Bastonnades, tortures, violences physiques et psychologiques, intimidations, viols, rackets, etc., Bobo-Dioulasso sous la coupe de hors-la-loi

Samedi 25 juin 2016 aux environs de 20 heures. L’imam de la mosquée du secteur
N°21 de Bobo-Dioulasso qui dirige la « al-’icha », la prière du soir, vient d’adresser ses bénédictions aux fidèles. Il leur souhaite de passer la nuit dans la paix. Dans une ambiance sereine, les fidèles quittent la salle de prière, se chaussent et commencent à vider la cour de l’édifice. Certains enfourchent leurs mobylettes pendant que d’autres rejoignent leur domicile à pieds. Mais manifestement, un groupe de jeunes croyants avaient une mission qu’ils se sont donné et à accomplir ce soir-là. Les voilà équipés de gourdins et de machettes. Méconnaissables, furieux, comme s’ils étaient possédés par une force maléfique, ils se dirigent d’un pas ferme et décidé vers le « Privé », un établissement fréquenté par des professionnelles du sexe, une maison close comme le désigne. Sans sommation, ils investissent les lieux, saccagent les installations puis, mettent le feu à ce qui résiste à leur furie.

Quant aux occupants, essentiellement des filles et le gérant, ils sont pourchassés, copieusement bastonnés et subissent de cruels traitements. Les filles qui se sont échappées des flammes ont été rattrapées, tabassées, brûlées aux fesses et dans leurs parties intimes.
Leur crime ? Gérer ou fréquenter un lieu de prostitution qui est situé en face d’une mosquée. Sauf que le « Privé » a ouvert ses portes depuis une dizaine d’années, alors que la mosquée n’a été inaugurée que le …17 juin 2016.
Mais sûrs de leur bon droit, ces fidèles musulmans avaient sommé le gérant de l’établissement de déguerpir, considérant que le Bien et le Beau qu’ils incarnent, ne saurait tolérer la présence du Mal à côté de leur lieu de prière. « Nous les avons prévenus même avant l’inauguration de la mosquée de fermer le lieu », tente de justifier un des destructeurs.

Le cas du Privé est loin d’être isolé. D’autres maisons closes de la ville de Bobo-Dioulasso ont connu le même sort, les mieux loties ayant définitivement mis la clé sous le paillasson. Dans leur projet d’éradiquer la prostitution, des groupes de jeunes prescripteurs de l’ordre moral, des « Ayatollah » presque accomplis, se livreraient à des viols collectifs dans les maisons closes, espérant ainsi dissuader celles qui seraient tentées par le plus vieux métier du monde.

Les auteurs de ces actes inqualifiables, non seulement desservent la religion musulmane, travestissent son message, mais surtout, tombent sous le coup de loi.
L’article 5 de notre constitution est clair comme l’eau de roche : « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ». Or, en l’espèce, la loi pénale burkinabè ne punit ni la prostitution, ni les maisons closes.
Ces jeunes combattants du vice sont-ils instrumentalisés par des forces occultes dont l’objectif final est de régenter nos vies privées ? Il n’est pas interdit de poser la question. Mais là où le bât blesse, c’est le silence pour le moins suspect des Forces de défense et de sécurité (FDS) dans ces événements qui se sont déroulés et continuent de se dérouler à Bobo. Des enquêtes sur l’incendie et le vandalisme seraient toujours en cours, et il faut espérer que justice sera faite, que force restera à la loi. L’ennui est que certaines plaintes déposées par des professionnelles du sexe et des tenanciers de maisons closes incriminent des agents des FDS. Le numéro vert mis en place pour signaler les cas de détresse et de violence ne répond pratiquement jamais. Les groupuscules de jeunes vandales ont donc tout le temps d’achever avec perfection leur sale besogne sans être inquiétés.

En revanche, lorsqu’il s’agit de racketter les pauvres prostituées et tenanciers de maisons closes, nos FDS débordent d’imagination. Car il s’agit bien de racket ! A quoi correspond cette « taxe » de 10 000 F CFA que chaque tenancier de maison close verse à la brigade de gendarmerie avant le 5 de chaque mois, sans délivrance de reçu ? La police n’est pas non plus sans reproches. Quel est le fondement légal des procès-verbaux de contravention de 12.000 FCFA adressés aux filles sous le prétexte « d’atteinte aux mœurs ? ». Pourquoi la police fait-elle des descentes dans les maisons closes et délivrent des contraventions sur des papiers dont on peut douter de leur légalité ? Sur le PV ci-contre établi à Bobo, le tampon montre qu’il appartient au commissariat de police de Padéma, une commune pourtant située à près de 70 km de Bobo-Dioulasso !

Des professionnelles de sexe le disent, angoissées : elles sont en permanence victimes de racket de la part des FDS, ces gardiens de la loi auprès de qui elles devaient trouver protection.
Le statuquo n’est plus tenable. La protection de la vie, la sureté et l’intégrité physique des citoyens sont un droit constitutionnel. Soit le législateur interdit la prostitution, soit il met fin à toutes les exactions contre les professionnelles du sexe. C’est d’autant plus un impératif catégorique que le succès de la lutte contre le VIH passe par là.
Le Burkina a fait d’énormes progrès en matière de lutte contre l’épidémie du VIH depuis la reconnaissance officielle des premiers cas en 1987. De 7% de prévalence en 1997, notre pays affiche de nos jours un taux de moins de 1%, salué par la communauté internationale. Des résultats qui risquent d’être annihilés si rien n’est fait pour garantir les droits des populations cibles comme les professionnels de sexe, les détenus et les minorités sexuelles au sein desquelles l’épidémie recule très lentement.
Comme son prédécesseur Blaise Compaoré, le président Roch Kaboré poursuit la croisade contre le fléau. Il a ainsi présidé en mai dernier la XVème session du Conseil national de lutte contre le sida qui a procédé à l’adoption du quatrième cadre stratégique national de lutte contre le VIH/Sida et les IST 2016-2020. A la tête d’une forte délégation, il a aussi participé en juin à une rencontre de haut niveau de l’Onusida consacrée à la mobilisation de ressources supplémentaires pour une grande réponse au VIH/Sida. La semaine dernière, à la tribune de l’ONU, il a insisté sur l’urgence de replacer la question du VIH au centre de l’agenda de la communauté internationale.
Pendant ce temps, dans la deuxième ville du Burkina, des hors-la-loi agissent en toute impunité et mettent en danger l’intégrité physique de nombreuses citoyennes.
« Le gouvernement doit assurer la sécurité des prostituées afin qu’elles puissent exercer leur métier dans la légalité. C’est le seul moyen pour les travailleurs sociaux et tous ceux qui sont impliqués dans la sensibilisation sur le VIH d’avoir un contact suivi et régulier avec elles. Les terroriser n’est certainement pas la solution pour faire reculer le sida », explique, désemparé, un travailleur social à Bobo.

Joachim Vokouma
Kaceto.net