Le débat salutaire attendu depuis des décennies par ceux qui dénonçaient le caractère anachronique des conventions monétaires liant la France et les pays de la zone franc, est enfin arrivé. Depuis la décision des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) prise le 19 juin 2019 à Abuja de créer la monnaie ECO en 2020, tout semble s’emballer.
Les réformes annoncées par les présidents ivoirien et français le 21 décembre 2019 à Abidjan suscitent des commentaires et analyses d’une qualité qui sont à la hauteur des enjeux que représentent l’adoption de la monnaie commune d’Afrique de l’ouest et la remise en cause de facto des accords existant entre le F CFA et l’Euro.
Dans le texte ci-contre, l’homme politique Ibrahim Sene, une figure de la gauche sénégalaise considère que "l’étape d’Abidjan" ne doit pas rejetée, mais acceptée comme transitoire vers la mise en place effective de l’ECo en juillet 2020.

Depuis que le Président Macron s’est engagé à « garantir l’Eco » comme la France s’y était engagée avec le CFA, les gens ont perdu de vue que les autorités françaises tablent désormais sur d’éventuelles difficultés dans les pays de l’UEMOA, pour revenir dans la gestion de notre nommée et remettre en cause la mise en place de notre monnaie commune le 1er juillet 2020 avec la création d’une Banque Centrale Fédérale de la CEDEAO.

Cette menace sous-jacente à cette « garantie » est passée inaperçue à nos détracteurs, comme l’est le risque qu’encourent les entreprises françaises confortablement établies dans les Economies de l’UEMOA, en l’absence de cette « garantie », suite à la crise économique et sociale que vont entraîner le déclenchement d’une spirale inflationniste, et la fuite massive de capitaux, toute choses, qui seraient aussi fatales à la mise en œuvre du projet CEDEAO de monnaie commune à partir du 1er juillet 2020 !
D’ailleurs, est- il raisonnable de refuser une « garantie » qui ne te coûte rien et qui n’entraîne pas une immixtion dans tes prises de décisions ?
En outre, le maintien de la parité fixe avec l’Euro, comme ce fut le cas avec le CFA, a amené des gens à ne pas voir son caractère provisoire, en attendant que la Banque Centrale Fédérale en gestion puisse être créée, pour définir un panier de devises auquel l’Eco serait arrimé avec un taux de change flexible tel qu’en ont décidé les Chefs d’Etat de la CEDEAO !
Pis encore, des Economistes et des Universitaires attribuent à la fixité du taux de change du CFA que l’Eco a hérité, comme la cause du « libre transfert des bénéfices et des capitaux », et même de « l’évasion fiscale » des entreprises étrangères, dont françaises notamment !
Ce faisant, ils occultent le fait que le « libre transfert des bénéfices », la « libre circulation des capitaux » et « l’évasion fiscale », sévissent indifféremment, partout où les détenteurs de capitaux investissent, que leurs taux de change soit fixe ou flexible !
C’est pour cela l’on retrouve ces mêmes phénomènes partout en Afrique, dans les pays de la Zone Franc où le taux de change est fixe, comme dans les autres pays à taux de change flexible !
Un tel amalgame de la part de ces spécialistes contribuant ainsi à discréditer ce passage du CFA à l’Eco, ne peut donc être anodin, dans un contexte où seule la France en a intérêt dans son espoir de retour au statut quo.

Même malgré le communiqué très clair des Chefs d’Etat de la CEDEAO du 21 Décembre 2019 à Abuja disant que cette réforme du CFA « va faciliter l’entrée des pays de l’UEMOA dans la monnaie commune » qu’ils ont officiellement baptisée ECO, nos adversaires continuent à jeter le doute sur la portée historique des acquis des Présidents de l’UEMOA qui sont parvenus à récupérer leurs réserves qu’ils vont confier, en attendant, à la BCEAO, à faire sortir les représentants français des organes de gouvernance de notre monnaie, et à changer son appellation en ECO par anticipation, sans heurter la France, et éviter de jeter nos Economies dans la tourmente.

