de s’estomper. Ci-contre, une pertinente contribution de monsieur Souleymane Ouédraogo à même d’apporter des éclairages sur les rapports entre le F CFA commun à 8 pays de l’Uemoa et l’Eco, qui est un projet de la Cedeao regroupant 15 pays d’Afrique de l’Ouest. Son point de vue rejoint celui du ministre togolais des finances, Sani Yaya (http://kaceto.net/spip.php?article7682).

La monnaie Eco est à l’origine un projet de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’appellation « Eco » vient de ECOWAS, CEDEAO en anglais. Elle a pour objectif la mise en circulation d’une monnaie unique à 15 états à l’horizon 2020, toute chose qui permettrait une meilleure intégration socio-économique et politique.

Deux points importants caractérisent ce projet :

• Le panier de devises : il s’agit de la mise en relation de l’Eco avec plusieurs autres monnaies telles que le Yuan chinois, la Roupie indienne, l’Euro et d’autres monnaies en fonction des zones monétaires ou pays avec lesquels la zone CEDEAO échange. Cette disposition permettrait à une zone économique telle que la CEDEAO de commercer et d’échanger directement avec les autres espaces monétaires (Chine, Brésil, Inde…), de banque centrale à banque centrale. Elle a le double avantage d’éviter tout intermédiaire dans les transactions, donc toute commission et surtout de sécuriser les données de ces transactions, évitant de ce fait tout espionnage économique. Cela contribue en partie à garantir la souveraineté monétaire et l’indépendance politique de la zone.

• La parité flexible : il s’agit en terme simple de la possibilité qui est donnée à une monnaie de compétir avec les autres monnaies en fonction de ses performances économiques. La valeur de la monnaie est susceptible de fluctuer d’un jour à l’autre. Cette disposition oblige la zone monétaire à performer pour exister.

La monnaie Eco des présidents Ouattara et Macron ou Eco-UEMOA nous a été annoncée précipitamment le 21 décembre 2019 lors d’une visite bilatérale France-Côte d’Ivoire. Elle concerne les 8 pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). Cette pseudo nouvelle monnaie est sensée remplacer le franc de la Communauté Financière Africaine, jadis franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) à l’horizon 2020. Elle a pour spécificité :

• L’arrimage à l’Euro. La France paternalise cette monnaie en garantissant la convertibilité « Eco-Euro ». Cela sous-entend que la France sera au courant de tous les échanges commerciaux et opérations économiques qui se feront dans la zone UEMOA. Cela entraîne bien entendu un risque important d’utiliser les contre-performances et les faiblesses de la zone UEMOA contre elle-même. C’est ce que l’on appelle communément l’espionnage économique.

• La parité fixe avec l’Euro. Il s’agit de la mise en place d’un taux fixe de conversion entre l’Eco et l’euro. Cette disposition aurait l’avantage de garantir la stabilité économique en luttant contre l’inflation. Les économistes qui combattent la parité fixe dans la zone CFA disent que l’on ne lutte pas contre l’inflation mais que l’on favorise plutôt la déflation. En plus, la parité fixe avantage les importations au détriment des exportations et sécurise notamment les intérêts des entreprises françaises massivement installées dans le pré-carré. Cet état de fait, ajouté à d’autres contraintes, a pour conséquence une balance commerciale déficitaire dans les pays de la zone UEMOA avec des difficultés évidentes d’autofinancement des différentes économies. Cela a pour corollaire l’obligation de s’endetter auprès des institutions de Brettons Woods (FMI et Banque Mondiale) afin de pouvoir fonctionner et l’impossibilité de réaliser des bonds qualitatifs en matière d’industrialisation.

Au vu de ce qui précède, l’on est bien tenté de croire que le gouvernement français sentant ses intérêts menacés par la mise en place de l’Eco de la CEDEAO a pris les devants en coupant l’herbe sous le pied de celle-ci en créant l’Eco de la zone UEMOA. Pour cela, elle s’est appuyée sur son allié de toujours, le président Ouattara de la Côte d’Ivoire. En effet, la Côte d’Ivoire est la première puissance économique de la zone UEMOA avec une contribution d’environ 40% au budget de l’UEMOA. Elle a, avec le Sénégal de Macky Sall, dicté la loi de la France aux six autres présidents qui étaient partant pour une monnaie Eco-CEDEAO. Cette thèse est confortée par la question suivante : qu’est-ce que la nouvelle monnaie Eco-UEMOA pourrait apporter de plus que le CFA à ladite zone ? En effet, la zone UEMOA a déjà amorcé une dynamique d’intégration socio-économique et politique avec le CFA et l’Eco-UEMOA telle que présentée n’est pas fondamentalement différente du CFA. Les reformes qui ont été annoncées concernent plus la forme (symbole CFA, représentants français siégeant dans les conseils d’administration) que le fond des revendications de la jeunesse africaine.

Les médias français qui ont pris le relais du projet annoncé par le duo Ouattara-Macron ont participé à leur façon en diffusant partiellement du faux. Ils ont fait passer l’Eco-UEMOA comme la monnaie de l’Afrique de l’Ouest et ont dit que les autres pays de la CEDEAO qui ne font pas partie de l’UEMOA la rejoindront. Rien de plus faux.

Et pour démontrer le faux, lisons ce que dit le point 18 du communiqué final de la 56ème réunion des chefs d’Etats de la CEDEAO qui s’est tenu le 22 décembre 2019.
« S’agissant du dossier de la monnaie unique de la CEDEAO, après avoir entendu l’exposé de SEM Alassane Ouattara, Président de la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de l’UEMOA, la conférence a pris acte des transformations importantes en cours au niveau de la zone UEMOA. Cette réforme de la zone monétaire de l’UEMOA facilitera SON intégration DANS LA future zone monétaire de la CEDEAO (ECO). Les chefs d’Etat et de Gouvernement se sont félicités des évolutions de la zone monétaire UEMOA ».

Il apparaît clairement que ce ne sont donc pas les pays de la CEDEAO qui ne font pas partie de l’UEMOA qui rejoindront le projet Eco-UEMOA mais plutôt le contraire. Ce point montre bien que le projet originel « Eco » de la CEDEAO est toujours en cours et qu’il se mettra en place. Certes il risque fort de connaître un peu de retard vu que le processus vient d’être fortement perturbé.

Les populations d’Afrique de l’Ouest qui n’ont jamais été associées au processus de mise en place de l’Eco-UEMOA, les Chefs d’Etat qui ont été mis devant le fait accompli ainsi que ceux qui ont dû subir le dictat du duo Macron-Ouattara accepteront-ils cette usurpation du projet Eco-CEDEAO qui tente de saboter l’occasion d’une union monétaire et d’un marché commun de l’Afrique de l’Ouest ?

Souleymane Ouedraogo (Pris sur le net)
Kaceto.net