La réduction des inégalités entre les sexes passe par l’identification et le déploiement de programmes ou de politiques ciblant les contraintes spécifiques qui pèsent sur les femmes entrepreneures. Elle implique aussi une collaboration avec l’ensemble des acteurs du secteur privé, de la grande banque à la startup innovante, pour piloter, tester et amplifier les interventions qui fonctionnent.

L’Afrique est en avance sur le reste du monde en ce qui concerne le nombre de femmes entrepreneures. Sur le continent, les femmes sont en effet davantage susceptibles de devenir entrepreneures que les hommes. Elles représentent en Afrique 58 % de ceux qui travaillent à leur compte.

Un récent rapport de la Banque mondiale, « Les bénéfices de la parité »1, montre toutefois qu’en Afrique subsaharienne, les femmes entrepreneures continuent de réaliser des bénéfices inférieurs à ceux des hommes (34 % de moins en moyenne). Sur l’ensemble du continent, les femmes sont davantage enclines à choisir l’entrepreneuriat, non par passion ou du fait d’aptitudes plus particulièrement adaptées, mais avant tout par manque d’alternative. Les opportunités de travail salarié y sont en effet relativement rares – à plus forte raison pour les femmes, qui ont souvent un niveau d’éducation moins élevé

et peuvent être confrontées à des pratiques de recrutement discriminatoires. En outre, c’est aux femmes que revient généralement l’essentiel des responsabilités domestiques (notamment, s’occuper des enfants), de sorte qu’une petite entreprise à domicile est souvent l’un des rares moyens à leur disposition pour générer une contribution financière au budget familial.

Il s’agit là véritablement d’une occasion manquée. Sachant que le continent africain est aujourd’hui leader mondial en matière d’entrepreneuriat des femmes, on mesure à quel point la pleine réalisation de leur potentiel économique pourrait contribuer massivement à la croissance et à la prospérité du continent : si l’on parvient à mettre les entreprises détenues par des femmes sur un pied d’égalité, à favoriser leur croissance, alors les économies africaines se développeront. L’autonomisation et le renforcement des femmes entrepreneures reviennent tout simplement à la mise en pratique d’une économie intelligente.

CIBLER LES CONTRAINTES

Dans ce contexte, la collaboration avec le secteur privé, afin de produire des synergies, doit constituer un élément central des efforts engagés pour accroître les opportunités offertes aux femmes entrepreneures en Afrique – et ce dans une triple perspective.

Tout d’abord, il faut s’attaquer aux contraintes sous-jacentes, inhérentes aux normes sociales qui constituent des entraves pour les femmes. Parmi ces freins, le partage inégal de la charge de soins aux enfants, mais aussi les conventions qui poussent les femmes vers des secteurs d’activité moins rentables. En Éthiopie ou en Ouganda par exemple, les études ont montré qu’en matière d’entrepreneuriat, la « ségrégation sectorielle » était un déterminant majeur des écarts de revenus entre les sexes. Ainsi, en Ouganda, le bénéfice mensuel moyen dans le secteur de l’esthétique, où les femmes sont majoritaires, est de seulement 86 dollars, contre 371 dollars dans le secteur de l’électricité, à forte domination masculine. De la même façon, le rapport de la Banque mondiale évoqué plus haut expose qu’en République démocratique du Congo, un quart du différentiel de bénéfices entre les femmes et les hommes est attribuable au fait que les femmes travaillent dans des secteurs comparativement moins rentables. Ces résultats concordent avec une récente étude du Gender Innovation Lab2, réalisée à partir des pages Facebook d’entreprises de 97 pays, sur 4 continents. L’étude révèle qu’à l’échelle internationale, les entrepreneurs hommes dans des secteurs à dominante masculine ont les revenus les plus élevés (en moyenne 116 % de plus que les femmes entrepreneures dans des secteurs à dominante féminine), que les femmes dans les « secteurs masculins » et les hommes dans les « secteurs féminins » se situent à un niveau intermédiaire, et enfin que les femmes dans les secteurs à dominante féminine ont les revenus les plus faibles.

Ce qui est intéressant dans ces trois études, c’est qu’elles révèlent que les choix d’activité féminins ne semblent pas être déterminés par les facteurs auxquels l’on pourrait s’attendre, comme l’éducation ou l’accès aux capitaux. Au lieu de cela, les déterminants principaux du choix sectoriel se révèlent être l’exposition des hommes – via des mentors masculins – aux secteurs dominés par les hommes, la formation ou la pratique professionnelle, et l’accès à l’information comparative sur les différences de revenus entre secteurs. Le secteur privé peut à cet égard jouer un rôle clé, en encourageant les femmes à passer de l’autre côté, notamment par le biais d’une démarche d’incubateurs ou le développement de programmes internes aux entreprises.

La collaboration avec le secteur privé, afin de produire des synergies, doit constituer un élément central des efforts engagés pour accroître les opportunités offertes aux femmes entrepreneures en Afrique.

CESSER D’ENSEIGNER DES COMPÉTENCES INADAPTÉES

Deuxièmement, il faut nous mettre à penser différemment. Si la plupart des pays d’Afrique sont parvenus à la parité filles-garçons dans l’accès à l’enseignement primaire, un fossé persiste dans les niveaux d’éducation et de compétences atteints par les entrepreneurs masculins et par leurs homologues féminines – en particulier dans l’enseignement secondaire et au-delà. Cela pourrait expliquer les différences en matière de décisions stratégiques dans les affaires. Les femmes à leur compte ont, dans l’ensemble, suivi des études moins longues que leurs pendants masculins, et les entrepreneurs sont souvent techniquement plus qualifiés. L’étude « Les bénéfices de la parité » montre toutefois que les programmes de formation qui dispensent à des femmes entrepreneures des compétences « classiques » produisent souvent des résultats décevants. Plutôt que des compétences traditionnelles comme la comptabilité, certains travaux prometteurs laissent penser que l’enseignement de compétences « socio-émotionnelles », telles que l’initiative individuelle ou la persévérance, aurait davantage d’effets.