Ainsi, ils ont fait la prouesse de récupérer leurs réserves du Trésor Français ; ce que les pays comme la Guinée, sous Sécou Touré, et le Mali, sous Modibo Keïta, n’ont pas pu faire en quittant la Zone Franc. C’est à ce dilemme auquel le Président Abdou Diouf faisait face lorsque le FMI était tombé d’accord avec la France pour dévaluer le CFA. Le Président Diouf y était contre, non pas par caprice, mais bien en voulant que la France respecte ses engagements de « garantie » en cas de coup dur, pour éviter d’être obligé d’aller devant le FMI, dont les conditions pour donner son concours financier est bien connu.

Mais puisqu’il était seul dans cette exigence, il était mis devant l’obligation de céder à la dévaluation, ou de sortir seul de la Zone franc, sans pouvoir obtenir ses réserves, tout en dévaluant de 100% sa nouvelle monnaie souveraine que même ses partenaires de l’UEMOA, n’auraient pas reconnue.

Il se résolut donc, à cœur défendant, à accepter une dévaluation de 50% tout en ne perdant pas ses réserves. D’ailleurs, c’est ce même risque que le Président Abdoulaye Wade avait évité lorsqu’il revendiquait la restitution de nos réserves, en s’apercevant, par la suite, qu’il était le seul Chef d’Etat à les réclamer !

Il s’est ainsi résigné de ne pas quitter individuellement la Zone Franc, pour ne pas perdre les réserves de son pays, tout en plongeant le pays dans une grave crise économique et sociale.
Face à la solidarité affichée des Chefs d’Etat de l’UEMOA sur l’amorce de la transition du CFA vers l’ECO, la France ne peut donc revenir au statut quo anté dans l’UEMOA, que lorsqu’échoit cette transition au 1er juillet 2020 qui est amorcée ce 21 décembre 2019 à Abidjan.

Ainsi, tous ceux qui jettent le doute sur cette transition, contribuent, consciemment ou non, à démobiliser l’opinion des peuples de l’UEMOA, le peuple Français, et faciliter la contre- offensive que mènent les Autorités françaises pour empêcher la réalisation du projet de monnaie commune CEDEAO !

Ils essayent même d’instrumentaliser les susceptibilités historiques et préjugés entre francophones et anglophones que la France a su cultiver, des décennies durant, en Afrique de l’Ouest, depuis l’échec de son projet de partition du Nigéria à travers une sanglante guerre civile pour la création d’un Biafra indépendant dans le territoire de l’Etat du Nigéria.

Ils ne renoncent même pas à opposer l’UEMOA au Nigéria, en présentant celui-ci comme un « monstre économique » qui veut avaler nos pays, et la France, comme le bouclier de nos peuples !
Tous ces discours devraient être combattus sans quartier, puisqu’ils s’inscrivent dans un projet global pour mettre en échec le projet de faire de la CEDEAO, dotée de Tarif Extérieur Commun (TEC) et d’une monnaie Commune, (ECO), une puissance sous régionale, en mesure de tenir tête à l’UE et aux USA, pour s’ouvrir aux grandes puissantes émergentes, afin de mieux assurer la souveraineté de ses peuples, et participer activement au succès de la « Zone de Libre Echange Economique Africaine », (ZLECAF) .

Tous les panafricanistes, au pouvoir et dans l’opposition, dans les organisations patronales, syndicales et de la société civile, de toutes obédiences, sont interpelés par l’Histoire, pour se mobiliser autour de nos Chefs d’Etat, pour la réussite de la Transition du CFA vers l’ECO !

La contre –offensive des Autorités Françaises ne devrait pas prospérer !
Le monde entier nous regarde !

Dakar le 28 Décembre 2019

Ibrahima SENE
Parti de l’indépendance et du travail (PIT)
SENEGAL