Si la plupart des pays d’Afrique sont parvenus à la parité filles-garçons dans l’accès à l’enseignement primaire, un fossé persiste dans les niveaux d’éducation et de compétences atteints par les entrepreneurs masculins et par leurs homologues féminines – en particulier dans l’enseignement secondaire et au-delà.

Au Togo, une formation destinée aux petits entrepreneurs sur « la prise d’initiative, les comportements proactifs et la persévérance » a donné des résultats impressionnants : les femmes ayant suivi cette formation ont vu leur bénéfice augmenter en moyenne de 40 % – à rapprocher de l’absence de toute augmentation significative pour celles qui assistaient à un cursus business classique. Une illustration peut être donnée par le cas de cette entrepreneure togolaise qui, avant sa formation, louait des robes de mariage. À l’issue du cours sur l’initiative individuelle, elle a décidé d’élargir sa clientèle, en vendant désormais des robes et en proposant des accessoires comme les gants ou les voiles : elle possède aujourd’hui des boutiques dans trois pays d’Afrique. Cette formation a depuis été reprise dans différents contextes et sur deux continents, avec des résultats très positifs. Par l’intermédiaire de partenariats avec le secteur privé, de telles formations pourraient être déployées sur l’ensemble du continent, à la fois auprès des grandes entreprises et dans l’univers de l’entrepreneuriat.

PROPOSER DES INITIATIVES SIMPLES ET PEU COÛTEUSES

Troisièmement, et pour finir, de telles interventions doivent pouvoir être mises en œuvre à différentes échelles. La Banque mondiale a démontré que des actions simples et peu coûteuses peuvent avoir un fort impact sur l’autonomisation des femmes. Au Malawi par exemple, nous nous sommes aperçus qu’encourager les femmes à enregistrer leur entreprise n’avait aucun impact sur leurs bénéfices. Mais si l’on couple cet enregistrement à une réunion d’information dans une banque, avec ouverture d’un compte bancaire d’entreprise, on voit s’accroître de façon significative la palette des services financiers formels utilisés par les femmes, avec à la clé une augmentation des bénéfices de l’ordre de 20 %. Et le coût de l’opération n’est que de 27 dollars par entreprise. C’est essentiel dans le contexte de l’Afrique subsaharienne, où seulement 27 % des femmes ouvrent un compte dans une institution financière.

La Banque mondiale a démontré que des actions simples et peu coûteuses peuvent avoir un fort impact sur l’autonomisation des femmes.

L’appui des outils psychotechniques constitue un autre exemple de collaboration fructueuse avec le secteur privé. Face aux difficultés qu’ont les femmes d’accéder aux capitaux, deux réponses sont possibles : leur donner un meilleur contrôle des actifs – par exemple via des droits de propriété conjoints (comme au Rwanda) – ou contourner totalement les contraintes de collatéral sur les prêts. En Éthiopie, au travers d’un partenariat avec le secteur privé, la Banque mondiale a ainsi introduit comme alternative au collatéral une batterie de tests psychométriques innovants. Très fiables, ces tests prédisent la probabilité de remboursement d’un crédit par un entrepreneur, avec au bout du compte des taux de remboursement de 99 %. Une telle initiative a pu bénéficier par exemple à Abeba, propriétaire d’une boulangerie dans la région éthiopienne d’Amhara : depuis plus de dix ans, elle ne pouvait prétendre qu’à des prêts collectifs, plafonnés à 900 euros. Grâce aux tests, elle a pu bénéficier d’un crédit en son nom, faire fructifier son affaire, et diversifier ses revenus.

CONCLUSION

Comme le montrent ces différents exemples, le secteur privé est un allié de poids dans l’autonomisation économique des femmes en Afrique, en particulier pour s’attaquer aux trois principales contraintes évoquées dans le rapport, que sont l’accès au capital, la ségrégation sectorielle et le déficit de compétences. En matière d’accès au capital, le GIL s’est associé à des acteurs privés pour concevoir de nouveaux produits, comme les tests psychométriques en Éthiopie, qui permettent aux femmes entrepreneures d’accéder à des prêts de taille moyenne, nécessaires à la croissance. S’agissant de la ségrégation sectorielle, le secteur privé peut jouer un rôle clé dans la diffusion de formations encourageant les femmes à évoluer vers des secteurs plus rentables. Des résultats préliminaires du GIL montrent ainsi que l’exposition à des domaines techniques, notamment par le biais de l’apprentissage, peuvent augmenter les chances des femmes d’aborder de tels secteurs d’activité. Enfin, en matière de compétences, le secteur privé peut jouer un rôle essentiel de formation, en ciblant au plus près les besoins des femmes, par exemple sur le développement de l’initiative individuelle.

1 Groupe de la Banque mondiale, Les Bénéfices de la Parité : Libérons le Potentiel de L’entrepreneuriat Féminin en Afrique, 2019
2 Goldstein, Markus P., Gonzalez Martinez, Paula et Papineni, Sreelakshmi, Tackling the Global Profitarchy : Gender and the Choice of Business Sector, World Bank Policy Research Working Paper No. 8865, mai 2019.

Fannie Delavelle
Analyste ; Laboratoire d’innovation sur le genre de la Banque mondiale